La Grèce vers un nouveau tour de vis

Les négociations ont repris cette semaine à Athènes entre la Grèce et les représentants de ses quatre principaux créanciers (Fonds monétaire international, Banque centrale européenne, Commission européenne, Mécanisme européen de stabilité). En jeu : plus de privatisations et sacrifices contre le déblocage d'une tranche de prêt. La Grèce continue de réclamer une renégociation, enfin, de sa dette. Berlin demeure intraitable.
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Manifestation contre une réforme des retraites paysannes en février 2016, à Athènes.
(AP Photo/Petros Giannakouris)
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Il y a certaines choses qu'on ne peut pas retirer aux maîtres de la finance internationale et, singulièrement, européenne : leur sens de la formule, leur finesse politique doublée d'une modestie respectueuse des peuples.

Pour désigner ceux d'Europe du Sud rétifs aux cures d'austérité qu'édictent leur commandement, « on » (officiels en confidence « off », medias anglo-saxons imités par les autres...) avait tantôt employé l'appellation hilarante de « Club méditerranée » (Espagne, Portugal, Italie, Grèce), tantôt, plus directe encore, celle de PIGS (« cochons » en anglais, acronyme de Portugal, Italy, Greece, Spain).

Nullement embarrassé par six années d’errements avérés débouchant sur un champ de ruine politique, les grands argentiers de l'Union ont sèchement sifflé les Grecs le week-end dernier par la voix bonne-blagueuse de leur chef de file, Jeroen Dijsselbloem :  « L'été est terminé. Il faut ranger le matériel de camping ». Au delà de sa trivialité, le propos mérite explications.

Des arbitres au dessus de tout soupçon

Jeroen Dijsselbloem est un homme politique néerlandais, travailliste et ministre des Finances de son pays en effet peu propice au camping. Il préside l'Eurogroupe après Jean-Claude Juncker, successeur à la présidence de la Commission de Manuel Barroso, lui-même devenu conseiller de la banque américaine Goldman & Sachs, à l'origine du désastre financier de 2008.

L'Eurogroupe est un organe « informel » (c'est à dire particulièrement dépourvu de contrôle démocratique) des ministres des Finances de la zone euro. Se faisant l'instrument des bailleurs de fonds de la Grèce, il avait infligé en juillet 2015 à Athènes et son gouvernement, élu six mois plus tôt contre leurs exigences, une capitulation humiliante, imposant un programme plus violent encore d'austérité et de privatisations. Explicitement rejeté des Grecs par référendum, ce dernier était finalement avalisé par le Premier ministre Alexis Tsipras, réduit à la soumission et à un mortifiant chemin de croix.

En mai 2016, son gouvernement amputé a dû accepter en contrepartie d'une nièmetranche d'aide (7,5 milliards d'euros) un nième train de réformes douloureuses, touchant particulièrement les retraites et l'impôt, assorti de mécanismes limitant la souveraineté du pays. Tsipras - et ce qui reste de sa coalition Syriza, désormais l'ombre d'elle-même – s'est une nouvelle fois incliné dans l'espoir d'obtenir ce qui, à ses yeux, payerait ses renoncements : une renégociation globale de la dette du pays.

Amené au fil de ses échecs à un certain réalisme et actuellement conduit par une directrice générale en instance de jugement en France pour « négligence » dans l'affaire Tapie, le FMI, tout compte fait, n'y est aujourd'hui plus complètement hostile, admettant un peu tard qu’il n’y a pas d’autre issue pour la Grèce comme pour ses créanciers. L'Allemagne, en revanche, ne veut pas en entendre parler, en particulier son ministre des Finances Wolfgang Schaüble, impliqué naguère dans divers scandales politico-financier et aujourd'hui incarnation de la rigueur berlinoise. Il estime que les Grecs – considérés tacitement comme une bande de fainéants – peuvent et doivent payer leurs 330 milliards d'euros de dette (contractée naguère avec la bénédiction de l'Union européenne et des institutions financières), dût-on y passer des siècles. Que son pays ait, durant le dernier conflit mondial, occupé et détruit la Grèce et de ce fait également – selon cette dernière - contracté une dette à son endroit l'indiffère.

Une Grèce exsangue mieux appréciée

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Une rue d'Athènes (2015).
(AP Photo/Daniel Ochoa de Olza)

Si l’état financier de la Grèce – un peu plus solvable, grâce aux perfusions régulières – convient mieux qu’il y a un an aux banques et institutions internationales, il se traduit pour sa population par une détérioration accrue de sa situation. Son PIB, inférieur de 25 % à ce qu'il était il y a sept ans, continue de régresser. Le chômage reste voisin de 24 %; plus du double chez les jeunes. L'émigration croît. Les taxes augmentent ; les revenus diminuent et rien n'indique une amélioration tangible de l'économie. La malnutrition et la pénurie de soins gagnent de nouveaux secteurs tandis que le pays se trouve bien malgré lui en première ligne dans la crise migratoire internationale.

Dans ce contexte, la plaisanterie désopilante du président de l'Eurogroupe sur les vacances qu'il convient d'achever (« l'été est terminé ») et le matériel de camping à ranger (ce sont des pauvres, il faut leur parler de choses à leur portée) ne fait pas particulièrement rire les Grecs. Elle n'en révèle pas moins, outre la délicatesse ambiante du monde de son auteur, une impatience grandissante.

Un nouveau round de discussion s'ouvre cette semaine à Athènes. Or, le camp des bailleurs de fonds s'agace des lenteurs grecques à appliquer leurs exigences. Leur pression porte sur la « lutte contre la corruption » mais surtout, gisement prometteur de bonnes affaires, sur le nouveau fonds de privatisation imposé au pays. Baptisé "super-fonds" par les Grecs, l'institution doit être dirigée par le Français Jacques Le Pape, ancien collaborateur de Christine Lagarde quand l'actuelle directrice générale du FMI (cf supra) était ministre de l'Économie en France.

Nous avons fait preuve d’une extrême résistance, mais il est temps que l’Europe donne un signal de sortie de crise.Alexis Tsipras, 7 novembre 2016

Les créanciers exigent d'Athènes des gages sur la libéralisation de pans entiers de l'économie (énergie, eau....), et l'accélération des privatisations dont ce nouveau fonds est censé être le garant. Dans l'espoir, toujours, d'ouvrir enfin la voie à des premières mesures d'allègement de la dette publique du pays, le gouvernement grec, à nouveau, s'affiche coopératif. Mais le prix est lourd, les concessions de plus en plus impopulaires et Alexis Tsipras de plus en plus seul. « Nous avons fait preuve d’une extrême résistance, estime t-il dans une interview au Monde, du 7 novembre. Mais il est temps que l’Europe donne un signal de sortie de crise ».