La rébellion des retraités marocains de la S.N.C.F.

Estimant avoir été spoliés par rapports à leurs collègues cheminots français, plus de 800 "Chibanis" ("cheveux blancs", mot arabe pour retraités) marocains de la SNCF demandent réparation à leur ancien employeur pour discrimination. Celui-ci avait déjà été condamné en première instance dans la plupart des dossiers.

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Ils ont le sentiment d'avoir été "spoliés" par rapport aux cheminots français et demandent "réparation" à la SNCF : la cour d'appel de Paris examine jusqu'à mardi plus de 800 dossiers des "Chibanis", anciens cheminots de nationalité ou d'origine marocaine.

En première instance, la SNCF avait été condamnée pour discrimination dans la quasi-totalité des dossiers. Le montant des dommages et intérêts prononcés en septembre 2015 devant le conseil de prud'hommes de Paris, suspendus par l'appel formé in extremis par le groupe public, s'élevait alors à 170 millions d'euros.

Après moult renvois et, pour certains, 12 ans de procédure, plus de 200 "Chibanis" (cheveux blancs en arabe) se sont déplacés lundi matin et 200 autres l'après-midi, au point que certains ont dû rester debout. 

"On attend qu'ils reconnaissent nos droits, parce qu'on a été spoliés par la SNCF", a dit à l'AFP Loucen Ablou, 72 ans, qui a commencé à travailler en 1972 à la gare de Lyon. "J'ai pas eu de carrière, ils ont pris 15 ans de ma vie en plus", dénonce-t-il, expliquant que ses collègues français sont partis à la retraite à 55 ans, lui à 70.

Des enfants ou épouses représentaient parfois leur proche, mort ou malade, comme Zikri Habib, 42 ans, présent car "cela compte énormément pour mon père". Agent d'entretien sur les voies pendant 32 ans, "sans possibilité d'évoluer", il "a poussé" ses six enfants à faire des études. "Je comprends mieux", confie le fils.

"On travaillait comme des moutons", a raconté un ancien salarié à la cour, "j'ai baissé la tête parce que j'avais une famille sur le dos". 

La SNCF a recruté au total près de 2.000 Marocains dans les années 1970, en vertu d'une convention signée entre la France et le Maroc devant garantir "l'égalité des droits et de traitement avec les nationaux", a souligné l'avocat du défenseur des Droits.

► Voir ce reportage : La voie des Chibanis, réalisé par des étudiants de l'école des métiers de l'information (EMI)

 - 'Discrimination organisée' -

Pour lui, la discrimination ne fait aucun doute : elle "ne prospère pas dans l'opacité, elle est organisée,

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statutaire", "en gros assumée", a déclaré Slim Ben Achour.

Il a livré une charge violente contre la clause de nationalité inscrite au "statut" des cheminots, plus avantageux que celui de contractuels de droit privé dans lequel les plaignants ont été en majorité "cantonnés". La RATP a supprimé cette clause, a-t-il rappelé.

Il a accusé la SNCF d'avoir également posé ensuite des "barrières d'âge" quand certains des cheminots ont été naturalisés. 

"Lorsqu'ils sont arrivés, ils n'avaient pas les cheveux gris, ils étaient jeunes", "c'est 40 ans de discrimination qui sont posés devant vous", a lancé Me Clélie de Lesquen-Jonas, l'avocate des salariés. Avant de débattre de la prescription invoquée avec "cynisme" par la SNCF dans de nombreux dossiers. 

"Il y a toujours eu deux corps de règles" : "dès l'origine, vous aviez des agents recrutés au statut" et les contractuels, "la SNCF n'a pas mis en place de dispositif spécifique pour les exclure du statut", ont plaidé, en face, les conseils de la SNCF, en insistant sur le fait que 7.000 salariés français étaient également contractuels à l'époque, davantage aujourd'hui. 

Pour les avocats de la SNCF, les Chibanis "avaient connaissance" des différences de réglementation à leur embauche.

Interrogé par l'AFP, le groupe ferroviaire affirme avoir "toujours traité de la même manière ses salariés, quelle que soit leur origine ou nationalité". 

Outre une réparation de leur "préjudice intégral" de carrière et de retraite, recalculé à la hausse, les Chibanis espèrent décrocher la reconnaissance d'un "préjudice moral".

Pour l'avocat du Défenseur des Droits, ce dossier, "pas totalement étranger à notre histoire coloniale", "dit quelque chose de la France d'aujourd'hui". "C'est une affaire qui résonne, car la SNCF a mis en place une sorte de préférence nationale" qui "doit cesser".

Au vu du nombre de dossiers et des moyens de la cour d'appel, les jugements seront rendus le 31 janvier 2018.