Dans la nuit de samedi à dimanche, un vote de défiance au Parlement a écarté le gouvernement de Habib Essid en Tunisie. La fin de ce gouvernement, qui n'a duré que 18 mois, ouvre une nouvelle période d'incertitudes alors que le pays fait face à deux défis de taille : le terrorisme et une profonde crise économique. Le pionnier des révolutions arabes ne semble pas pouvoir trouver un équilibre.
Rome ne s'est pas faite en un jour, la Tunisie non plus. C'est l'argument qu'avancent les défenseurs très convaincus de la révolution de jasmin qui a éclaté en 2010. On ne peut pas les contredire quand on sait que le pays méditerranéen est le seul qui "tient" plus de
cinq ans après les révoltes. Et ce malgré l'instabilité politique.
En mettant fin au gouvernement de Habib Essid, le Parlement donne le feu vert au président Béji Caïd Essebsi pour engager des consultations dans un délai de dix jours pour charger la
"personnalité la plus apte" de former un nouveau cabinet. Cette dernière aura trente jours pour former une équipe.
Les jours du gouvernement, critiqué de toutes parts pour son "inefficacité", étaient comptés depuis que le chef de l'Etat s'est dit favorable à un cabinet d'union nationale. Il avait ensuite engagé des pourparlers sur les priorités du futur gouvernement avec les partis politiques ainsi qu'avec le syndicat UGTT et le patronat Utica.
Vu de l'extérieur, il est difficile de desceller pourquoi un indépendant de 67 ans, qui a été congédié du Parlement avec une standing ovation, n'a pas pu garantir la longévité de son gouvernement.
Présidentialisation du régime
"On n'invente pas un système démocratique du jour au lendemain. Avec un historique limité, les partis sont encore au stade superficiel. Ennahda est peut-être l'exception qui confirme la règle. La représentativité est faible. A cela s'ajoute une constitution compliquée de nature parlementaire. Mais qui finalement accorde une place non négligeable au président", détaille Zyad Liman,
directeur d'Afrique Magazine. "Le fait qu'Essid se soit présenté devant le Parlement est une forme de respect de la Constitution, poursuit-il. E
n théorie, le pouvoir est au Bardo [le Parlement]
. Mais en réalité, le président actuel semble déployer de nombreux efforts pour présidentialiser le régime".
De nombreux députés ont brossé un sombre tableau du bilan de Habib Essid, critiquant notamment la faiblesse de la lutte contre la corruption et le chômage.
"En effet, les défis du pays sont nombreux. L'économie, la sécurité. La situation chaotique en Libye n'arrange rien", ajoute le journaliste.
Pour se défendre, l'ancien chef de gouvernement a mis en avant les progrès réalisés sur le plan sécuritaire. Si l
a Tunisie a été frappée par des attentats jihadistes sanglants l'an dernier et en mars, elle a vécu cette année son premier ramadan sans attaque depuis 2012.
"Le gouvernement a fait son devoir dans plusieurs domaines (...) mais il y a des domaines dans lesquels on ne peut arriver à des résultats concrets en un an et demi", a-t-il déclaré.
La retour du népotisme
Ses proches ont dénoncé, sous le couvert de l'anonymat, des pressions venant camp du fils du chef de l'Etat, Hafedh Caïd Essebsi, un dirigeant de
Nidaa Tounès. Ce parti fondé par le président a remporté les législatives de 2014 avant d'imploser et de perdre la première place au Parlement au profit des islamistes d'Ennahda.
"Il y a sans doute un problème de népotisme qui concerne Essebsi père et fils. C'est ennuyeux car c'est une lutte interne qui ne regarde que Nidaa Tounès. Mais personne ne sait si ces partis seront encore là dans un ou deux ans", note Zyad Liman.
Leçon de démocratie ?
Si la défiance du gouvernement par le Parlement a été présentée comme "une leçon de démocratie" dans un pays qui a vécu sous la dictature pendant plusieurs décennies, les craintes d'une nouvelle période d'instabilité sont réelles.
"Tiraillements entre partis à l'horizon et danger de glissement vers un chaos politique", a ainsi averti le journal Assahafa.
"La situation du pays va s'aggraver davantage parce qu'il faut attendre (...) un nouveau gouvernement. Entre-temps, c'est le pays, l'économie, les affaires du peuple qui sont laissés pour compte", a de son côté expliqué à l'AFP Jilani Hammami, un dirigeant du parti Front populaire.
Le pays attend
"un homme providentiel" pour former une
"équipe de sauvetage cohérente et solidaire", mais sans se faire d'illusions,
selon le quotidien La Presse.
"Le risque c'est une déconnexion de plus en plus marquée entre la politique et l'opinion publique, qui serait accentuée par une aggravation irrémédiable de la crise économique", analyse, pour sa part, l'expert de la Tunisie.