Fil d'Ariane
Voici plusieurs mois que la crise couve dans ce petit pays coincé entre Ukraine et Roumanie, le plus pauvre d'Europe. Des dizaines de milliers de Moldaves ont manifesté dimanche contre la corruption ; l’opposition réclame des élections anticipées immédiates.
Cela fait plusieurs mois que la crise couve en République moldave, un pays considéré comme le plus pauvre d’Europe, avec un salaire minimal légal de 58 euros par mois. Mercredi, le parlement a désigné un nouveau gouvernement, le troisième en moins d’un an, déclenchant la colère populaire. Certains manifestants ont même tenté d’envahir le parlement pour mettre fin à la cérémonie d’investiture.
L’opposition et la société civile ont dans le viseur un homme, Vladimir Plahotniuc, l’oligarque le plus puissant du pays, dont elles dénoncent la mainmise sur les gouvernements successifs. «C’est la révolution des balais !» déclare l’activiste Oleg Brega, pour souligner la volonté des Moldaves de se «débarrasser de la mafia» au pouvoir. «Les gens descendent dans la rue parce qu’ils veulent du changement et une classe politique plus responsable», poursuit-il.
«Le peuple est avec nous : il ne veut pas soutenir les oligarques et les autorités criminelles», a martelé hier Andreï Nastase, un des chefs de l’opposition. La foule, elle, réclamait «le retour du milliard», ces 915 millions d’euros qui se sont évaporés en avril dernier du système bancaire, une somme immense qui représente 15% du PIB du pays, alors que l’ancien premier ministre Vlad Filat a été arrêté en octobre pour le détournement de 250 millions de dollars.
Dans cette ancienne république soviétique, coincée entre la Roumanie européenne et l’Ukraine en crise, 79% de la population est d’origine ethnique roumaine, alors que 14% des Moldaves relèvent des minorités russe et ukrainienne. Dans ce contexte, les tensions politiques ont souvent été analysées comme un affrontement entre les forces européennes et les forces tournées vers Moscou.
Mais, ces derniers jours, les protestataires proviennent des deux côtés du spectre politique. «C’est un mouvement qui rassemble large, estime Lina Vdovîi, journaliste moldave qui travaille désormais à Bucarest. On y trouve des russophiles, de bons Moldaves, des gens amers et appauvris ; tous veulent des élections anticipées, un président élu par le peuple, et qu’on retrouve le milliard.»
Symboliquement, les manifestants ont appelé le président roumain, Klaus Iohannis, à «soutenir les Roumains de Bessarabie», mais malgré la signature de l’accord de partenariat entre la Moldavie et l’Union européenne la question européenne et russe joue pour le moment un rôle secondaire, alors que la pauvreté et la corruption s’accroissent de manière alarmante dans le pays.
Dimanche, les responsables de l’opposition ont fixé un ultimatum au gouvernement : si ce dernier ne décide pas avant jeudi, 18 heures, d’organiser des élections anticipées, les manifestants bloqueront les accès à la capitale et convoqueront «des centaines de milliers de personnes dimanche prochain» à Chisinau.
«Le gouvernement est conscient des enjeux, et il y aura sans doute des négociations en vue de nouvelles élections», estime Oleg Brega. Une perspective qui pourrait plonger la Moldavie dans l’incertitude : en effet, les partis pro-russes sont estimés majoritaires, alors que Chisinau n’est qu’à quelques heures d’Odessa et de la Crimée, où le Kremlin a déjà avancé ses pions.