Fil d'Ariane
5,3 millions : c’est le nombre approximatif d’immigrés sur le sol français vers 2010 selon l’INSEE (Institut national français de statistiques). L’institut définit l’immigré comme « personne née étrangère à l'étranger et résidant en France »… Ce qui ne veut pas dire qu’il est encore étranger. Près de la moitié (41 %) ont acquis d’une façon ou d’une autre la nationalité française. L’ensemble de ces immigrés, selon cette acception, représentent donc 8 % de la population, chiffre en deçà de la moyenne européenne. Leurs « descendants directs » sont, en revanche, plus nombreux : 6,7 millions, soit 11 % de la population du pays. Les immigrés et leurs enfants constituent donc près du cinquième de la population vivant en France, une proportion voisine de celle de l’Allemagne.
Certains des pays d’origine de cette migration découlent de l’histoire coloniale (Maghreb, Afrique subsaharienne, Proche-Orient, ex-Indochine...), d’autres non (Europe du Sud ou de l’Est, Extrême-Orient). D’une façon plus large, et sans revenir aux grandes invasions qui l’ont faite, les vagues migratoires sont constitutives de la France actuelle. Elles prennent forme durant sa révolution industrielle, se confirment au XXème siècle dans l’entre-deux-guerres, puis dans les besoins de sa reconstruction et de son expansion des « trente glorieuses ». Rarement sans heurts, elles se banalisent le plus souvent avec le temps. Tour d’horizon, non-limitatif.
Différentes études estiment à près de 7 % la population française d’origine italienne et la Renaissance n’y est pas pour grand chose. C’est dans la seconde moitié du XIXème siècle que l’immigration en provenance de la péninsule devient un phénomène de masse, principalement économique.
Elle n’est pas dépourvue de tensions. Des incidents sanglants opposent dans les années 1880 des ouvriers français aux Italiens, accusés d’accepter des bas salaires. Le mouvement, pourtant, se poursuit.
Près de 500 000 Italiens vivent en France au début du XXème siècle, 800 000 dans les années 30, où apparaît également une immigration politique fuyant le fascisme. La Seconde guerre mondiale vient arrêter le flux, provisoirement. Un demi-million d’Italiens entrent encore en France de 1947 à 1967. Mieux admise dans le contexte d’expansion économique qui prévaut, la population italienne s’intègre à la société française... et à ses élites.
Également phénomène de la fin du XIXème siècle, l’immigration espagnole est d’abord essentiellement agricole et localisée surtout dans le sud de la France. Elle s’accélère à la faveur de la Première guerre mondiale. L’Espagne n’y est pas belligérante, mais le conflit offre à ses ressortissants l’occasion d’occuper en France de nombreux emplois devenus vacants. Ils y sont plus de 300 000 à la fin des années 20, désormais sur tout le territoire, dans l’industrie comme dans l’agriculture. La crise de 1929 stoppe le flux économique. La guerre civile espagnole en apporte bientôt un autre, politique.
La Retirada (retraite) des Républicains après leur défaite se traduit en 1939 par l’exode vers la France de près d’un demi-million de réfugiés espagnols, dans des conditions tragiques. Ils ne sont pas toujours bien accueillis et les autorités, à la fois débordées et apeurées les parquent dans des camps. Certains gagnent d’autres pays ou retournent en Espagne. La guerre mondiale survenue, un grand nombre d’hommes sont enrôlés en 1940 dans les « compagnies de travailleurs étrangers » mises en place par le gouvernement de Vichy. Mais beaucoup rejoindront dans les années suivantes la Résistance ou la France libre du Général de Gaulle. Les premiers blindés de la « 2ème D.B. » parvenus à l’Hôtel de ville lors de la libération de Paris sont ceux de sa 9ème compagnie dite « la Nueve » , conduits par des combattants républicains espagnols.
Dans les décennies d’après-guerre, flux économique et politique se conjuguent à nouveau pour faire de l’immigration espagnole la première de France avec la Portugaise : plus de 600 000 résidents en 1968. Les hommes occupent souvent des emplois peu qualifiés dans le bâtiment ou l’agriculture, les femmes dans les services domestiques. La « bonne espagnole » devient un archétype voisinant dans l’imaginaire français avec Picasso ou de prestigieux intellectuels.
La fin de l’expansion économique comme différentes mesures prises en Espagne en faveur du retour conduit dès le début des années 70 à une inversion de l’émigration espagnole, confirmée après la mort de Franco et la mutation du pays. Beaucoup, cependant, choisissent de rester, donnant à la France actuelle, entre bien d’autres, son Premier ministre et la Maire de Paris.
Jusqu’au début du XXème siècle, les Portugais installés en France sont surtout des intellectuels et des artistes, voire des exilés politiques. L’entrée en guerre du Portugal aux côtés des alliés en 1916 vient tout changer. Outre ses combattants, Lisbonne envoie en France 20 000 travailleurs recrutés dans le cadre d’un accord de main d’œuvre. Beaucoup y resteront. D’autres les rejoindront employés pour l’essentiel dans l’industrie. Le coup d’État militaire de Salazar en 1926 alimente a nouveau l’émigration politique. 50 000 Portugais sont recensés en France en 1931.
Stoppé par la seconde guerre mondiale et l’occupation, le mouvement reprend à son lendemain, stimulé par la reconstruction et les décennies de croissance. Il est particulièrement sensible dans les années 60, où le nombre de Portugais en France décuple pour atteindre 700 000, en faisant un moment la première « communauté » étrangère de France. Parmi eux, nombre de femmes et d’enfants mais aussi des jeunes désireux d’échapper à la mobilisation militaires des guerres coloniales menées par le régime, qui formeront une diaspora politisée.
La majorité des immigrés économiques proviennent du nord de leur pays. Ils vivent souvent dans des conditions médiocres jusqu’à la destruction des bidonville au milieu des années 60. Les hommes occupent des emplois industriels. Les femmes qui travaillent sont souvent, comme les Espagnoles, domestiques mais aussi, spécialité renommée de l’imagerie parisienne, concierges d’immeubles.
L’afflux cesse dans les années 70 et s’inverse progressivement après la Révolution de 1974. Les retours qui s’ensuivent n’ont pas empêché le maintien de liens étroits avec l’ancien pays d’accueil.
Naturellement liée à l’histoire coloniale française, l’immigration maghrébine ne coïncide pas pour autant mécaniquement avec elle. Après sa conquête en 1830, l’Algérie devient une terre … d’accueil pour des centaines de milliers d’Européens. Ce n’est que dans la seconde moitié du XIXème siècle qu’un appauvrissement largement provoqué par le système colonial conduit des populations « indigènes », principalement masculines et kabyles, à émigrer de l’autre côté de la Méditerranée, en premier lieu vers Marseille où un foyer se constitue. Considérés comme français – sans en avoir les droits -, ils ne sont pas précisément comptabilisés mais une étude de 1912 évalue les « travailleurs originaires d’Algérie » à 5 000 en métropole.
La Grande guerre, une fois encore, bouleverse la donne. 100 000 travailleurs algériens sont recrutés de 1914 à 1918 et 175 000 soldats coloniaux maghrébins. Beaucoup ne reviendront pas et c’est en hommage aux 70 000 morts musulmans pour la France qu’est mise en chantier , en 1920, la Mosquée de Paris. La majorité des survivants sont renvoyés alors chez eux. Une partie reste. 31 000 « sujets algériens » sont recensés en 1921, près de 85 000 en 1936. Jeunes et célibataires, leur installation est le plus souvent temporaire et leurs effectifs sujets à de grandes variations. Des idées nouvelles se répandent. Messali Hadj fonde en 1926 à Paris l’ « Etoile nord-africaine » qui revendique l’indépendance des pays du Maghreb. Elle est dissoute en 1937.
Interrompue par la seconde guerre mondiale qui coûte cher à l’Afrique du Nord en vies humaines, l’immigration économique reprend dès son lendemain. Plus de 200 000 Algériens sont recensés en 1954 en métropole (et seulement 6 000 Marocains, qui affluent ultérieurement). La guerre d’Algérie déchire la communauté en une lutte fratricide et sanglante entre FLN et Mouvement national algérien de Massali Hadj sur fond de répression mais ne tarit pas le flux. On compte en 1962 350 000 Algériens sur le sol français.
Le mouvement se poursuit après les indépendances. Dans l’industrie automobile ou le bâtiment, les Maghrébins deviennent après les Espagnols et Portugais les figures emblématiques de l’immigré, souvent logé dans des foyers ouvriers. Longtemps ignoré, celui-ci devient sujet majeur dans l’ébullition politique née de mai 68. Des luttes aboutissent à des régularisations massives en 1973. De nouvelles revendications émergent telles le droit de vote ou celui de devenir français. La crise économique au milieu des années 70 conduit à un arrêt théorique de l’immigration, tout en laissant la porte ouverte au regroupement familial. La concentration de ses populations dans des cités-ghettos prépare des lendemains difficiles.
À partir des années 80, l’immigration maghrébine – un tiers environ de l’ensemble, les Marocains prenant une part croissante depuis les années 70 - devient une question politique centrale, divisant les politiques et nourrissant l’ascension du Front National, sur fond de luttes ou sursauts (marche des beurs, occupations de lieux, SOS racisme) qui, malgré de nouvelles mesures ou régularisations ponctuelles, peinent à déboucher durablement. En dépit de l’intégration majoritaire des jeunes générations, le sujet demeure sensible dans la société française.
Également liée à l’histoire coloniale française, l’immigration d’Indochine (Vietnam, Laos, Cambodge) est plus tardive, concentrée dans le temps et aussi – du simple fait de la réalité géographique – bien plus limitée. Elle n’en marque pas moins le nouveau visage de la population française.
Comme les autres, elle prend son essor avec la première guerre mondiale. 50 000 « ouvriers-soldats » vietnamiens sont recrutés pour servir, notamment, dans les usines d’armement. L’histoire se répète lors de la seconde Guerre mondiale où sont enrôlés, parfois de force, 20 000 hommes au titre de la Main d’œuvre indigène et 8000 comme combattants. Après l’armistice, beaucoup sont captés pour le travail forcé en Allemagne. D’autres sont utilisés par Vichy pour la culture du riz en Camargue.
Une partie choisit de rester après le conflit, et la communauté vietnamienne en France est alors estimée à près de 30 000 personnes, en diminution les années suivantes malgré l’apport significatif d’étudiants. Après les accords de Genève en 1954 (défaite française, division du pays), un nombre important de Vietnamiens est rapatrié en métropole, d’autant moins aisé à chiffrer que beaucoup ont acquis la nationalité française. La diaspora vietnamienne croît en tout cas régulièrement, par étapes souvent liées à l’avancée communiste.
La chute de Saïgon en 1974 précipite logiquement le mouvement. La première vague d’évacuation est suivie de celle dite des « boat people » qui voit des centaines de milliers de réfugiés fuir le pays par différentes voies, et notamment par la mer au prix de drames et de lourdes pertes. La plupart s’efforcent de gagner les États-Unis. Une petite proportion - souvent par défaut ou du fait d’attaches pré-existantes car le pays n’est pas jugé politiquement sûr - opte pour la France, où des intellectuels, de Jean-Paul Sartre à Raymond Aron, se mobilisent en leur faveur. 22 000 Vietnamiens y obtiennent entre 1974 et 1980 le statut de réfugié politique. Certains croient à une installation temporaire. La plupart resteront, renforcés par d’autres apports jusque dans les années 90.
Leur nombre total fait aujourd’hui l’objet d’évaluations d’autant plus approximatives qu’ils se sont intégrés sans heurts et ne se sont guère regroupés. L’Ambassade du Vietnam estime que « le nombre des Vietnamiens [en France] s’approche de 300 000 personnes qui sont pour la plupart naturalisées français ou s’y installent de façon régulière ».
Un récent rapport du Sénat estime à 188 000 le nombre de ressortissants d’Afrique subsaharienne « anciennement sous domination française », « vivant régulièrement en France », précisant prudemment que l’effectif réel est probablement proche du double. Principaux pays d’origine : le Sénégal, le Mali, la République du Congo, le Cameroun.
Si, une fois encore, ces origines s’expliquent par l’histoire coloniale et les liens particuliers qui s’y sont tissés voire la parenté francophone, leur afflux est en réalité relativement récent. Les deux conflits mondiaux ont certes amené sur le continent européen des centaines de milliers de combattants d’Afrique. Si une petite partie – des survivants – y est restée, la grande majorité est rentrée une fois démobilisée. Une migration scolaire s’est par ailleurs développée tout au long de la période coloniale (et après), stimulant la prise de conscience politique et la revendication indépendantiste tout en favorisant l’émergence d’élites européanisées. L’émigration du travail, elle, a lieu au rythme des opportunités économiques et de la demande – après les guerres, notamment – sans être massive ou remarquée.
Elle prend un essor particulier dans les années 70, stimulée par la sécheresse qui frappe le Sahel et le chômage croissant dans des pays en voie d’urbanisation. Des politiques restrictives la ralentissent ; d’autres l’accélèrent telle celle du regroupement familial. « Légaux » ou non, beaucoup d’immigrants – désormais des deux sexes - viennent de la vallée du fleuve Sénégal (Sénégal, Mali, Mauritanie). Leur départ peut être d’initiative individuelle ou décidé par la communauté, voire pris en charge par elle. Les confréries, au Sénégal, y jouent un rôle important. Les emplois occupés sont dans l’ensemble peu qualifiés. L’argent gagné est généralement en partie renvoyé au pays, en constituant une ressource significative. Les chemins de l’exil sont multiples et meurtriers : pirogue, traversée du Sahara et du détroit de Gibraltar, voies aériennes détournées …
Il faut cependant noter que pour la majorité des migrants, la destination reste d’abord régionale, vers des régions côtières attractives. Une partie seulement se dirige vers l’Europe et une petite minorité vers la France où elle ne représente que 12 % de l’immigration totale. Le plus souvent bien acceptée, la présence africaine « noire » n’y est pas moins devenue familière dans les dernières décennies en particulier dans les grandes villes. Les nombreux mariages mixtes contribuent au métissage d’une population française où l’ascendance strictement gauloise, décidément, tend à se raréfier.