La Suède et la Finlande dans l'Otan : qu'est-ce que cela va changer pour les deux pays ?

Entretien. La Finlande a annoncé dimanche sa candidature "historique" à l'Otan en conséquence directe de l'invasion russe de l'Ukraine. La Suède emboîte le pas et vient de confirmer sa demande ce lundi, après une consultation de son Parlement. Qu’est-ce qu’une telle adhésion signifierait pour les deux pays ? Éléments de réponse avec Cyrille Bret, chercheur associé à l’institut Jacques Delors et enseignant à Sciences Po.
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La Suède et la Finlande ont déposé leur candidature à l'Otan.

© Michael Sohn/ AP
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TV5MONDE : Pourquoi cette candidature à l’Otan intervient-elle à ce moment de la guerre en Ukraine ?

Cyrille Bret, chercheur associé à l’institut Jacques Delors et enseignant à Sciences Po : L'élément déclencheur, comme vous le soulignez, c'est l’invasion de l’Ukraine par la Russie à partir du 24 février. Mais c’est aussi le fait que la Russie se fait menaçante pour tous les États qui ne sont pas membres de l’Otan, comme c’est le cas de la Géorgie ou de la Moldavie.

La Suède et la Finlande sont déjà liées à l’Otan par un Partenariat pour la paix (PPP), (un programme de coopération pratique bilatérale entre l'Otan et des partenaires euro-atlantiques, ndlr). Une adhésion à l’Otan viendrait renforcer ce partenariat. Les deux pays baltes estiment que seule l’Otan est capable de lui fournir une “assurance vie stratégique''.

Quelle est la différence entre le Partenariat de Paix (PPP) et l’Otan ? 

L'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) est une organisation politique et militaire qui naît en 1949. Elle a pour but d'encourager la coopération des pays en matière de sécurité et de résoudre les différends de manière pacifique. Maintenant composée de 28 pays, l'organisation permet à ceux-ci de prendre des décisions collectives pour assurer la liberté et la sécurité de tous ses membres.

Le Partenariat pour la Paix (PPP), est un instrument de coopération souple entre l’Otan et ses partenaires. Vingt-deux États d’Europe de l’Est et du Sud-Est, du Sud-Caucase, d’Asie centrale et d’Europe occidentale, notamment six pays européens occidentale en font partie. C’est le cas de la Suisse, l’Autriche, la Finlande, l’Irlande, la Suède ou de Malte. Chaque pays fixe bilatéralement avec l’Otan les domaines dans lesquels il désire coopérer avec les autres membres du PPP.

Par exemple, le PPP contribue à la préparation des forces armées suisses amenées à participer à des opérations de soutien de la paix placées sous la direction de l’Otan, de l’Union européenne ou des Nations unies (ONU). Par le biais du PPP, la Suisse a également accès à d’autres partenariats de l’Otan avec les pays du bassin méditerranéen et du Moyen-Orient. Elle peut ainsi créer des liens avec des régions d’importance pour sa politique extérieure et de sécurité.

TV5MONDE : Concrètement, qu'est-ce que cela changerait pour les deux pays ?

Cyrille Bret : Si les candidatures des Suédois et des Finlandais arrive à son terme, cela va les placer sous la protection de l’article 5 du Traité de l’Atlantique Nord. Une agression d’un État membre de l’Otan est considérée comme une agression contre tous. Un tel accord leur confère une protection supplémentaire de sécurité par rapport au Partenariat pour la paix (PPP). En contrepartie, les deux nations devront être prêtes à entrer en guerre aux côtés de l’Otan si l’un de ses membres est attaqué.

Concrètement, les armées finlandaises et suédoises devront mettre tout leur matériel, leur mode opératoire, leurs règles d'engagements et leurs ingénieurs aux standards de l'Otan.

Cyrille Bret, chercheur associé à l’institut Jacques Delors et enseignant à Sciences Po.

Elles devront également consentir à des efforts en termes d'armement et d’harmonisation des normes techniques et opérationnelles pour être capable de servir en coalition avec des membres de l’Otan. L’Otan est une grande entreprise de normalisation. Concrètement, les armées finlandaises et suédoises devront mettre tout leur matériel, leur mode opératoire, leurs règles d'engagements et ingénieurs aux standards de l'Otan.

À (re)voir : La Finlande et la Suède frappent aux portes de l'Otan

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La Suède et la Finlande devront également placer des troupes nationales sous commandement étranger, comme c’est le cas en France notamment. Des soldats français servent sous le commandement américain, tchèque ou danois. Cela changera aussi la façon dont les forces armées nationales suédoises et finlandaises opèrent ou acquièrent du matériel. Elles seront obligées de porter l’effort de défense à 2% du PIB. 

En outre, elles devront participer à tous les sommets des chefs d’États, toutes les conférences ministérielles et toutes les enceintes de coordinations militaires.

À (re)lire : Guerre en Ukraine : Finlande et Suède en quête de protection se tournent vers l'OTAN

TV5MONDE : Comment réorganise-t-on son armée, en l’intégrant à celle de l’Otan?

Cyrille Bret : Il faut un bon degré d’anglicisation de tout votre arsenal technique et opérationnel et des échanges pour que l’Otan puisse labelliser tel ou tel aspect de votre organisation militaire. C’est un énorme travail administratif. 

Cela suppose aussi de conduire énormément d'exercices en commun. Ils vont envoyer des officiers ou des sous-officiers dans les institutions de formation des officiers de l'Otan, dont la plupart sont basées en Europe. Mais c’est déjà le cas pour les forces armées suédoises et finlandaises, au titre notamment du PPP.

Finalement, les deux pays baltes devaient se plier aux inconvénients d'une adhésion sans bénéficier du principal avantage, l'assistance automatique.

Cyrille Bret, chercheur associé à l’institut Jacques Delors et enseignant à Sciences Po.

La Suède et la Finlande en sont membres depuis 1994. Elles participent donc régulièrement à tous les exercices navals et aériens de l'Otan en mer baltique.

A contrario, lorsque le Monténégro devenait le 29ème pays membre de l’Otan en 2017, c’était un autre chantier. Son intégration a nécessité un effort de modernisation très important. Donc c’est très complexe à faire. Dans le cas de la Finlande et de la Suède, les armées ont déjà l’habitude d’opérer avec l’Otan. Finalement les deux pays baltes devaient se plier aux inconvénients d'une adhésion sans bénéficier du principal avantage, c’est-à-dire l'assistance automatique.

TV5MONDE : Dans ce cas, quel était leur avantage à ne pas intégrer l’Otan avant ?

Cyrille Bret : Cela tient aux traditions politiques des deux pays. La Suède a choisi en 1812 de ne plus participer à aucune alliance militaire en temps de paix et aucun conflit armé en temps de guerre. La Poméranie suédoise avait été envahie par Napoléon la même année. De son côté, la Finlande choisit la voie de la neutralité pour éviter de subir des intimidations stratégiques de l’URSS, après les deux guerres contre l’empire soviétique.

La neutralité a permis à la Suède de devenir extrêmement prospère et de ne subir aucune des conséquences des grands conflits mondiaux.

Cyrille Bret, chercheur associé à l’institut Jacques Delors et enseignant à Sciences Po.

La neutralité a permis à la Suède de devenir extrêmement prospère et de ne subir aucune des conséquences des grands conflits mondiaux. La Finlande a été prémunie contre une attaque de l’URSS.

TV5MONDE : Justement, cette décision de rejoindre l’Otan n’est-elle pas une façon de rompre cet équilibre ?

Cyrille Bret : C’est exactement les termes du débat. Cette annonce est perçue en Finlande et en Suède comme une comète et une possible provocation à l’égard de la Russie. La Russie a d'ores et déjà sanctionné ces pays pour leurs candidatures respectives à l’Otan ce dimanche.

Mais cette candidature va dans le sens de la stratégie américaine de polarisation de l’Europe. Désormais on est "pour ou contre" la Russie, donc on est "pour ou contre" l’Otan. Cela radicalise les positions stratégiques en présence en Europe et concourt au retour des États-Unis et de l’Otan en Europe.

À (re)voir : Les demandes d'adhésion de la Suède et de la Finlande, une provocation pour Moscou 

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TV5MONDE : Quelles seront les conséquences pour la Russie ?  

Cyrille Bret : Si cet accord est conclu, il y a une possibilité d’endiguement de l’Otan en Europe, cette stratégie américaine visant à stopper l'extension de la zone d'influence soviétique. Cela va obliger la Russie à traiter la frontière finlandaise et l’espace baltique comme une nouvelle frontière avec l’Otan. De fait, elle devra fournir un effort militaire supplémentaire, difficilement réalisable étant donné la guerre de grande envergure qu'elle est en train de mener et les sanctions dont elle est victime.