C'est l'histoire de deux corps. Un corps tuméfié, écrasé, jeté à la mer. Un autre, plein de vie, droit comme un "i", face à la caméra. Deux corps qui ont longtemps été associés par des Américains d'extrême droite pour qui Obama et Osama étaient les deux revers d'une même médaille. On se souvient des portraits d'Obama en Ben Laden, des cris "terroristes, terroristes, terroristes" lors d'un discours de John McCain pendant la campagne de 2008. Sans parler de
la "Une" du New Yorker qui reprenait l'ensemble des préjugés dont Obama était victime, à commencer par son lien avec Ben Laden symbolisé par une photo dans son bureau... Associé à Ben Laden, le corps d'Obama n'était pas celui d'un président. Pas celui d'un homme capable de protéger le monde. De là à le considérer comme anti-américain, certains avaient franchi allégrement ce pas. Ses politiques n'étaient pas conformes aux idéaux de la nation (souvenez-vous des portraits d'Obama en Mao, Staline, Hitler...aucun Américain donc) à l'occasion des manifestations du
Tea Party contre la réforme de Santé, "Obamacare". Sans parler de sa couleur.
rhétorique de la non-légitimité Tout avait mal commencé : le 20 janvier 2009, jour de l'investiture, il avait répété l'erreur du Chief Justice lors de la prestation serment, obligeant le nouveau président à prêter serment à nouveau dans une salle du Congrès, en douce presque. Sur Fox, on développait déjà la rhétorique de la non-légitimité. Une partie de l'Amérique rendue folle par l'élection de ce métis ayant grandi en partie hors du territoire américain a propagé des rumeurs totalement infondées sur sa religion et même sur sa nationalité. Les
"Birthers" s'en sont donnés à coeur joie. Obama mène une politique anti-américaine, c'est normal, il n'est même pas Américain...Joe Wilson, le Représentant qui avait lancé le fameux "You lie" au président (une première dans l'histoire américaine) est d'ailleurs un des plus fameux "birthers" que compte Washington. En deux temps et trois mouvements, Obama a changé de corps. Il est (enfin) devenu le président incontestable de l'Amérique. Le timing est parfait, au point que l'on est en droit de se demander s'il s'agit vraiment d'une coïncidence. J'en doute. Premier temps: Début avril, il annonce sa candidature (1er mouvement). Jeudi dernier, il présente son certificat de naissance complet (2ème mouvement). Aujourd'hui, il annonce lui-même la mort de Ben Laden (3ème mouvement). Sa légitimité est désormais complète.
"commander in chief" Non seulement, il a prouvé (oublions les délires qui se prolongent sur le net, ils risquent bien vite de se calmer maintenant) son identité américaine, mais il apparaît aujourd'hui comme le "commander in chief", qui protège l'Amérique et qui fait respecter sa justice dans le monde. Même la rhétorique d'Obama a changé. Habitué aux nuances, au "nous" plutôt qu'au "je", il a opéré une mue impressionnante en se mettant lui-même au premier rang ayant décidé fin août que l'opération pourrait être menée et en la déclenchant enfin hier. Bien sûr, Obama reste Obama lorsqu'il rappelle qu'il ne s'agit pas d'une lutte contre l'islam (
souvenez-vous du discours du Caire de mai 2009), mais le changement est cependant bien réel. Dans ce corps à corps, nul ne sait vraiment ce qui adviendra de Ben Laden. Mon impression est qu'il sera plus dangereux mort que vivant. En revanche, ce qui est sûr, c'est qu'Obama est devenu aux yeux d'une bonne partie des Américains le président des Etats-Unis d'Amérique.