A la Goutte d'Or, le photographe Martin Parr fait sauter les clichés

Le célèbre photographe britannique Martin Parr pose son regard piquant sur le quartier populaire et métissé de la Goutte d'Or au coeur de Paris. Ses photos sont exposées à l'Institut des cultures d'islam jusqu'en juillet 2011.
Image
A la Goutte d'Or, le photographe Martin Parr fait sauter les clichés
Musulmans en prière : produits exotiques ? - Martin Parr/Magnum Photos - Institut des cultures d'islam
Partager 7 minutes de lecture
Le jour même où l’UMP, le parti conservateur au pouvoir en France, lance un débat controversé sur la laïcité et l’islam, l’Institut des cultures d’islam réplique par l’art et le festif en organisant une soirée déjantée et en inaugurant l’exposition du photographe Martin Parr sur la Goutte d’Or, quartier populaire et métissé de Paris, situé à deux pas du Sacré coeur. « C’est une sorte de pied de nez, lance et assume la directrice Véronique Rieffel. Il est temps d’arrêter de montrer l’islam du doigt. Ici, nous revendiquons une bienveillance sans tomber dans l’angélisme. Nous posons les problèmes de manière non pas stigmatisante mais constructive ». LA MAUVAISE REPUTATION Le photographe britannique Martin Parr de la prestigieuse agence Magnum ne connaissait pas la Goutte d’Or avant d’y mettre les pieds. C’est sur une invitation de l’Institut qu’il a accepté d’y séjourner en janvier dernier. Il faut dire que ce quartier, à l’exception de son marché Dejan regorgeant de produits exotiques, est le plus souvent ignoré des touristes et des Parisiens eux-mêmes. Il a toujours eu « mauvaise réputation », indique Véronique Rieffel, et depuis quelque temps il est même devenu l’objet d’une polémique en France en raison des prières pratiquées par des centaines de musulmans sur la voie publique chaque vendredi midi. Marine Le Pen, la dirigeante de l’extrême droite française à la tête du Front National, a été l’une des premières à monter au créneau en dénonçant une nouvelle forme « d’ occupation ». Puis des apéros « pinard-saucisson », ouvertement dirigés contre les musulmans, ont été organisés dans ce même coin de la capitale. C’est donc dans cette ambiance tendue que Martin Parr a dû travailler. Il l’avoue lui-même, cela n’a pas été simple. « La France est sans doute le pays occidental où les droits photographiques sont les plus restrictifs puisqu’il y a une loi qui ne me permet pas de photographier tout ce que l’on veut et qui exige des autorisations avant publication. Toute le monde veut protéger ses droits et gagner de l’argent. Et ce quartier de Paris est certainement la zone de France la plus difficile à photographier. Faire ce reportage était un énorme défi. » Pour faciliter la prise de contact, l’Institut des cultures d’islam s’était chargé en amont de caler tous les rendez-vous avec les associations, les lieux de cultes, les commerçants et les personnalités du quartier. Le séjour de Parr s’apparentait donc plus à une visite guidée qu’à une réelle immersion d’autant qu’il n’a passé que quatre jours à la Goutte d’Or. Dans ces conditions, on aurait pu craindre un travail bâclé. Mais c’est tout le contraire. Le résultat est réjouissant.
DOUCE HUMANITE Le photographe fait sauter les clichés et brouille les repères. Il surprend de vieilles dames musulmanes dévorant de bon coeur une galette des rois. Il se retrouve dans le salon d’une famille pieuse, où les trois filles, la tête sans foulard, ont les yeux grands ouverts sur le monde. Il rentre dans un hôtel où dans un coin de la pièce le drapeau algérien se mêle à celui de la France (voir la photo plus bas). Il s’introduit dans l’appartement d’un prof de langue Wolof, où le père noël et le sapin enguirlandé trônent au milieu de grigris sénégalais ! Contrairement à ses habitudes, le photographe ici ne joue pas sur le sarcasme et la moquerie. Il fait naître une humanité douce et généreuse mais reste fidèle à son humour british en détournant codes sociaux et références culturelles à l’instar de ce gros plan de théières en plastique multicolore légendé United Colors of The Goutte d’Or, piquant clin d’oeil au célèbre slogan de la marque italienne Benetton.
PRODUITS EXOTIQUES ? Parmi les 35 photos exposées, la plus saisissante est sans doute celle intitulée « Musulmans en prière, produits exotiques ? ». Ramenant au premier plan le sujet sensible de la Goutte d’Or, elle montre des hommes accroupis sur leur tapis de prière qui, se plaçant dans l’axe de la Mecque, font face à une épicerie vendant des produits exotiques (voir la photo plus haut). Ici l’ironie est de mise et invite à la réflexion. Mais, pour traiter de ce sujet, Martin Parr recourt aussi à la simplicité, en écartant la polémique et en révélant le problème tel qu’il est, c’est-à-dire le manque de place dans les deux mosquées du quartier obligeant les fidèles à se recueillir, par tous les temps, dans la rue. « Ce n’est pas une provocation de leur part mais une pure nécessité», explique t-il. « De manière étonnante, c’est pendant la prière du vendredi où l’ambiance pour moi a été la plus détendue, précise le professionnel. Alors qu’il y a au moins 2000 personnes dans la rue, j’ai pu photographier les gens sans qu’ils se sentent attaqués. Ce sont des scènes incroyables. Je n’avais jamais vu ça de ma vie. Au Royaume-Uni, cela n’arrive jamais car c’est beaucoup plus simple de construire des mosquées. C’est la grosse différence avec la France.» Martin Parr ne s'est pas limité à l'extérieur. Il est aussi entré dans les mosquées et a même photographié les femmes en prière. Tout cela avec l’accord des autorités religieuses. « L’islam n’a pas à se cacher, déclare M. El Hamdaoui, l’imam d'Al Fath. La porte de la mosquée est grande ouverte à tous. Moi j’ai trouvé les photos de Martin Parr magnifiques. »
A la Goutte d'Or, le photographe Martin Parr fait sauter les clichés
Réception canine dans un hôtel du quartier - Martin Parr/Magnum Photos - Institut des cultures d'islam

Martin Parr : note biographique

Martin Parr : note biographique
Né en 1952 dans la banlieue sud de Londres, Martin Parr est un photographe britannique membre de l'agence Magnum. Il a acquis une renommée internationale grâce à son imagination innovante et son approche originale du documentaire. Il a beaucoup travaillé sur ses propre concitoyens, ainsi que la consommation et les loisirs de masse.

L'Institut des cultures d'islam

Implanté depuis 2006 dans la Goutte d'Or à Paris, l'Institut des cultures d'islam est un établissement culturel de la ville de Paris. « C'est un lieu d'accueil unique en son genre des cultures que l'on dit d'ailleurs mais qui s'avèrent résolument d'ici », précise la directrice Véronique Rieffel. L'Institut expose les photographies de Martin Parr, The Goutte d'or, du 5 avril au 2 juillet 2011.
L'Institut des cultures d'islam

Le quartier de la Goutte d'Or

Le quartier de la Goutte d'Or
Quartier situé au pied du Sacré Coeur, à deux pas de Montmartre, la Goutte d'Or tire son nom de la couleur du vin blanc que ses vignes produisaient autrefois. Aujourd'hui la densité de population y est presque trois fois plus forte qu'ailleurs dans Paris. 36% de habitants sont d'origine étrangère, contre 17,5% en moyenne dans la capitale. Le quartier compte deux mosquées et abrite la célèbre église saint Bernard qui avait été occupée en 1996 par 300 étrangers en situation irrégulière.

Laïcité et islam en France : état des lieux sur le débat de l'UMP du 5 avril

Par P. H.
Le débat sur la laïcité et l’islam initié par le président de la république en février dernier fait suite à l’échec, en 2009, de celui sur l’identité nationale. Le secrétaire général de l’UMP, Jean-François Copé, organise le 5 avril une « convention » sur la laïcité et la place de l’Islam en France. Le site internet de l’UMP justifiait le 4 mars la nécessité d'un débat dans un éditorial du secrétaire général de l'UMP de la façon suivante : « avec le débat sur l’identité nationale, nous avions collectivement fait le constat que notre Nation se fissurait en silence et notamment que la laïcité était mise à mal par les pratiques cultuelles de certains intégristes qui testent la République …un débat sur la laïcité en 2011 ne peut pas faire l’impasse d’une réflexion sur la pratique du culte musulman et sa compatibilité avec les principes de la République ». Il y aura donc un avatar de débat sur l'islam et la laïcité, devenu « Convention sur la laïcité », avec pour sujets de réflexion « la construction et le financement des lieux de culte, les prières de rue, la formation des imams, les patients qui refusent d’être examinés ou soignés par des médecins de l’autre sexe, l’incompatibilité des prescriptions alimentaires -casher ou halal- avec les menus des cantines scolaires, la mixité des cours de sport, la langue utilisée pour les prêches etc. »