Lafarge en Syrie : Laurent Fabius auditionné ?

L'ONG Sherpa a demandé l'audition par la justice de l'ex-ministre des Affaires Étrangères Laurent Fabius dans l'enquête sur le cimentier LafargeHolcim, mis en cause pour avoir indirectement financé des groupes armés en Syrie dont Daech. Des témoignages de salariés de LafargeHolcim laissent entendre que le Quai d'Orsay aurait encouragé le cimentier à poursuivre ses activités dans le pays en guerre.    
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Un an après avoir porté plainte contre le cimentier LafargeHolcim pour « financement du terrorisme » et « complicité de crimes contre l’humanité », l’ONG Sherpa revient à la charge dans ce dossier.

Elle demande désormais l'audition par la justice de l'ex-ministre des Affaires Étrangères Laurent Fabius (2012-2016), ainsi que celle de deux anciens ambassadeurs de France en Syrie, Eric Chevallier (2009-2014) et Franck Gellet (2014-2016). Tous trois en fonction au moment des faits.

« La justice française ne doit oublier aucun acteur dans cette affaire, estime Marie-Laure Guislain, la responsable du contentieux de l'ONG Sherpa, sur France Info, l’État doit être exemplaire, les juges doivent donc rechercher son éventuelle responsabilité ».

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Lafarge et «L' affaire syrienne »

Après les révélations du journal Le Monde et la plainte déposée par Sherpa en novembre 2016, une autre ONG (ECCHR) ainsi que 11 ex-salariés syriens, une information judiciaire avait été ouverte en juin 2017  à l'encontre du groupe cimentier devenu franco-suisse en 2015.

L’enquête devra déterminer les liens (notamment financiers) qu’a pu entretenir LafargeHolcim avec plusieurs groupes armés en Syrie, dont l’organisation djihadiste Etat islamique, pour maintenir son activité dans le pays en guerre et continuer à faire fonctionner en 2013 et 2014 la cimenterie de Jalabiya.

Cette cimenterie acquise par Lafarge en 2007 et mise en service en 2010, était devenue, avec ses 200 salariés, le plus important investissement étranger en Syrie hors secteur pétrolier, avant que Daech ne s'en empare en septembre 2014.

Auparavant, la filiale syrienne LCS (Lafarge Cement Syria) aurait payé des droits de passage, des laissez-passer et des contreparties pendant quatre ans pour maintenir sa présence en Syrie, comme l'a expliqué l'avocat des anciens salariés, Marie Dosé, sur BFMTV le 14 juin 2017. Elle souhaite la mise en examen des responsables de Lafarge.

En attendant, le cimentier a fait du ménage dans son exécutif. L’ancien président de Lafarge, Bruno Lafont, devenu le co-président de LafargeHolcim, a dû quitter le conseil d’administration. Eric Olsen, bien que déclaré officiellement « non coupable », mais ancien DRH de Lafarge au moment des faits, a dû démissionner. Et un nouveau patron, totalement extérieur à cette affaire et à l'entreprise (il ne vient ni du français Lafarge ni du suisse Holcim) a été nommé : l'allemand Jan Jenisch. Issu d'un petit groupe chimiste suisse Sika, il devrait permettre de calmer la fébrilité managériale et l’anxiété des équipes. 

Le feu vert du Quai d'Orsay ? 

Entendus par les enquêteurs des douanes judiciaires chargés de l'enquête, menée depuis juin par trois juges d'instruction, d'anciens responsables du cimentier ont affirmé que cette volonté de rester coûte que coûte en Syrie avait reçu l'aval des autorités françaises.

« Le quai d'Orsay nous dit qu'il faut tenir, que ça va se régler (...) On allait voir, tous les six mois, l'ambassadeur de France pour la Syrie et personne ne nous a dit: "Maintenant il faut que vous partiez" », a ainsi relaté Christian Herrault, ex-directeur général adjoint opérationnel, d'après une source proche du dossier.

Pour Marie-Laure Guislain, « il est indispensable de rechercher toutes les responsabilités si l'Etat devait être impliqué dans cette affaire».

La conclusion des douanes est accablante pour la direction française de l'époque qui "a validé" des remises de fonds à des organisations jihadistes, "en produisant de fausses pièces comptables".

A ce jour, quatre anciens employés syriens ont été entendus ces derniers semaines par les magistrats instructeurs. Jeudi, l'un d'entre eux a confirmé devant le juge "les pressions qu'il avait subies avec ses collègues pour les obliger à continuer à travailler", d'après la source proche du dossier.

« Nous avons déposé plainte avec onze salariés syriens. Mais il est pour l'instant difficile de faire venir les autres pour des questions financières et de visas », a déploré Marie-Laure Guislain.

A l'époque, en novembre 2016, outre l'ONG Sherpa, le ministère français de l’Économie avait également saisi la justice, car l’Union européenne avait interdit, dès novembre 2011, l’achat de pétrole en Syrie. Réitèrera-t-il cette fois-ci ?