L’armée turque a bombardé des secteurs contrôlés par le Parti de l’union démocratique (PYD) qui progresse à sa frontière, alors même qu’Ankara se dit prête à une intervention terrestre contre l’Etat islamique en Syrie.
Les véhicules des forces turques patrouillent dans la localité de Nusaybin, localisée à quelques kilomètres de la frontière turco-syrienne. De l'autre côté de la frontière, l'armée turque y pilonne des militants kurdes du Parti de l'union démocratique (PYD), le 14 février 2016.
AP Photo/Lefteris Pitarakis
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La Turquie a fait comprendre au cours du week-end qu’elle ne resterait pas spectatrice des grandes manœuvres qui agitent l’autre côté de sa frontière avec la Syrie, en particulier dans les environs de la ville d’Alep, au risque d’affaiblir les espoirs déjà minces d’une solution négociée.
Samedi et dimanche, son artillerie a tiré des dizaines d’obus contre les Unités de protection du peuple (YPG), branche armée du Parti de l’union démocratique (PYD), principale formation des Kurdes de Syrie. Ces derniers avancent depuis deux semaines dans la région d’Azaz, au nord d’Alep, à 5 km de la frontière turque. Une percée permise – et soutenue – par l’offensive récente du régime de Damas et de l’aviation russe contre les rebelles syriens dans cette zone.
Officiellement, l’armée turque a «riposté» à des tirs provenant d’en face, notamment des abords de l’aéroport militaire de Menagh, repris le 10 février par ces forces kurdes à des opposants islamistes. Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, au moins deux miliciens kurdes auraient été tués. Ankara a annoncé dans la foulée avoir répliqué à d’autres tirs visant sa province de Hatay et provenant cette fois-ci de positions de l’armée syrienne.
Des intentions stratégiques
Mais en Turquie, pas plus que chez les différents belligérants en Syrie, personne n’est dupe des intentions d’Ankara: empêcher le PYD, émanation du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) que la Turquie combat depuis plus de trente ans, de conquérir d’autres territoires le long de sa frontière, au détriment des rebelles soutenus par Ankara. Et de constituer, in fine, un Kurdistan autonome dans le nord de la Syrie, que les Turcs considèrent comme une menace quasi vitale.
Samedi, au moment où son armée pilonnait le PYD, le premier ministre Ahmet Davutoglu a pris un ton guerrier pour intimer aux forces kurdes – qualifiées de «terroristes» – l’ordre de «s’éloigner immédiatement d’Azaz et de ses environs» et «d’évacuer l’aéroport de Menagh». Un message adressé aux Kurdes, à Damas et Moscou, autant qu’aux Etats-Unis, qui voient le PYD comme un allié capable d’appuyer au sol leurs bombardements contre l’Etat islamique (Daech selon l’acronyme arabe). Washington a d’ailleurs réagi très vite, exhortant Ankara à «cesser ces tirs», tandis que la France réclamait dimanche «la cessation immédiate des bombardements […] de la Turquie dans les zones kurdes».
Ces bombardements interviennent au moment où Ankara se dit prêt à intensifier sa lutte contre Daech en Syrie, et même à envoyer des troupes contre les djihadistes, avec l’Arabie saoudite, «si une telle stratégie émergeait» au sein de la coalition. Le ministre des Affaires étrangères, Mevlüt Cavusoglu, a fait cette proposition samedi, alors que des avions de chasse saoudiens étaient attendus sur la base d’Incirlik, dans le sud de la Turquie.
La cible désignée – l’Etat islamique – ne cacherait-elle pas un projet d’offensive contre le PYD/PKK dans le nord de la Syrie? «La Turquie ferait une erreur monumentale, alerte Ünal Çeviköz, ancien ambassadeur de Turquie à Bagdad. Une offensive contre le PYD aurait pour seul effet d’ouvrir la voie à Daech et serait vue comme une agression par le régime syrien et ses alliés russes et iraniens, qui ne manqueraient pas de riposter. La Turquie le paierait très cher.»
Tenant tête à Ankara, le coprésident du PYD, Saleh Muslim, a rejeté hier un retrait des territoires conquis récemment et a prévenu que «le peuple syrien s’opposerait» à une intervention de l’armée turque. Mais le risque d’escalade est réel, à mesure que la Turquie perd toute confiance en Washington et en Moscou, non seulement face à leurs échecs pour négocier une «cessation des hostilités» en Syrie, mais surtout parce que ces deux puissances courtisent les milices kurdes qu’Ankara rêve d’expulser de sa frontière.