Charlie Hebdo fait la une de la presse internationale après la violente attaque contre le journal qui a couté la vie à 12 personnes. De la Belgique au Liban, de la Suisse aux Etats-Unis, la stupéfaction et l'indignation dominent. Seul le quotidien britannique "Financial Times" détonne dans cette émotion mondiale...
En Belgique, Le Soir titre "Morts de rire" avec un dessin de Pierre Kroll représentant le viseur d’une arme à feu dans laquelle l’on voit des caricaturistes de Charlie Hebdo lutter avec leurs seuls crayons face aux balles de leurs assaillants, tandis que d’autres dessinateurs du journal satirique gisent au sol. Béatrice Delvaux, éditorialiste en chef , y évoque "une chape de plomb qu’on vient de plaquer sur notre liberté d’expression (...) Notre liberté à nous, caricaturistes et journalistes, mais pas seulement. C’est la liberté de tous les démocrates qui est menacée par la vengeance meurtrière de quelques barbares qui ne peuvent supporter qu’on pense autrement qu’eux", poursuit-elle. Comment éviter que l’attentat ne libère les haines et les anathèmes, souvent déjà tout juste réprimés, et transforme les sociétés européennes en terres d’affrontement et de rejet à ciel ouvert ? " s’interroge encore Béatrice Delvaux.
Roy Greenslade écrit dans The Guardian : "C’est le moment pour que les éditeurs et rédacteurs en chef de publications grand public à travers le monde honorent les journalistes assassinés de Charlie Hebdo en refusant de s'autocensurer. Rien, pas même une religion, doit être hors limites. La satire s'en prend aux vaches sacrées, mais elle ne les abat pas. La satire fait mal, mais elle ne provoque pas de blessures physiques. La satire blesse, mais elle ne tue pas ". De son côté, Simon Jenkins analyse : "“Il est maintenant temps de faire respecter la liberté et de ne pas céder à la peur”. “Le ridicule est la plus dévastatrice et la plus blessante des armes. Il atteint des parties de la psyché politique et personnelle que la raison ne peut pas toucher. Il est l'une des armes les plus efficaces de la démocratie, et le prix que doivent payer ceux qui l'exercent est parfois plus élevé que n’importe quel autre”, écrit le journaliste anglais. Avant de conclure : “Il ne fait aucun doute que le journal Charlie Hebdo a testé les limites du goût et de la tolérance religieuse. Mais ceci est la charge que doit supporter la liberté d'expression dans une démocratie.” Le Financial Times se distingue parmi ces hommages appuyés où domine l'indignation. A lire les lignes trempées dans un encrier au vitriol, on pourrait presque penser que les journalistes de Charlie Hebdo ont eu ce qu'ils méritent. Une tribune dénonce en effet la ligne éditoriale "irresponsable" et "stupide" de Charlie Hebdo. Tony Barber, le rédacteur en chef pour l’Europe est-il allé trop loin ? Le journaliste a republié une version édulcorée à la suite de critiques en ligne qui allaient jusqu’à demander sa démission. "La France est le pays de Voltaire mais trop souvent l’irresponsabilité éditoriale a prévalu chez Charlie Hebdo», dit Barber. Selon lui, "il ne s’agit pas pour le moins du monde […] de suggérer que la liberté d’expression ne devrait pas s’appliquer à la représentation satirique de la religion. Mais seulement de dire que le bon sens commun serait utile" dans de telles publications. Et de citer le cas du journal danois Jyllands-Posten, qui prétend aussi "remporter une victoire pour la liberté en provoquant des musulmans". Alors qu’en réalité, ces journaux "sont seulement stupides". Fermez le banc.
Dans Le Temps, sous le titre "Guerre à la démocratie au cœur de Paris", Stéphane Benoit Godet écrit : "Les faits d’hier sont au-delà des mots. Les symboles puissamment opposés. Des dessinateurs, des artistes, des journalistes se font trucider à la kalachnikov et à l’arme lourde en plein Paris. Que peut faire un crayon contre un lance-roquettes? Quelle chance ont laissé à la liberté d’expression des fous sanguinaires ? La première faute serait de suivre les terroristes dans leur quête. La haine ne demande qu’à s’exprimer entre communautés en France et ailleurs en Europe où croît l’intolérance religieuse." La seconde faute serait que la liberté d’expression ne soit plus assurée dans le pays des droits de l’homme. Les quatre journalistes de Charlie Hebdo abattus hier représentent la quintessence de la tradition de défiance saine face aux censeurs.
Josée Boileau, rédactrice en chef du Devoir s'interroge : "Aujourd'hui, c'est d'assassinats ciblés dont il s'agit. Des inconnus venus non pas pour faire peur mais pour tuer, en nombre. Où sont tout à coup les frontières du champ de bataille ? En sommes-nous tous devenus des protagonistes ? Et qu'est-ce donc que la liberté ? Mourir pour ses idées ne fait tellement plus partie de nos sociétés."
Le New York Times évoque, lui l'essence même du journal , qui fait partie d’"une tradition ancienne de satire et d’insolence, en France, envers les politiques, la police, les banquiers et les religions de toutes sortes". Pour USA Today "la guerre contre le terrorisme ne peut pas simplement être remportée par l’envoi de flottes de drones au Yémen ou la chute de munitions guidées à distance en Syrie. A moins que nous abordions les causes profondes de l’extrémisme islamiste idéologiques, les terroristes continueront à chercher des moyens pour nous amener la guerre"
Au Burkina Faso, la violence de l'assaut a marqué. Le quotidien Le Pays ne supporte pas que l'on y associe le nom du Prohète. "Cette attaque est une atteinte grave à la liberté d’expression, relève le journal. Dans un pays comme la France, attaché au respect de certaines grandes valeurs démocratiques, comme la liberté d’expression. C’est pourquoi il faudra tout faire pour retrouver les auteurs et les châtier à la hauteur de leur crime, car, rien au monde, ne saurait justifier cet acte d’une “exceptionnelle barbarie”, pour emprunter l’expression du président Hollande. Sans doute que même le prophète Mahomet que ces fous disent vouloir venger, serait mal en point, estime encore Le Pays, de voir que son nom est utilisé à des fins macabres. Il ne lui reste plus qu’à faire tomber sa foudre sur ces illuminés d’un autre âge qui, à travers la planète, n’ont de cesse de traîner son nom dans la boue."
L'orient le jour titre "Le 11 Septembre de la pensée libre en France" L'attentat contre Charlie Hebdo survient au cœur du débat français autour de la laïcité et de la légitimité des crèches de Noël, en pleine ascension du Front national. Les brillants anarcho-gauchistes que sont les victimes de l'attaque dénonçaient inlassablement les dérives liberticides de l'islamisme. S'ils faisaient du bruit, malgré un lectorat de niche et un journal qui essayait de survivre sans publicité, c'était grâce à leur liberté d'expression qui frisait l'insolence, leur sens aigu de la formule, leurs images qui valaient des milliers de mots. Tignous, par exemple, avait réalisé un dessin prémonitoire montrant le doigt de Dieu pointé sur un islamiste avec cet argument imparable : " Je suis assez grand pour défendre Mahomet tout seul. Compris?" Apparemment pas compris.
" Le carnage d’hier à Charlie Hebdo doit être fermement condamné", appuie le quotidien sénégalais " Le Soleil" : "il faut rappeler que dans la liberté d’expression, le propos doit éviter de blesser la foi de l’autre, car c’est le domaine par excellence des passions et parfois de l’irrationnel. Et des extrémistes s’engouffrent dans la brèche et s’affichent comme porte-étendards de l’Islam et preux chevaliers de la religion révélée par le prophète Mahomet. Mais, il faut qu’on sache que c’est une minorité de musulmans qui est habitée par l’extrémisme. C’est pourquoi le carnage d’hier à Charlie Hebdo, encore une fois, doit être fermement condamné. "
"Il faut croire que l’humour intelligent est devenu une profession à risque" constate le journal espagnol Publico. El Pais constate: " Attaque terroriste à la liberté de la presse au coeur de l'Europe". Le journal précise que les assaillants ont crié "Allah Akbar" et que les trois suspects sont d'origine arabe. "Il n'y a aucune raison pour que la liberté religieuse des uns soit au-dessus de la liberté d'expression des autres" écrit Gonzalo Boye, l'éditeur du mensuel Revista Mongolia.
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