Fil d'Ariane
La petite Lilibeth n’a que 14 ans lorsque, pour la première fois, elle prononce sur les ondes de la BBC, son premier discours public. Nous sommes en 1940, l’Europe bascule dans la Seconde guerre mondiale. La jeune princesse adresse alors un message de compassion aux enfants du Commonwealth, dont la plupart vivent loin de chez eux en raison de la guerre.
Et quand la paix viendra, rappelez-vous que ce sera à nous, les enfants d'aujourd'hui, de faire du monde de demain un endroit meilleur et plus heureux
À l’époque, rien ne prédestine la jeune femme à porter, un jour, la couronne d’Angleterre. Mais à Buckingham Palace, les choses évoluent rapidement. Plus vite en tout cas, que ce qu’Élizabeth n’imagine.
À la mort de George V en 1936, son fils aîné, Édouard VIII, devient, comme le veut la tradition, roi d’Angleterre. Son règne ne sera que de courte durée puisqu’au pouvoir, il préfère l’amour. Moins d’un an après son intronisation, Édouard VIII abdique pour pouvoir se marier avec Wallis Simpson, une roturière américaine bientôt doublement divorcée. Scandale à Buckingham Palace.
Sans héritier, seul son frère, George VI, le père d’Elizabeth, est autorisé à reprendre le flambeau. Dans la tourmente, l’Angleterre accueille son nouveau roi.
Au fil des ans, la santé de George VI se dégrade. Atteint d’un cancer des poumons, il meurt le 6 février 1952. Depuis le Kenya où elle est en visite avec son mari Philip Mountbatten, Élizabeth apprend le double choc : le décès de son père et fatalement, son intronisation. Ce jour-là elle déclare : "J'ai le cœur trop gros pour vous dire autre chose que ceci : je travaillerai sans relâche, comme mon père avant moi".
La jeune souveraine est proclamée reine et s’installe dans la peine au palais de Buckingham à Londres. Elle n’a que 25 ans.
Très proche de son père, Élizabeth II n’est couronnée que seize mois plus tard, le 2 juin 1953, à l’abbaye de Westminster. L’évènement est historique et retransmis en direct à la télévision. Une première dans l’histoire du petit écran.
Après son fastueux couronnement, Élizabeth II et son époux Philip entreprennent, en novembre 1953, un long voyage de six mois à travers le Commonwealth. Le jeune couple multipliera d’ailleurs les voyages à l’étranger. L’objectif, maintenir les liens des États membre de l’Organisation avec la couronne, particulièrement entre 1960 et 1970, une décennie marquée par une accélération de la décolonisation en Afrique et dans les Caraïbes.
En novembre 1961 et en dépit des réticences de son gouvernement qui craint pour sa sécurité, Élizabeth II se rend au Ghana, premier pays d’Afrique subsaharienne à avoir obtenu son indépendance (le 6 mars 1957, ndlr). Pour sa première visite dans le Commonwealth dit moderne, Élizabeth II rencontre le président panafricain Kwame Nkrumah.
D’un voyage risqué, la visite de la reine se transforme en véritable succès, elle-même parlera d’une "association volontaire, amicale et multiraciale de nations indépendantes". Aujourd’hui encore, le Ghana figure parmi les États membre du Commonwealth.
Malgré les réussites diplomatiques, il arrive parfois que la popularité de la reine soit mise à l’épreuve. C’est le cas le 21 octobre 1966. Ce jour-là, il est près de dix heures du matin, lorsqu’un drame s’abat sur la petite ville minière d’Aberfan, au Pays de Galles. L’écroulement d’un terril provoque la mort de 144 personnes, en majorité des enfants. Face à l’ampleur de la catastrophe, le Premier ministre travailliste de l’époque, Harold Wilson, va à la rencontre des sinistrés. La reine, elle, après avoir dans un premier temps refusé, finit par se rendre sur les lieux de l’accident. Une attente jugée trop longue qui lui vaudra de nombreuses critiques.
Alors que le Commonwealth se déchire au sujet de l’apartheid, Élizabeth II se rend en Zambie en 1979, à l’occasion d’un sommet de l’Organisation. Accompagnée de sa Première ministre, Margaret Thatcher, elle y signe le manifeste de Lukasa, qui condamne l’apartheid sud-africain.
En 1995 sa majesté est accueillie par Nelson Mandela en Afrique du Sud (une première depuis 1947, ndlr), à l’occasion de la fin de l’apartheid et de la réintégration du pays dans le Commonwealth.
C’est la reine en personne qui utilisera l’expression "Annus horribilis" pour qualifier cette année marquée par les scandales.
1992 n’est pas une année dont je me souviendrais avec un plaisir inaltéré. Selon les mots de l'un de mes correspondants les plus sympathiques, elle s’est avérée être une annus horribilis. Je pense que je ne suis pas la seule à le penser.
Cette année-là, trois de ses enfants divorcent. C’est le cas de Charles avec Diana. Une biographie de cette dernière est d’ailleurs publiée la même-année. Son titre : Diana : Her True Story. [Diana : son histoire vraie]. Cet ouvrage dévoile les détails du difficile mariage de la jeune et très populaire princesse ainsi que la liaison de son époux avec Camilla Parker-Bowles (sa femme actuelle, ndlr).
À la parution de ce livre, la presse s’enflamme. Ce ne sera d’ailleurs pas le seul incendie à fragiliser la famille royale cette même année. Le château de Windsor prend feu, une centaine de pièces sont détruites.
À la tête d'un empire, d’une nation mais aussi d’une famille, Élizabeth II a connu les mariages, les naissances, les ruptures et les décès. Des événements particulièrement suivis et qui suscitent les passions.
Le 31 août 1997, c’est un véritable drame qui fait la Une de tous les journaux. La princesse de Galles Diana meurt dans un accident de voiture, sous le pont de l’Alma à Paris. Onde de choc. En Angleterre et partout dans le monde, les réactions sont nombreuses. Paradoxalement, elles restent discrètes au sein de la famille royale. L’hommage de la reine est tardif et timide, trop pour l’opinion publique qui dénonce son manque d’empathie.
Cinq ans plus tard, nouvelle année difficile pour la couronne. Connue pour ses frasques, la sœur cadette d’Élizabeth II meurt le 9 février2003. Peu de temps après, le 30 mars, la reine pleure aussi le décès de sa mère. Elle avait 101 ans.
Mais Buckingham Palace, ce sont aussi des mariages. Deuxième dans l'ordre de succession, son petit-fils William se marie avec Kate Middleton. Un mariage sous le feu des projecteurs, digne d’un conte de fées à l'abbaye de Westminster. Il sera suivi par deux milliards de téléspectateurs à travers le monde.
En 2020, c’est au tour du frère de William d’attirer l’attention des médias. Le petit-fils de la reine, Harry et son épouse, l’actrice américaine Meghan Markle prennent leur distance avec la Couronne et renoncent à leur titre d’altesse royale.
Un an plus tard, dans une interview accordée à Oprah Winfrey, Meghan Markle accuse Buckingham Palace de racisme. Des accusations que la reine dit avoir pris très au sérieux, y apportant, toutefois, quelques nuances.
Au cours de son règne, Élizabeth II aura connu 14 Premiers ministres britanniques, 10 présidents français, 13 présidents américains. Elle aura également assisté à des événements historiques majeurs, certains placés sous le signe de la réconciliation, d’autres sous celui de la rupture.
Le 17 mai 2011, Élizabeth II devient par exemple la première monarque britannique à se rendre en Irlande depuis son indépendance en 1992. Une visite historique placée sous le signe de l’apaisement et de la réconciliation.
En 2016, Élizabeth II et le Royaume-Uni connaîtront un autre tournant, cette fois moins unificateur. Avec 51,9 %, le camp favorable à la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne l’emporte. Comme le veut la Couronne, la reine ne prend pas part au débat. Un an plus tard, Élizabeth II crée toutefois la surprise en prenant la parole au Parlement vêtue d'une tenue aux couleurs de l'Europe et notamment un chapeau bleu orné de fleurs jaunes. Doit-on y voir un soutien aux anti-Brexit ? La question est restée sans réponse.
Après plus de sept décennies de mariage faites de hauts et de bas, le couple royal se sépare fatalement. Après un mois passé à l’hôpital, le prince Philip s’éteint à l’âge de 99 ans. Le chagrin d’Élizabeth II est immense. D’ordinaire pudique sur ses sentiments, la reine fait une entorse à sa ligne de conduite et fait part de sa tristesse dans un communiqué :
"Pour mes 95 ans, j'ai reçu de nombreux messages et vœux que j'apprécie profondément. Bien que ma famille et moi vivons actuellement une grande période de tristesse, cela nous a fait du bien à tous de voir les hommages pour mon époux, de la part des habitants du Royaume-Uni, du Commonwealth et du monde entier. Ma famille et moi tenons à vous remercier pour le soutien et la gentillesse qui nous ont été témoignés ces derniers jours. Nous avons été profondément touchés, et tout cela nous rappelle à quel point Philip a eu un impact extraordinaire sur d'innombrables personnes tout au long de sa vie".
The Queen’s message to people across the world who have sent tributes and messages of condolence following the death of The Duke of Edinburgh. pic.twitter.com/1apW7s1zXS
— The Royal Family (@RoyalFamily) April 21, 2021
Le 6 février dernier, la reine fêtait ses 70 ans de règne, un record dans l’histoire de la monarchie britannique. Comme un credo, elle avait, à cette occasion, réitéré son engagement à servir l’ensemble du Commonwealth.
Quatre jours de festivités étaient prévus en son honneur et joyeusement attendus par les Britanniques, du 2 au 5 juin 2022, pour le jubilé de platine marquant les 70 ans de règne de la reine.
'I declare before you all that my whole life whether it be long or short shall be devoted to your service.'
On her twenty-first birthday, in a speech broadcast on the radio from Cape Town, The Queen (then Princess Elizabeth) dedicated her life to the service of the Commonwealth. pic.twitter.com/0URU2tEPj8
Élizabeth II avait prévu la suite. Façonnant l'avenir de la monarchie, elle a exprimé, toujours à l'occasion de son Jubilé de platine, son "souhait sincère" que Camilla, 74 ans, deuxième épouse du prince héritier Charles (dont elle fut la maîtresse durant son mariage avec la princesse Diana et longtemps mal aimée des Britanniques, ndlr), "soit connue comme la reine consort" lorsqu'il deviendrait roi. De quoi, sans doute, garantir un avenir apaisé à cette famille royale qu’elle a portée à bout de bras, pendant 70 ans.
Ce jeudi 8 septembre, Élizabeth emporte avec elle sept décennies au service de la nation et une popularité sans pareil.