Fil d'Ariane
La plus haute juridiction polonaise s'est prononcée contre la primauté du droit européen. Cette décision inédite peut-elle remettre en cause l'adhésion de la Pologne à l'Union Européenne ? Éléments de réponse de Florence Chaltiel-Terral, professeure de droit public. Entretien.
Des milliers de Polonais manifestaient ce 10 octobre contre la décision du Tribunal constitutionnel de contester la primauté du droit européen dans leur pays. Cette décision pourrait marquer un pas vers la sortie de l’Union Européenne du pays. Selon la professeure de droit public Florence Chaltiel-Terral, les conséquences juridiques de ce jugement restent encore difficile à percevoir.
« Cette décision du Tribunal constitutionnel polonais arrive sur un terrain qui est déjà miné », constate la juriste française. Elle précise en effet que des lois ne respectant pas le principe de l’État de droit ont déjà été adoptées dans le pays. Selon elle, ce qu’il se passe en Pologne « n’est pas un problème de hiérarchie des normes ou de Constitution, c’est un problème de défiance. »
Quelle loi prime sur l'autre ? Le droit européen ou la loi nationale ? Selon Florence Chaltiel-Terral, la réponse n'est pas évidente. « Je pense qu’on pars d’un présupposé qui ne va pas, qui consiste à dire que la primauté du droit européen est absolue », alors que ce n’est pas le cas. « On a les lois nationales, au-dessus il y a le droit européen et au dessus il y a la Constitution », rappelle la professeure.
Le problème c’est que les interprétations qui en sont faites ont l’air de dire que la primauté du droit européen prime sur les lois.
Florence Chaltiel-Terral, professeure de droit public
Le jugement de la plus haute juridiction polonaise consiste à dire qu’il « n’y a pas de souveraineté européenne », selon la professeure de droit public. « La souveraineté, c’est le pouvoir suprême, or l’Union Européenne n’a pas le pouvoir suprême, » précise Florence Chaltiel-Terral. En effet, les peuples des États membres restent souverains car même si le droit européen passe au dessus des lois de ces pays, leur Constitution prévaut. « Le problème c’est que les interprétations qui en sont faites ont l’air de dire que la primauté du droit européen prime sur les lois », poursuit-elle. En principe, cela fonctionne de cette manière. Et si la Pologne le met en cause, elle viole son engagement.
Pour en revenir à la décision du Tribunal constitutionnel polonais, « je n’ai pas l’impression que le juge constitutionnel ait dit « la primauté du droit européen c’est fini », estime Florence Chaltiel-Terral. « Si le tribunal constitutionnel dit « oui la constitution c’est la norme suprême », pas de problème », poursuit-elle. En revanche, si le principe d’État de droit est remis en cause, cela peut causer des problèmes. La professeure soulève aussi une question : « s’ils ne respectent pas le principe de l’État de droit qu’est-ce qu’on va faire ? ». Elle ajoute qu’il n’y a pas d'institution européenne qui pourrait contraindre un État à le respecter.
La Pologne n’est pas le seul pays qui considère que la souveraineté nationale doit primer sur le droit européen. C’est la ligne que suit le groupe de Visegrad, constitué de la Pologne, de la République Tchèque, de la Hongrie et de la Croatie. Il s’est formé en 1991, après l’éclatement de l’URSS et la fin de la Guerre Froide.
Selon Florence Chaltiel-Terral, « les États sont schizophrènes, c’est à dire d’un côté ils veulent être souverains, d’un autre côté ils savent très bien que pour être efficaces, on n’est pas fort en restant seul donc on a intérêt à avoir des alliés ». Mais en même temps, faire partie d’une union revient à renoncer à une certaine part de souveraineté.
Selon elle, comme ces pays n’étaient pas souverains sous l’Union soviétique, ils ont souhaité à tout pris retrouver leur souveraineté une fois la Guerre froide terminée. « Sauf que dès lors qu’ils étaient souverains, ils n’avaient qu’une hâte c’était de rejoindre l’UE », rappelle la professeure. Mais aujourd’hui, ces pays tendent vers une autre direction. « Ça ne s’explique pas vraiment, poursuit Florence Chaltiel-Terral. Il y a sans doutes des revirements politiques et juridiques qui ont fait que les peuples ont mis au pouvoir des gouvernants qui ont plutôt envie de retrouver leur souveraineté et qui n’arrivent pas à percevoir ce que leur apporte l’Union Européenne. »
La professeure de droit public, Florence Chaltiel-Terral liste deux éléments que l’Union Européenne pourrait utiliser pour faire valoir la primauté de son droit : l’engagement de la procédure de l’article 7 du traité sur l'Union Européenne, signé à Lisbonne le 13 décembre 2007 et la loi juridictionnelle. Elle note toutefois que l’utilisation de l’article 7 pourrait « stigmatiser la Pologne, de suspendre ses droits à la fois de vote mais aussi des fonds dont elle bénéficie. » Il est aussi difficile de savoir si les États seront en mesure de s’accorder pour aller jusqu’au bout du processus. « Ça n’a jamais été le cas depuis qu’on a créé cet article », rappelle-t-elle.
L'enjeu est clair : l’Union Européenne doit démontrer son efficacité, son utilité.
Florence Chaltiel-Terral, professeure de droit public
La professeure estime qu’il faut à tout prix éviter une crise qui mènerait à la sortie de la Pologne de l’UE. « Je pense que pour le respect de la démocratie et de l’état de droit, on a tout intérêt à les avoir avec nous pour continuer à discuter. » Selon la professeure de droit publique, une sortie de l’UE n’est pas envisageable à court terme mais « on sent quand même qu’il y a des velléités. »
Désormais, il faut que l’UE prouve sa valeur : « L'enjeu est clair : l’Union Européenne doit démontrer son efficacité, son utilité », poursuit Florence Chaltiel-Terral. « Il faut qu’on reste en paix, il faut qu’on arrive à négocier, donc la voie diplomatique est évidemment à privilégier », détaille-t-elle. Florence Chaltiel-Terral note toutefois qu’un événement peut se montrer dissuasif : « ce qui est pas mal aussi, c’est qu’il y a l’exemple du Brexit qui montre que ceux qui étaient favorable à la sortie de l’UE déchantent beaucoup. »