Fil d'Ariane
A chaque saison, ses pathologies. Le printemps a ses rhumes des foins, l'hiver a sa grippe. En langage journalistique, on appelle cela des "marronniers", ces sujets qui reviennent chaque année avec constance et régularité et dont l'intérêt provoque son lot de bâillements.
Mais cet hiver 2017, pardon ! La France connaît une épidémie de grippe record, sans doute comparable à celle qui avait frappé le pays au cours de l’hiver 2014-2015, où près de 2,9 millions de personnes avaient été touchées.
Re-belote deux ans plus tard ?
Aujourd'hui, la puissance de l'infection est telle qu'elle arrive à gripper tout le système de soins français : hôpitaux surchargés, services saturés, malades entassés n'importe où (et parfois pendant vingt-quatre heures) en attente d'un lit disponible, personnel soignant épuisé et au bord de la crise de nerfs, etc.
Selon le bulletin épidémiologique publié par Santé publique France, l’épidémie qui a démarré il y a près d’un mois est désormais proche de son pic selon le Professeur François Bourdillon, directeur général de l'agence Santé publique France.
De quoi exaspérer les capacités d'accueil déjà saturées.
Depuis le début de l’épidémie, la part des hospitalisations après passage aux urgences pour grippe a été de 51 % pour les personnes de 65 ans et plus, souligne l'organisme.
On pourrait écrire que c'est du jamais vu.
Mais non.
Il ne s'agit que de la répétition d'un scénario éprouvé il y a quelques années, lors de la précédente crise sanitaire où — au cours de de l’hiver 2015-2016 — l’épidémie avait conduit à une surmortalité de 18 300 personnes, dont 90 % chez les plus de 65 ans. Aucune leçon n'a donc été tirée des événements passés ?
Mercredi matin, la ministre de la Santé a appelé à reporter les opérations non urgentes pour désengorger les services hospitaliers. Elle a annoncé avoir donné " instruction aux hôpitaux de déclencher immédiatement toutes les mesures nécessaires, y compris leur “plan blanc”, pour éviter toute saturation des urgences. Le bilan de l’épidémie sera probablement lourd, puisque le nombre de personnes malades est particulièrement important, mais le système de santé répond présent », a-t-elle ajouté.
Patrick Pelloux, président de l'association des médecins urgentistes de France, s'étrangle. Selon lui, les mesures d'urgence permettent de "gérer la pénurie" mais ne sont pas une "solution" à la "saturation du système de santé". Le médecin blâme "une trentaine d’années de négligence (...) des différents ministres des Finances, qui ont restreint toujours davantage les budgets aux hôpitaux".
Sabrina Ali Benali, une jeune interne en médecine de l’AP-HP et membre du Parti de gauche, a décidé d'utiliser les réseaux sociaux pour exprimer sa colère. Sur un mode souriant et acide, elle juge que l'action de la ministre de la Santé durant l'épidémie de grippe se limite à "une opération de communication".
En attendant une improbable réaction de la ministre concernée, la vidéo du médecin cartonne : elle comptabilise 8 millions de vues sur Facebook au 13 janvier.
De son côté, la Confédération des Syndicats Médicaux Francais (CSMF) annonce qu'en quatre semaines "784.000 personnes ont consulté un médecin de ville" en raison de la grippe. Selon le syndicat, l’engorgement actuel des hôpitaux s’explique notamment par : "Le manque de prévention et les messages contradictoires des pouvoirs publics sur la vaccination. Résultat, seuls 52% des 65 ans et plus se sont fait vacciner contre la grippe saisonnière 2015-2016, bien loin de l’objectif de 75% !", et aussi, par
"le manque de moyens attribués à la médecine de ville en matière de prévention".
Répondant aux nombreuses critiques qui mettent en cause les suppressions de lits d'hôpitaux pour expliquer les tensions actuelles, le gouvernement a affirmé que "depuis 2012, il y a 2.450 lits de médecine en plus et 2.830 lits de soins de suite et de réadaptation supplémentaires".
"C'est insuffisant par rapport aux besoins de la population", a rétorqué le Dr Pelloux, affirmant qu'encore aujourd'hui, lors des regroupements d'hôpitaux, le gouvernement exige de fermer "un tiers des lits".
Dans une lettre ouverte publiée sur le site de Marianne , Michel Tsimaratos, Professeur de médecine en pédiatrie et néphrologie à l'Université Aix-Marseille, écrit que cette épidémie de grippe est un révélateur. Elle est, selon lui, la conséquence d'une politique irresponsable. Le médecin a ces mots : " L’épidémie en cours met en lumière l’exaspération de toute une profession. Parmi les contraintes qui ont conduit à l’hôpital "grippé " d’aujourd’hui, il y a d’abord la dictature des indicateurs chiffrés imposée par la tarification à l’activité, la T2A. Instituée en 2004, la T2A remplit les caisses de l’hôpital en fonction du nombre et du type de séjours de patients. Au début, la T2A a été perçue comme un levier de la performance, stimulant à la fois l’activité et la maîtrise des coûts. Mais l’hôpital est finalement devenu une entreprise sans en avoir la culture, entrant dans une spirale infernale qui a conduit à la dégradation de sa situation financière. "
Concernant le nombre de lits disponibles, Michel Tsimaratos, plutôt que de polémiquer sur les chiffres, préfère citer les données d l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes) : " Les hôpitaux publics sont passés de 392 644 lits en 1981 à 256 051 lits en 2011, et les hôpitaux privés à but non lucratif de 70 479 en 2000 à 57 717 en 2011".
Même constat pour Frédéric Valletoux, Président de la Fédération hospitalière de France (FHF). Dans un communiqué, il rappelle que "Les hôpitaux publics ont été contraints, ces dernières années, de réduire massivement leurs lits dans un mouvement souvent non accompagné de réorganisations territoriales. Rappelons que l’objectif cible du plan triennal était de 16. 000 lits supprimés. La politique d’économie au rabot atteint ainsi ses limites, de même que la politique de fragilisation des lits de soins d’aval conduite dans de nombreux territoires"
Enfin, le quotidien Le Parisien révèle que le nombre de morts sur la dernière semaine de 2016 "est bien supérieur à la moyenne, déjà habituellement élevée en janvier". Un diagnostic confirmé par l'Observatoire européen de la mortalité, dont les derniers chiffres sont tombés jeudi.
#grippe : Evolution de la mortalité observée >> https://t.co/JEDwNL8v0U pic.twitter.com/lrx8PAtyYz
— Le Parisien Infog (@LeParisienInfog) 13 janvier 2017