Dans la nuit du 5 au 6 juillet 2013, les 74 wagons remplis de pétrole d'un train sans conducteur glissaient à grande vitesse vers le centre-ville de Lac-Mégantic. C'est là que le train déraille et explose, tuant 47 personnes. Un an après, la population tente de se relever de cette catastrophe. Reportage.
Retour sur la nuit du 5 au 6 juillet 2013 avec Claudette Lapointe, initiatrice des visites guidées "Tours Mégantic". Le premier volet d'une série de trois reportages.
04.07.2014Par Catherine FrançoisLa route qui mène à Lac-Mégantic serpente entre les collines verdoyantes et fleuries de l’Estrie, cette très belle région à l’est de Montréal. Elle suit également la voie ferrée à partir du village de Nantes et permet de constater qu’il existe bel et bien une pente prononcée entre les deux communautés, une pente fatale parce qu’elle a permis, dans la nuit du 5 au 6 juillet, au train sans conducteur et ses 74 wagons remplis de dizaines de milliers de litres de pétrole brut de glisser à grande vitesse vers Lac-Mégantic et de dérailler dans une courbe prononcée en plein centre-ville… La suite, on la connait, les explosions des wagons, l’incendie infernal et les 47 vies qui sont parties en fumée…
Un an plus tard… Quand j’arrive à Lac-Mégantic en ce mois de juin, les 6000 habitants se préparent à commémorer le premier anniversaire de cette tragédie ferroviaire, la pire qu’ait jamais connu le Canada. Très clairement, en parlant avec plusieurs personnes, on comprend que personne n’a encore pu faire son deuil, que l’on ait été touché de près ou de loin par les événements. Il y a tout d’abord cette plaie béante qui éventre le centre-ville, c’est là que le train a déraillé puis explosé. C'est d’ailleurs très émouvant de se trouver devant cette zone sinistrée, là où 47 personnes ont perdu la vie. Pour plusieurs d’entre elles, l’incendie a été si intense qu’il a été impossible de trouver des restes de leurs dépouilles.
Derrière les grillages, des tas de débris, classés en fonction de leur contamination par le pétrole qui s’est déversé. Pour l’instant, l’heure est à la décontamination du site sur lequel il reste encore près de 40 bâtiments, devenus inutilisables, et dont on ignore encore ce que l'on va en faire : les préserver ? Les détruire ? La municipalité vient de proposer un premier projet de reconstruction du centre-ville au terme d’une consultation avec les citoyens, un projet ouvert à la discussion et qui, de toute façon, ne pourra pas se concrétiser avant au moins un an. Le temps justement de nettoyer le site.
Commerces, pistes cyclable et pédestre, accès au lac, mémorial pour les victimes, le projet de la municipalité semble viable et recueillir l’appui d’une partie de la population. Il déçoit un peu, par contre, le groupe Action Mégantic, un regroupement d’une trentaine de gens d’affaires de la région, qui ont présenté eux aussi leur vision de reconstruction de leur ville. « Surtout axée sur le tourisme », précise Jacques Cloutier, enseignant et membre du groupe Action Mégantic. Leur constat est simple : avant même le drame, la ville était en décroissance, notamment au niveau de sa population. Située à plus d’une heure de route de Sherbrooke, la ville la plus proche, Lac-Mégantic peine à garder sa jeunesse, attirée par un avenir peut-être plus intéressant ailleurs. La tragédie a accentué cette tendance.
« Comment renverser cette courbe ? s’interroge Jacques Cloutier. Il faut développer le tourisme dans notre région et la reconstruction du centre-ville doit se faire dans cette perspective, avec notamment la construction d’un centre de congrès, d’un hôtel de 150 places minimum et d’un musée ferroviaire pour raconter l’histoire de la ville ». Le groupe Action Mégantic juge donc que le projet de la municipalité manque d’audace. Mais il reste de la place à la discussion et à de nouveaux aménagements…
Plus de train dans la ville Là où tous s’entendent, c’est sur la nécessité de construire une voie de contournement du centre-ville pour la voie ferrée qui continue de le traverser. La très vaste majorité des habitants de Lac-Mégantic le réclament et la mairesse Colette Roy-Laroche en a fait un combat personnel auprès des différents représentants de gouvernement. Ce petit bout de femme qui a forcé l’admiration par son courage et sa droiture lors du drame l’an dernier, essaie tant bien que mal de maintenir le cap dans la tempête incroyable que traverse sa ville. Rencontrée devant la zone dévastée, elle confie avoir été frappée par une telle catastrophe et « l’ampleur du nombre de victimes, l’ampleur du désastre du centre-ville, confie-t-elle. Jamais je n’aurais pu imaginer, aucun citoyen n’aurait pu imaginer, voir disparaître une partie du centre-ville. Ça nous dépasse, encore aujourd’hui, je me sens comme dans un film, ça m’apparaît comme irréel ». Telle une lionne, Colette Roy-Laroche défend sa ville sur toutes les tribunes et ne cesse de tirer la sonnette d’alarme sur la nécessité de redonner à l’industrie ferroviaire nord-américaine les mesures de sécurité absolument indispensables pour assurer le transport de matières dangereuses. « Il a fallu cette tragédie pour qu’on se réveille à ce niveau-là », déplore-t-elle. D’ailleurs pour les habitants de Lac-Mégantic, s’il faut trouver un coupable, c’est bien plus au niveau des propriétaires de la compagnie ferroviaire et, en bout de ligne, du gouvernement fédéral qui, ces dernières années, a tellement déréglementé l’industrie ferroviaire que les mesures les plus minimales de sécurité n’étaient plus assurées.
Une résilience impressionnante La mairesse de Lac-Mégantic est à l’image de ces concitoyens. Malgré la douleur, la population fait preuve d’une incroyable résilience. Prenons l’exemple de Claudette Lapointe, cette Méganticoise d’origine, touchée de plein fouet par la tragédie : elle y a perdu une cousine et une petite cousine et a fait partie des sinistrés. Alors qu’elle vivait une retraite tranquille, cette femme d’affaires a décidé de lutter à nouveau à la fin de l’été dernier en lançant sa compagnie « Tours Mégantic » qui organise des tournées dans la ville et la région pour les touristes venus d’un peu partout au Québec se rendre compte sur place de l’ampleur de la tragédie.
Si ces tours peuvent sembler a priori un peu « vautour », les Méganticois disent en avoir besoin car ils apportent de l’argent dans la ville et c’est aussi un moyen pour le reste des Québécois d’offrir leur soutien aux habitants. Claudette a ainsi accueilli l’an dernier quelque 80 autocars de touristes et elle s’apprête à en recevoir des dizaines d’autres cet été. « Ce travail nous a aidé à passer à travers », explique-t-elle alors que je la rencontre dans l’Église Ste-Agnès, miraculeusement épargnée lors de l’incendie.
Citons aussi le cas de Lise Paradis et Aline Savard, ces deux femmes propriétaires d’un bistrot-chocolaterie qui ont dû trouver un nouveau local pour leur commerce car celui qu’elles avaient se trouve dans la zone rouge, donc impossible d’y accéder. Elles se sont retroussé les manches, ont rénové le nouveau local qui jouxte l’église et accueillent depuis leur clientèle, tous les jours, avec le sourire. Frappé par un drame d’une telle ampleur, les habitants de Lac-Mégantic ont choisi de se relever, et de reconstruire, rebâtir cette ville à laquelle ils sont profondément attaché. Alors oui, il y a un avenir à Lac-Mégantic…