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Pourquoi le groupe Etat islamique enchaine-t-il les actes terroristes en "pays lointain" ? Que veut-il montrer aux yeux du monde. Ecoutez l'analyse de Alain Rodier, directeur de recherche au Centre français de Recherche sur le Renseignement. Alain Rodier était l'invité du JT international de TV5MONDE ce dimanche 15 novembre 2015.
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La terrifiante mutation de l'Etat islamique

Les idéologues de l'organisation dite «Etat islamique» ont désormais adopté, dans leurs objectifs affichés, la lutte contre «les nations des Croisés»

Les attentats de Paris semblent confirmer un tournant dans la stratégie menée par l'organisation Etat islamique (EI, ou Daech selon l'acronyme arabe). Concentrés jusqu'à récemment quasi exclusivement à consolider et à élargir les frontières de leur «califat» autoproclamé, les idéologues de Daech ont adopté désormais dans leurs objectifs affichés la lutte contre «les nations des Croisés». A cet égard, dans la revendication qui a suivi les attaques, ils affichaient la même rhétorique haineuse contre la France et contre l'Allemagne, dont l'équipe de football jouait vendredi dans le Stade de France.
 

Le fruit d'une faiblesse en Syrie et en Irak ?

Les bombardements de l'aviation russe depuis un mois et demi, s'ils sont loin d'avoir abouti aux succès indiscutables qu'évoquent les militaires russes, ajoutent une forte pression sur l'organisation djihadiste. Dans le même mouvement, les Etats-Unis ont renforcé leur présence sur le terrain, créant de toutes pièces une nouvelle milice, «les Forces démocratiques de Syrie», qui s'appuie en réalité presque exclusivement sur les combattants kurdes. Vendredi, cette force s'emparait ainsi de la ville de Sinjar, à la frontière entre l'Irak et la Syrie, rendant vraisemblable une future offensive contre Raqqa, la «capitale» de Daech en Syrie.

Soudaine attaque contre l'ennemi lointain

C'est dans ce contexte que «Daech, Province du Sinaï», les affiliés locaux de l'Etat islamique, revendiquait l'attentat contre l'avion russe au dessus du Sinaï égyptien, il y a deux semaines. Les boîtes noires de l'appareil n'ont pas encore dit leur dernier mot. Mais si la piste d'un attentat djihadiste devait se confirmer, comme cela semble être le cas, cette action de Daech constituerait une première à double titre. D'abord en ce que, jusqu'ici, l'organisation ne s'en était pas pas pris de cette sorte au secteur du tourisme en Egypte. Mais surtout, parce que, selon la terminologie des djihadistes, ils s'attaquaient ainsi à «l'ennemi lointain», en l'occurrence la Russie.

Or, alors que le fondateur d'Al Qaïda, Oussama Ben Laden était obnubilé par cet «ennemi lointain», au premier chef les Etats-Unis, les idéologues de Daech insistent, eux, sur l'établissement de leur «califat», ce qui représente au demeurant l'une des grandes divergences entre les deux organisations. Dans la vision millénariste qu'expose l'Etat islamique, c'est bien à l'intérieur des frontières de ce «califat» que doit survenir la bataille finale contre les forces impies, celle qui précédera le Jugement dernier.

L'ennemie «Rome», de l'autre côté de la Méditerranée

Une seule «entorse», jusqu'ici, à cette panoplie idéologique: lorsque, consolidant sa puissance en Libye, Daech a évoqué cette autre extension du «califat» comme un moyen de s'attaquer à «Rome», de l'autre côté de la Méditerranée. Une menace qui, selon les experts, fait davantage référence, là aussi, à une perspective millénariste plutôt qu'à la capitale de l'Italie actuelle.

Aujourd'hui, l'Etat islamique mêle sans sourciller, pour justifier son action meurtrière, notamment la présence de la France au sein de la coalition internationale qui bombarde ses positions en Syrie, le fait que la France «se vante de combattre l'islam» (allusion sans doute à la question du voile), ou encore des insultes faites au Prophète (Charlie Hebdo). Une revendication, en somme, qui s'apparente à un fourre-tout.

Juste après une réunion à propos de la Syrie

La tragédie en France coïncide par ailleurs avec la réunion multinationale qui s'est tenue à Vienne à propos de la Syrie. La question d'un maintien au pouvoir de Bachar el-Assad, le président syrien, a été autant que possible gardée de côté. Mais les grandes puissances réunies pour l'occasion, qui comprennent les Etats-Unis, la Russie, mais aussi l'Union européenne, certains pays arabes ainsi que l'Iran, ont accepté une feuille de route visant à organiser une transition politique et des élections dans 18 mois.

La réunion de Vienne a été «entièrement» placée sous l'ombre des attentats qui ont frappé la France, constatait le ministre allemand des Affaires étrangères Franz-Walter Steinmeier. Avant d'ajouter que ces événements ont «accru la détermination à aller de l'avant». «Les tueries en Syrie doivent prendre fin», affirmait-il, en sous-entendant une évidence, rendue dramatique par la tuerie de Paris. La guerre qui fait rage depuis plus de quatre ans en Syrie est loin, très loin, de ne concerner que les seuls Syriens.