Lafarge en Syrie : ce que l'enquête judiciaire révèle

Lafarge est au coeur d'une enquête sur les liens qu'il a pu entretenir, notamment avec l'EI, pour continuer à faire fonctionner en 2013 et 2014, malgré le conflit, sa cimenterie de Jalabiya, au nord de la Syrie. L'enquête des douanes à laquelle a pu avoir accès le journal Le Monde met en cause les responsables de l'entreprise et les autorités françaises.
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Usine Syrie
Le cimentier français Lafarge rachète la société égyptienne Orascom et décide de la construction d’une usine dans le nord de la Syrie, près de la frontière turque en 2008. (Photo : AP / Thibault Camus)
 
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Lafarge Holcim condamne "les erreurs inacceptables commises en Syrie", a déclaré jeudi le cimentier à l'AFP, au lendemain de la divulgation d'un rapport d'enquête qui révèle que la direction française du groupe "a validé " des paiements effectués par sa filiale syrienne à des organisations jihadistes, dont l'État islamique (EI).

"Dès qu'il a été informé des irrégularités commises en Syrie, le conseil d'administration a tenu à diligenter une enquête interne", relève Lafarge, qui a fusionné en 2015 avec le suisse Holcim.

Le groupe a aussi mis en place "des mesures afin de renforcer davantage l'efficacité des protocoles et contrôles existants pour assurer une meilleure prévention et détection des éventuels manquements afin qu'une telle situation ne puisse se reproduire", ajoute-t-il.

En septembre 2016, après des révélations du journal Le Monde, le ministère de l'Économie avait déposé plainte, déclenchant l'ouverture d'une enquête préliminaire par le parquet de Paris, confiée au Service national de douane judiciaire (SNDJ).

La décision du leader mondial des matériaux de construction de rester en Syrie a reçu l’aval des autorités françaises.

Dans son rapport, dont l'AFP a eu connaissance, le SNDJ confirme que la branche syrienne du cimentier, Lafarge Cement Syrie (LCS), a "effectué des paiements aux groupes jihadistes" via un intermédiaire. La conclusion des douanes est surtout accablante pour la direction française de Lafarge de l'époque qui "a validé ces remises de fonds en produisant de fausses pièces comptables", d'après ce rapport.

Les douanes judiciaires ont entendu neuf responsables du cimentier et de sa filiale syrienne. Seules trois ont avoué avoir eu connaissance de ces pratiques, mais, pour les enquêteurs, "il est tout à fait vraisemblable que d'autres protagonistes aient couvert ces agissements", dont Bruno Lafont PDG de Lafarge de 2007 à 2015.

Les responsables de l’usine ont omis de préciser aux diplomates le prix de leur acharnement : plusieurs centaines de milliers d’euros versés à divers groupes armés

En avril, Eric Olsen, patron de LafargeHolcim depuis juillet 2015, avait démissionné pour tenter de désamorcer le dossier syrien. Le conseil d'administration avait accepté sa démission mais estimé qu'il n'était "ni responsable ni pouvant être considéré comme informé des actes répréhensibles identifiés" en Syrie. 

Selon le Monde, "Cette enquête révèle deux faits majeurs. Tout d’abord, la décision du leader mondial des matériaux de construction de rester en Syrie a reçu l’aval des autorités françaises, avec lesquelles le groupe était en relation régulière entre 2011 et 2014. Ensuite, les responsables de l’usine ont omis de préciser aux diplomates le prix de leur acharnement : plusieurs centaines de milliers d’euros versés à divers groupes armés, dont 5 millions de livres syriennes (20 000 euros) par mois à l’EI."

Le dossier a été confié en juin à trois juges d'instruction.