La guerre au Proche-Orient profite-t-elle à Vladimir Poutine ?

Tous les yeux sont rivés sur le Proche-Orient depuis l’offensive du Hamas en Israël le 7 octobre. Mais la guerre en Ukraine se poursuit. En quoi la guerre à Gaza a modifié la perception de ce qu’il se passe en Ukraine ?

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Poutine

Le président russe Vladimir Poutine marche pour assister à une cérémonie de bienvenue avec le président du Kirghizstan Sadyr Japarov avant leur entretien à Bishkek, Kirghizstan, le 12 octobre 2023.

Pavel Bednyakov, Sputnik, Kremlin Pool Photo via AP
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"C'est inacceptable. Plus de deux millions de personnes y vivent. Tout le monde ne soutient pas le Hamas". Ces propos ont été tenus le 13 octobre 2023 par le président russe Vladimir Poutine, au cours d’une conférence de presse au Kirghizistan. Selon lui, le siège de la bande de Gaza par l’armée israélienne est "comparable à celui de la ville soviétique de Léningrad par les Nazis" pendant la Seconde Guerre mondiale.

L’attention n’est plus sur l’Ukraine, mais elle est sur Gaza.

Jean de Gliniasty, directeur de recherche à l’Iris

Avec le conflit entre Israël et le Hamas qui occupe le devant de la scène, on oublierait presque que la Russie mène sa propre guerre en Ukraine depuis près de 21 mois. “Incontestablement, il y a un effet d’aubaine pour la Russie, reconnaît Jean de Gliniasty, directeur de recherche à l’Iris, ancien ambassadeur à Moscou et ancien consul général à Jérusalem. D’un seul coup, l’Ukraine passe au deuxième plan des priorités américaines et européennes. L’attention n’est plus sur l’Ukraine, mais elle est sur Gaza.” 

Des conséquences pour l’aide occidentale ?

Carole Grimaud, analyste géopolitique, spécialiste de la Russie et des espaces post-soviétiques constate également que “le conflit au Proche-Orient est venu éclipser le conflit en Ukraine”, notamment au niveau de la couverture médiatique. Elle s’interroge sur les conséquences que le conflit entre Israël et le Hamas peut avoir sur l’aide financière de la part des pays européens et des États-Unis. En effet, “l’aide américaine (pour l'Ukraine) est difficile à faire accepter par le Congrès, compte tenu des interrogations à propos des élections de 2024”, précise l’analyste. 

Jean de Gliniasty explique qu’aux États-Unis, “le nouveau président républicain de la Chambre des représentants (NDLR : Mike Johnson) a désarticulé le paquet d’aide solidaire pour l’Ukraine et Israël.”

Nous allons présenter cette semaine à la Chambre un projet de loi distinct sur l’aide à Israël, et je sais que nos collègues républicains du Sénat préparent une mesure similaire”, déclare Mike Johnson le 30 octobre à la chaîne de télévision américaine Fox News. De cette manière, le président de la Chambre des représentants s’oppose à la proposition initiale de Joe Biden, le président américain. Ce dernier demandait au Congrès de voter une aide de 105 milliards de dollars qui serait allée à la fois à l’Ukraine, à Israël et aux besoins sécuritaires du pays. Pour le directeur de recherche à l’Iris, cela signifie que “même si Mike Johnson n’est pas contre l’aide à l’Ukraine, la priorité va à Israël.” 

Les réassurances de soutien de la part de l’Union européenne et des États-Unis continuent de s’exprimer.

Carole Grimaud, spécialiste de la Russie et des espaces post-soviétiques

Cependant, Jean de Gliniasty reconnaît que “jamais les Américains ou les Européens, qui ont beaucoup investi, ne laisseront tomber l’Ukraine car cela serait une défaite occidentale absolument dramatique.” Samedi 4 novembre, la présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen s’est rendue à Kiev pour réaffirmer le soutien “inébranlable” de l’Union européenne à l’Ukraine. Elle y a notamment évoqué un programme d’aide destiné à financer l’Ukraine sur les prochaines années à hauteur de 50 milliards d’euros. Elle espère trouver un accord pour le réaliser “d’ici la fin de l’année.” Pour Carole Grimaud, c’est la preuve que “les réassurances de soutien de la part de l’Union européenne et des États-Unis continuent de s’exprimer.”

Le temps est une arme pour la Russie.

Carole Grimaud, spécialiste de la Russie et des espaces post-soviétiques

Un avantage à long terme ?

Carole Grimaud reconnaît également que “le temps est une arme pour la Russie” sur différents niveaux. D’abord, “au niveau des combats sur le terrain, mais aussi parce qu’il y a un déséquilibre au niveau des soldats.” En effet, l’enlisement du conflit dans la durée dessert plus à l’Ukraine, qui peine à renouveler les effectifs de son armée, qu’à la Russie, qui dispose encore de beaucoup d’hommes. C’est aussi le cas au niveau de l’aide occidentale, car “la Russie a parfaitement compris que sans le soutien occidental, l’Ukraine n'aurait jamais pu tenir presque deux ans de guerre”, explique Carole Grimaud. 

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Jean de Gliniasty estime toutefois que si le conflit entre Israël et le Hamas venait à durer, cela serait ennuyeux pour Vladimir Poutine “parce qu’il a très soigneusement élaboré une politique d’équilibre entre le monde arabe et Israël.” Il explique notamment qu’”il y a au moins un million de Russes en Israël, Poutine entretient de bonnes relations avec Netanyahu"

Le Kremlin veut parler à tout le monde. Le 16 octobre, Vladimir Poutine s’est entretenu lors de plusieurs appels téléphoniques avec le président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi, iranien Ebrahim Raïssi, syrien Bachar al-Assad et celui de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas. Le 26 octobre le représentant spécial de la présidence russe pour le Moyen-Orient a même reçu une délégation du Hamas à Moscou.

Iouri Ouchakov, ancien ambassadeur de la Russie aux États-Unis affirmait aux agences de presses russes que selon Moscou, l'objectif de négociations de paix doit être la solution à deux États, approuvée par l'ONU, avec la création d'un État palestinien avec une capitale à Jérusalem-Est. Depuis l'attaque sanglante du Hamas contre le territoire israélien le 7 octobre, suivie d'une intense riposte militaire d'Israël, Vladimir Poutine a appelé à des négociations entre les deux parties, en estimant que le conflit était un "exemple clair de l'échec de la politique des États-Unis". 

À Moscou, la population est plutôt pro-israélienne et les actes du Hamas ont beaucoup choqué.

Jean de Gliniasty, directeur de recherche à l’Iris

Cet équilibre est en train d’être bouleversé par la poursuite de la crise à Gaza”, considère Jean de Gliniasty. À Moscou, la population est plutôt pro-israélienne et les actes du Hamas ont beaucoup choqué.” “Mais ma prédiction, c’est que si la situation s’aggrave, la pente naturelle de la diplomatie russe sera d’aller vers les Arabes, analyse-t-il. Lors de la guerre froide entre les Etats-Unis et l'URSS, Moscou avait soutenu les États hostiles à Israël, allié de Washington, comme la Syrie.