La crise au Sri Lanka est-elle causée par sa transition vers une agriculture biologique ?

En 2021, le Sri Lanka a décidé de se tourner vers une agriculture 100% biologique. Selon certains, cette décision aurait plongé le pays dans la crise que l’on connait depuis plusieurs mois. Pour d’autres, cette supposition relève d’une instrumentalisation.

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Sri Lanka Bio
Un agricutleur devant sa production de tomates au Sri Lanka, le 1er juillet 2021.
AP/Eranga Jayawardena
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Des réseaux sociaux jusqu’à la tribune de l’Assemblée nationale, la transition de l’agriculture sri lankaise vers le bio serait la cause de tous les maux. La députée de la majorité Aurore Bergé fustigeait hier le programme de la gauche française en le comparant à « la transition écologique du Sri-Lanka. »

Si cette comparaison peut sembler absurde, le Sri Lanka a bel et bien choisi de transformer son agriculture vers du tout-bio en 2021. Mais la réalité semble un peu plus complexe.

Du tout au rien     

Le président Gotabaya Rajapaksa, aujourd’hui chassé de son palais présidentiel par la population, est élu en 2019. Une fois au pouvoir, il promet des subventions sur les importations d’engrais dont le secteur agricole sri lankais est très dépendant.

Rajapaksa
Gotabaya Rajapaksa, à droite, et son frère Mahinda. AP/ Eranga Jayawardena.

Cependant, les mois qui suivent voient apparaitre rapidement les prémices d’une crise inédite causée par une combinaison de plusieurs facteurs : inflation des prix alimentaires et de l’énergie, recul des entrées de devises étrangères provenant des transferts personnels et du tourisme et une mauvaise gouvernance économique et politique du clan Rajapaksa au pouvoir.

Le Sri-Lanka s’endette alors beaucoup et certains secteurs voient leurs subventions supprimées. Le 22 avril dernier, le président annonce dans une allocution télévisée la fin de toutes les aides à l’importation d’engrais et pesticides chimiques et impose même leurs interdictions. Pour motiver sa décision, le chef de l’État invoque la dangerosité des produits agrochimiques sur les populations, provoquant un réel problème de santé publique au Sri-Lanka.

Ils ont soi disant voulu se lancer dans une lutte contre la pollution mais cette décision s’est faite sans aucune préparation et sans aucune formation aux agriculteurs. Delon Madavan, géographe et chercheur associé au Centre d’Études de l’Inde et de l’Asie du Sud de l’EHESS

À l’international, la nouvelle se répand et les milieux écologistes félicitent une telle décision, d’autant plus courageuse venant d’un pays à l’économie relativement petite. Vandana Shiva, auteure et militante écologiste indienne connue pour son combat contre les OGM appelle à soutenir le gouvernement sri-lankais dans « sa progression vers un monde sans poison et pour une planète en santé. » 

Chute de 40% de la production de riz

Mais quelles conditions ont été mises en place pour assurer ce virement  à 180 degrés de politique agricole ? « Il n'y a tout simplement pas eu de transition car la transition suppose une transformation graduelle qui s’inscrit dans le temps, soulève Delon Madavan, géographe et chercheur associé au Centre d’Études de l’Inde et de l’Asie du Sud de l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales). Ils ont soi-disant voulu se lancer dans une lutte contre la pollution mais cette décision s’est faite sans aucune préparation et sans aucune formation aux agriculteurs. Du jour au lendemain, les aides ont été coupées. Une fois le décret imposé, les agriculteurs se sont retrouvés devant le fait accompli et n'ont pas été entendus

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Si la volonté de protéger la population contre les effets néfastes de l’utilisation des pesticides a été invoquée par les autorités pour motiver ce passage au bio, Delon Madavan l’explique avant tout par un manque de devises étrangères dans les caisses de l’État. « Il s’agit d’une énième mauvaise gestion de ce président et son gouvernement qui avaient vu comme principale impératif de réduire les importations et n’a pas voulu montrer qu'ils n'étaient pas en mesure de financer les engrais. » souligne l’expert.

L’impréparation d’un tel changement a provoqué des effets dévastateurs sur l’économie sri-lankaise et notamment sur ses deux plus grosses productions agricoles : le riz et le thé.
Au 1er trimestre de l’année 2022, la récolte de riz s'effondre de 33%, avec des conséquences directes sur plus deux millions de Sri-Lankais (25% de la population active) engagés dans la production rizicole. Auto-suffisant jusqu'ici, le pays a fini par en importer. 
Le thé représentait 12 % des exportations et pesait 1,2 milliard de dollars dans l’économie nationale. Sa production a chuté de 40% au bout d’un an.

Mauvaise presse

Depuis 2021, aucune production en agriculture biologique n’a vu le jour.
Ce que regrette Delon Madavan, c’est aussi la mauvaise presse dont va désormais bénéficier l’agriculture biologique au Sri Lanka mais aussi à l'international. « On a « tué » cette agriculture alors qu'elle est à la pointe dans plein de pays. Elle n’est juste jamais appliquée à 100%! » déplore-t-il.  

Il n'y avait aucune volonté de passer au bio. La transition, ce n’est pas « Vous n'aurez plus de subventions »Delon Madavan, géographe et chercheur associé au Centre d’Études de l’Inde et de l’Asie du Sud de l’EHESS

À titre d’exemple, l’Australie possède la plus grande surface agricole de culture biologique du monde de 35,7 millions d’hectares, pour une surface totale agricole entre 390 et 410 millions d’hectares soit … un peu moins de 9%.

Cette pseudo-transition relève alors avant tout du camouflage politique pour Delon Madavan : « Il n'y avait aucune volonté de passer au bio. La transition, ce n’est pas « Vous n'aurez plus de subventions, ni le droit d’importer ». On a abandonné les agriculteurs qui n'ont rien pu faire. » Si la crise aiguë que traverse le Sri-Lanka résulte d’une combinaison de facteurs internes comme extérieurs, le géographe regrette que l’on « instrumentalise une situation qui est déjà compliquée au Sri-Lanka. »