La consommation collaborative : comment ? pourquoi ?
AirPnP, un nouveau site permettant de trouver l’endroit le plus proche pour faire pipi partout dans le monde, vient d’être lancé par deux Américains. Il s’ajoute à la liste des concepts de "consommation collaborative", comme AirBnB, Blablacar ou Couchsurfing. Explications de ce phénomène qui prend de l’ampleur.
De nos jours, il est possible de manger, de se déplacer et de se loger sans passer par les circuits traditionnels. Comment ? Grâce à la consommation collaborative. Un concept que l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME) définit comme "une pratique qui augmente l’usage d’un bien ou d’un service par le partage, l’échange, le troc, la vente ou la location de celui-ci, avec et entre particuliers". Jean-Paul Flipo, ancien professeur de marketing et auteur de plusieurs livres, dont La consommation citoyenne, précise cette définition. Selon lui, "c’est une structure horizontale et non verticale (des multinationales au consommateur, ndlr). La consommation collaborative veut dépendre le moins possible de ces grandes structures hiérarchiques. Les consommateurs se disent qu’ils sont capables de se débrouiller par eux-mêmes, parce qu’ils ont des compétences et des capacités complémentaires".
Avant, la consommation collaborative était surtout "incarnée par les relations de voisinage, c’est-à-dire des gens que l'on connaît, avec qui on se rend des services mutuels," assure Jean-Paul Flipo. Aujourd’hui, grâce à internet, ce concept a pris une autre dimension, notamment internationale, et de nombreux sites ont vu le jour. Ce mode de consommation touche tous les secteurs. Dans le domaine du logement, AirBnB propose des locations via des particuliers partout dans le monde. Dans le même registre, Couchsurfing permet à n’importe qui d’emprunter le "canapé" d’un particulier, sans contrepartie financière, et pour une courte durée. Côté transport, Blablacar et Carpooling mettent en relation conducteurs de voiture et passagers pour limiter les coûts et la pollution, liés au transport. L’alimentation aussi fait partie de ce concept grâce aux AMAP (Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne). Objectif : acheter ses produits directement aux producteurs, sans passer par des intermédiaires. Les sites de troc comme Pretaechanger, de revente d’objets d’occasion comme Leboncoin ou de location d’objets utiles (bricolage…), comme Snapgoods font aussi partie du concept de consommation collaborative.
Airbnb est un site de location de logements de particuliers
Rejet de l’économie traditionnelle
Pour Jean-Paul Flipo, la consommation collaboratrice est "un certain rejet de l'économie classique. Le marketing exerce un pouvoir sur les consommateurs et, parfois, ce pouvoir entraîne une résistance du consommateur. Trouver d'autres solutions que celles offertes par le marché est une manière pour lui de résister". Cette volonté de ne pas vouloir participer aux circuits traditionnels d’achat ou de location est assez récente, et pour l’ancien professeur de marketing, cela s’est surtout développé avec l’essor d’internet.
L’économie traditionnelle prévoit un bien par individu. L’économie collaborative, elle, se définit justement par l’utilisation d’un bien ou d’un service par plusieurs personnes. Prenons l’exemple des vélib’ ou des autolib’. Ils permettent à plusieurs personnes de bénéficier d’un service, sans les "contraintes" de l’achat, de l’entretien et du stationnement. C’est une bonne manière de faire des économies, surtout en temps de crise. Selon certains observateurs du phénomène, un pouvoir d’achat insuffisant pousserait donc les gens à consommer autrement et de manière plus collective. Les jeunes adultes sont généralement la principale cible des sites de consommation collaborative. Ils bénéficient souvent de faibles revenus, mais peuvent, grâce à ce concept, jouir de services pratiques et peu coûteux.
Un désir de lien social
Le rejet de l’économie traditionnelle serait étroitement lié au "désir de se réintégrer dans un collectif, de récréer du lien social", observe Stéphane Hugon, sociologue et directeur d’ERANOS. La société serait-elle déshumanisée ? Oui, selon Jean-Paul Flipo. C’est dans ce contexte que les individus chercheraient à recréer du lien social. Une tendance particulièrement visible chez les 15-30 ans. Stéphane Riot et Anne-Sophie Novel sont les auteurs de Vive la co-révolution ! Le livre décrypte et analyse une nouvelle forme de société : la société collaborative. Selon les auteurs, elle "est vivante et se nourrit de la collaboration entre ses citoyens, où l’intérêt matériel est remplacé par un intérêt relationnel". Acheter ses légumes directement au producteur, voyager en covoiturage, dormir chez un inconnu qui nous prête son canapé… les façons de créer du lien social sont diverses. Et grâce aux sites internet, il est très simple d’organiser ces rencontres.
Il existe tout de même un paradoxe. En France par exemple, "à l’heure où l’on parle de société de défiance", un sondage de TNS-Sofres, réalisé en 2013, révèle que 59% des Français disent avoir confiance dans les échanges entre particuliers.
Consommer de manière collaborative participerait également au développement durable. Comment ? Tout simplement en redonnant une nouvelle vie à certains objets comme sur Leboncoin. Au lieu d’être jeté, le produit d’occasion est vendu, puis réutilisé. Le concept du covoiturage, lui, réduit considérablement les émissions de CO2. De plus en plus, ces initiatives s’inscrivent dans une sorte de "consommation raisonnée", où les gens réfléchissent à l’impact de leurs actions sur l’environnement. Dans un article du Time Magazine, le journaliste Bryan Walsh confirme cette idée : "Il y a une démarche écologique, bien sûr : le partage et la location de matériel signifient que l’on produit et que l’on gâche moins de choses, ce qui est bon pour la planète". Pour Anne-Sophie Novel, docteur en économie, spécialiste de l’économie collaborative, ce modèle de consommation "va permettre de servir un peu plus la transition écologique".
Le phénomène de la consommation collaborative se développe rapidement, et les sites sont de plus en plus nombreux. Assiste-t-on à un grand changement de notre mode de vie et de consommation ? Le journaliste Bryan Walsh en est certain, le phénomène fait partie des “10 choses qui changeront le monde". Pour Stéphane Hugon, “la société change et la consommation collaborative est la manifestation de cette transformation profonde”. Le public est d’ailleurs de plus en plus réceptif à cette nouvelle forme de consommation. La preuve que le fameux slogan "What’s yours is mine" ("Ce qui est à moi est à toi") fonctionne.
“What’s yours is mine“ (“Ce qui est à moi est à toi“)Le livre de Rachel Botsman et Roo Rogers sur la consommation collaborative