La Syrie de retour au sein d’Interpol, un danger pour les opposants à Assad?

Le régime de Bachar el-Assad redevient un membre à part entière d’Interpol. Damas pourra avoir accès aux informations les plus sensibles de l'organisation de coopération policière. Cette décision soulève des inquiétudes dans les rangs des défenseurs des droits humains. Le gouvernement syrien peut-il se servir des outils d’Interpol pour réprimer et persécuter ses opposants?

Image
Syrie Bachar

Des hommes marchent devant une affiche de campagne du président Assad.

AP/ Hassan Ammar
Partager4 minutes de lecture

Ils sont des dizaines de milliers à avoir fui la Syrie, théâtre d’une guerre qui dure depuis une décennie et qui a fait déjà près de 500 000 morts. Mis au ban de la communauté internationale en 2012, le régime syrien retrouve progressivement sa place au sein d’instances internationales comme Interpol, organisation de coopération policière.

Interpol, dans un communiqué, a décidé de « lever les mesures coercitives appliquées sur la Syrie ». Le gouvernement syrien peut désormais émettre des mandats d’arrêt internationaux, qui prennent le nom de notice rouge. Ce pouvoir de coercition à nouveau donné à Damas est au coeur des inquiétudes des défenseurs des droits humains.

Outil de recherche redoutable


À l’oeuvre dans 194 pays membres (sur 195 pays indépendants reconnus), Interpol fait en effet coopérer toutes les polices du monde afin de faciliter l’arrestation de criminels ayant réussi à fuir un certain pays.

Interpol site capture
Capture d'écran du site Interpol
DR

Les notices rouges, dont certaines sont rendues publiques sur leur site, permettent d’indiquer le degré de dangerosité d’un individu. Elles permettent ainsi d’alerter les forces de police du monde. Cet outil est redoutable selon William Julié, avocat spécialisé en droit pénal et droits humains. « Un grand nombre de pays exécutent ces notices quand elles apparaissent dans leurs fichiers nationaux au moment où les gens se présentent aux frontières », constate l’avocat. « Avant de publier une notice rouge, Interpol est supposé procéder à un contrôle qui est discutable. En tant qu’avocat, j'ai fait lever un certain nombre de notice dont les raisons n’étaient pas du tout conformes aux critères émis par Interpol. » renchérit William Julié. Si le motif d’une émission de notice rouge doit relever du droit pénal et présenter une certaine gravité, la motivation politique ainsi que les critères de race, de religion, de genre sont de fait exclus.

Le régime syrien a déjà toutes les listes en détail les noms de chaque famille d’opposant. Tous ces gens ne sont pas anonymes.

 Salam Kawakibi, directeur du CAREP

Toutefois, l’utilisation politique des émissions de mandats d’arrêts par Interpol ne date pas d’hier. Déjà en janvier, le journal américain The Hill alertait sur l’arrestation arbitraire de personnes ouighours apprenant être l’objet d’une notice rouge. « Très peu de notices rouges sont publiées. Il paraît évident que vous n'allez pas prévenir une personne contre laquelle un mandat d’arrêt a été émit. L'idée c'est de l'arrêter sans qu'elle se doute. Ce qui présente un gros problème car la demande d’une notification d'une personne se fait sans que celle-ci puisse se défendre. » soulève William Julié.

Persécutions facilitées? 

Est-il alors légitime de penser que le régime syrien puisse se servir de cet outil pour menacer ses opposants politiques? Salam Kawakibi, directeur du Centre arabe de recherche et d'études politiques de Paris (CAREP) pense que oui. « Le régime syrien a déjà toutes les listes en détail les noms de chaque famille d’opposant. Tous ces gens ne sont pas anonymes. » déplore-t-il. « Ils pourront facilement faire passer ces opposants pour des criminels, des terroristes ou des trafiquants de drogue. Interpol sera alors dans leur devoir d’arrêter ces gens. »

Voir aussi : Interpol : opposition à la nomination de l'Émirati Ahmed Naser Al-Raisi

TV5 JWPlayer Field
Chargement du lecteur...

William Julié partage cet inquiétude : « À l’évidence, cet outil pourra être utilisé par le régime syrien pour essayer d'atteindre des gens au même titre qu’il est utilisé par d'autres puissances présentant ce type de problématique comme la Chine ou la Turquie. Après la tentative du coup d'État contre Erdogan en 2016, environ 60 000 demandes de notices rouges ont été envoyées dans la foulée, à l’encontre en grande partie, d’opposants. » 

Par ailleurs, Interpol présente cette particularité que l’organisation est exempte de toute responsabilité pénale. Si une faute dans l’émission d'un mandat d’arrêt est identifiée après coup, l’entité ne pourra être poursuivi.

Voir aussi : Syrie : Bachar Al-Assad, indéboulonnable ?

TV5 JWPlayer Field
Chargement du lecteur...

Si la motivation politique du régime syrien à rejoindre Interpol est au coeur des discussions, les problématiques de criminalité restent réelles selon William Julié. « Il faut dire aussi que des notices rouges sont émises pour des motifs de coopération policière valable. Même dans des pays comme la Syrie, il y a des criminels et des assassins qu'il faut arrêter. La coopération semble alors nécéssaire dans ce cas de figure. » Selon Human Rights Watch, plusieurs dizaines de milliers de personnes sont détenues pour des raisons politiques.