La France a proposé que le Conseil de sécurité de l‘ONU saisisse la CPI (Cour pénale internationale) des crimes commis en Syrie. Si cette décision est soutenue par les ONG humanitaires, la Russie et la Chine pourraient, une nouvelle fois, imposer leur véto lors du vote de ce jeudi 22 mai 2014.
Les rapports humanitaires s’accumulent, les morts et les blessés aussi, mais la guerre continue de faire rage en Syrie avec son lot d’atrocités quotidiennes. L’ONU n’est pas parvenu à stopper la machine destructrice de Bachar al-Assad, la CPI le pourra-t-elle ? Rien n’est moins sûr. Créée en 1998 par l'adoption du Statut de Rome, la CPI est entrée en fonctionnement en 2003. Normalement elle est ne peut enquêter que dans les Etats ayant ratifié son statut mais le Conseil de sécurité de l'ONU a le pouvoir de demander qu'elle ouvre une enquête sur n'importe quel Etat. Depuis 2011, la FIDH (Fédération internationale des droits de l'Homme) évoque la possibilité d'un recours à la justice internationale. C'est finalement la France qui a proposé au Conseil de sécurité de voter une saisine de la CPI sur les crimes commis en Syrie.
Le véto, un crime de plus Pour Antoine Bernard, directeur de la FIDH, l'étape est importante: "Il est très probable que la Russie pose à nouveau son véto. Elle se sert aujourd'hui de l'alibi libyen pour justifier son geste." "Aujourd'hui nous défendons l'idée que poser un véto [sur le dossier syrien ndlr] revient à perpétrer un crime", avance l'humanitaire. L'idée est désormais partagée. La Suisse a réussi à recueillir les signatures de 58 États pour soutenir la saisine de la CPI et l'assimilation du véto russe à un crime. En 2011, lorsque des violences éclatent en Libye suite au soulèvement du peuple contre Mouammar Kadhafi, le Conseil de sécurité de l'ONU adopte deux résolutions. L'une concerne le mandat international autorisant les États membres, dont la France et le Royaume-Uni, à intervenir militairement. La seconde permet de saisir la CPI pour juger les crimes commis par le clan Kadhafi. La Russie n'a retenu que la première et ne décolère pas de cet acte d'ingérence.
Torture systématique L'horreur de la violence en Syrie a atteint un tel niveau qu'elle souffre désormais d'une forme de banalisation. L'OSDH, l'Observatoire syrien des Droits de l'Homme, compte aujourd'hui plus de 162.000 morts mais le chiffre est sans doute à revoir à la hausse. Dans son bilan du 1er avril, il dénombre aussi 17 000 disparus et des "dizaines de milliers" de personnes détenues en prison. Différentes ONG se sont appliquées à documenter ces violences pour les estimer et les décrire dans le détail. Impossible donc aujourd'hui de fermer les yeux sur ce qui se passe en Syrie. La quasi-totalité des violences décrites correspondent à la définition que la CPI donne des crimes contre l'humanité. Amnesty international a recueilli au mois de février 2012 les témoignages de dizaines de Syriens réfugiés en Jordanie après avoir été emprisonnés. Coups de bâtons, de câbles électriques, de matraques, tortures à l'électricité, sévices sexuels, confinement dans une cellule minuscule avec un mort ou privation de nourriture, dans le rapport intitulé "I wanted to die" (Je voulais mourir), ces anciens détenus racontent la cruauté des forces gouvernementales et le caractère systématique de la torture. Presque tous évoquent notamment une session « d’accueil » qui consiste en des coups particulièrement intenses à l’arrivée du captif sur le lieu de détention. Un détenu raconte également à l'ONG qu’on lui a fait signer dix pages de « confessions » après l’avoir battu pendant des heures. Le rapport souligne encore que la torture est, pour le régime syrien, un moyen de traumatiser les autres prisonniers. "Entendre les autres hurler est encore pire que la souffrance physique", raconte un jeune Syrien à Amnesty international.
Le viol, "arme de destruction massive" Les femmes sont loin d'être épargnées par le conflit. Les meurtres, enlèvements et viols sont courants. Dans un rapport sur les violences à l'encontre des femmes réalisé à partir de témoignages recueillis en Jordanie en décembre 2012, la FIDH souligne l'aspect traumatisant de ces formes de violences sur la population. Dans un article paru en mars 2014, Annick Cojean, journaliste au Monde, décrit le viol en Syrie comme "un crime fondé sur l'un des tabous les mieux ancrés dans la société traditionnelle syrienne et sur le silence des victimes, convaincue de risquer le rejet par leur propre famille, voire une condamnation à mort". La FIDH souligne d'ailleurs que la plupart des témoignages récoltés par l'ONG l'ont été de la bouche d'amies, de voisines ou de co-détenues des victimes. Pour Bourhan Ghalioun, président du Conseil national syrien, interrogé par Le Monde, "c'est cette arme qui a fait basculer dans la guerre [la] révolution qui s'était voulue pacifique." Les viols de filles devant leurs pères ou de femmes devant leurs maris auarient pousser les hommes à venger leur honneur par les armes.
L'horreur partagée Le 15 février 2013, la Représentant spéciale du Secrétaire général des Nations unies sur la violence sexuelle dans les conflits armés, Zainab Hawa Bangura, déclarait que : « Non seulement les civils sont pris dans un cercle vicieux de la violence, mais ils sont la cible de violences sexuelles par toutes les parties au conflit. » Les groupes rebelles adeptes d'un islam radical et prônant l'instauration de la charia ont, eux aussi, commis nombre de violences. Le Monde rapporte que "dans une lettre rendue publique et et adressée au Conseil national syrien et aux leaders des autres groupes de l'opposition syrienne, Human Rights Watch dénonce, mardi 20 mars, de graves abus – kidnapping, détention, torture de membres des forces de sécurité ainsi que des milices gouvernementales, les shabeehas – commis par des combattants rebelles."
Juger tous les crimes La reconnaissance par le Conseil de sécurité de l'ONU et la décision de juger l'ensemble des crimes commis en Syrie, aussi bien par le régime de Bachar al-Assad que par les rebelles, "est un point extrêmement fort pour convaincre la Russie de ne pas poser son véto", estime Antoine Bernard. Le directeur de la FIDH explique que, dans le but de débloquer la situation et permettre un dialogue, "le projet de résolution prévoit une sorte d'exception d'immunité pour les ressortissants des Etats non-partie au statut de Rome, ce qui est le cas de la Russie". "Les conditions sont plus que réunies pour que la Russie accepte de renoncer à son véto", conclut Antoine Bernard. Une éventualité difficile à imaginer, d'autant plus que la Chine et la Russie ont réaffirmé mardi 20mai, lors d'une visite de Vladimir Poutine en Chine, leur désir de lutter contre "les ingérences" .