Fil d'Ariane
La Russie bénéficie-t-elle toujours des mêmes soutiens, après l’annexion de quatre provinces ukrainiennes ? Pékin semble conserver sa timide neutralité à l’égard de Moscou tout en demandant à la fin du mois de septembre la facilitation des « négociations de paix » entre l’Ukraine et la Russie. La réunion d’urgence des 193 Etats membres de l’ONU sur la question des annexions, ce lundi, fera-t-elle bouger les lignes des pays alliés de la Russie ?
Le 24 septembre dernier, le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi demandait une « résolution pacifique de la crise ukrainienne » par l'intermédiaire de discussions « justes et pragmatiques ». Il appelait également les deux parties à ne pas laisser « déborder » la guerre.
Pour certains, le discours s’éloigne légèrement de la position initiale de la Chine à l’égard de la Russie, qui, trois mois et demi après le début de l’invasion et l'instauration de sanctions à l’égard de l’envahisseur russe, se rangeait sans équivoque derrière la Russie : Xi Jinping disait alors soutenir la Russie en matière de « souveraineté et de sécurité ».
Il n’y a pas actuellement de changement de positionnement de Pékin à l’égard de Moscou. La Chine maintient le même discours depuis le début de la crise : revendication de neutralité, appel au cessez-le-feu et aux négociations de paix.
Marc Julienne, chercheur, responsable des activités Chine, Centre Asie de l’Ifri
Toutefois, pour Marc Julienne, le chercheur, responsable des activités Chine, Centre Asie de l’Ifri, le positionnement Chinois n’a pas changé. Pékin ne souhaite, dans son discours, ni se prononcer ni s’engager aux côtés de la Russie dans le conflit.
« La Chine s’est toujours tenue à distance du conflit en Ukraine depuis le début des hostilités. Son soutien à la Russie a toujours été limité et ambiguë. Il n’y a donc pas actuellement de changement de positionnement de Pékin à l’égard de Moscou. La Chine maintient le même discours depuis le début de la crise : revendication de neutralité, appel au cessez-le-feu et aux négociations de paix… Elle ne propose toutefois aucune initiative pour tenter d’atteindre ces objectifs et elle reste silencieuse sur les républiques revendiquées comme indépendantes.»
Xi Jinping a pu qualifier Vladimir Poutine de son « meilleur ami », les relations sont pourtant plus méfiantes qu’amicales entre les deux puissances. Plus que de l’amitié, les deux pays partagent un partenariat économique et politique. Ils font bloc face à l’OTAN et à la puissance américaine, une composante « très importante » de leur partenariat.
(Re)lire : Entre la Russie et la Chine, la méfiance plutôt que l'amitié
Marc Julienne, chercheur, responsable des activités Chine, Centre Asie de l’Ifri : "Il y a eu une forte période de coopération entre les deux pays dans les années 50, suivie d’une rupture diplomatique en 1960. Les relations sont restées compliquées pendant le reste de la guerre froide.
À partir des années 1970, les Américains se sont rapprochés des Chinois, pour tenter d’isoler autant que possible l’URSS. À la fin de la guerre froide et dans les années 1990, il y a eu un renouveau de la coopération, bien que l’espionnage industriel chinois dans les technologies militaires russes ait provoqué un nouveau froid dans la relation au début des années 2000."
On imagine mal que la Chine désavoue la Russie de manière publique et brutale. Les deux pays ont besoin l’un de l’autre dans leur opposition aux Etats-Unis et aux démocraties occidentales.
Marc Julienne, chercheur, responsable des activités Chine, Centre Asie de l’Ifri
« On imagine mal que la Chine désavoue la Russie, continue Marc Julienne, de manière publique et brutale. Les deux pays ont besoin l’un de l’autre dans leur opposition aux Etats-Unis et aux démocraties occidentales. Toutefois, il est possible que Pékin exprime ses préoccupations à Moscou, comme cela semble avoir été le cas lors du dernier sommet entre Xi Jinping et Vladimir Poutine. Ces préoccupations concernent une escalade du conflit, le recours à l’arme nucléaire par Poutine, ou la chute de ce dernier qui créerait une très forte incertitude pour Pékin », explique le chercheur.
Des préoccupations partagées par l’Inde et son Premier ministre, Narendra Modi. Lors du sommet de l’Organisation de coopération de Shangaï, les 15 et 16 septembre dernier, il adressait un message à la Russie, affirmant que « l’époque d’aujourd’hui n’est pas celle de la guerre. Nous en avons parlé à plusieurs reprises au téléphone : la démocratie, la diplomatie et le dialogue, ce sont toutes ces choses-là qui ont un impact sur le monde ».
Le président kazakh, Kassym-Jomart Tokaïev, a lui clairement condamné le conflit en Ukraine. Il a également appelé au respect de l’intégrité territoriale du pays et s'est engagé à protéger les Russes fuyant la mobilisation déclarée par Moscou.
Récemment, la Russie a pu compter sur l’OPEP, en bénéficiant d’un coup de pouce économique non négligeable. L’organisation des pays exportateurs de pétrole et ses membres, réunis le 5 octobre dernier, pour la première fois depuis 2020, se sont entendus pour réduire la production de pétrole. Une bonne nouvelle pour les treize membres de l’Organisation menés par l'Arabie saoudite et leurs dix partenaires conduits par la Russie. La production chutera à deux millions de barils par jour, à partir de novembre. Il s’agit de la réduction de production la plus importante depuis le printemps 2020 et le début de la pandémie de Covid-19.
En réduisant l’offre, les pays exportateurs pourraient faire repartir à la hausse les cours du baril de pétrole, alors qu’il se rapproche déjà actuellement de certains niveaux historiques. La décision est une mauvaise nouvelle, un camouflet même, pour les États-Unis, qui souhaitaient priver la Russie de recettes supplémentaires alors qu’elle envahit l’Ukraine. Joe Biden, le président américain, tentait depuis quelques temps de faire pression sur les États du Golfe et notamment l’Arabie saoudite, pour maintenir les prix du pétrole. Il s’est dit « déçu de la décision à courte vue de l’Opep + ».
(Re)voir : Russie : Vladimir Poutine signe l'annexion de quatre territoires ukrainiens
À l’image de l’annexion de la Crimée en 2014, qui, malgré la mise en place de sanctions ayant porté atteinte à l’économie russe, n’avait pas pour autant fait se désolidariser les parties des différents camps, l’annexion russe de quatre régions ukrainiennes peut-elle faire bouger les lignes et participer à isoler un peu plus la Russie ?
En 2014, 10 pays avaient reconnu la légitimité de l'annexion de la Crimée, notamment la République serbe de Bosnie, la Syrie et l’Inde.
L'Assemblée générale de l'ONU qui se réunit ce lundi pour une nouvelle réunion d'urgence sur la situation en Ukraine, examinera une résolution concernant ces annexions, après le veto russe mis lors d'une réunion du Conseil de sécurité sur cette question. Vendredi dernier, outre le veto russe, quatre pays s'étaient également abstenus : la Chine, l'Inde, le Brésil et le Gabon.
(Re)voir : Annexion à la Russie : "Poutine avait besoin de présenter un résultat"