L'affaire Cahuzac est une tempête politique mais aussi médiatique. Pour mémoire, c'est le site d'information Mediapart
, déclarant que Jérôme Cahuzac possède un compte bancaire occulte à la banque UBS de Genève.
L'information fait l'effet d'une bombe dans la "République exemplaire" prônée par un François Hollande fraîchement élu. Et sera de prime abord mis en doute par les confrères comme l'explique Louis-Marie Horeau, rédacteur en chef du Canard Enchaîné, dans l'édito de l'édition de ce jour : "Lorsque le rideau s'est levé voilà quatre mois, il n'y avait guère sur scène, qu'une conversation téléphonique captée par hasard. Une voix dont il fallait croire, sans preuve tangible, que c'était celle du ministre, évoquait l'existence d'un embarrassant compte en Suisse.(...) Rien d'étonnant à ce que la grande majorité des médias, le Canard compris, ait regardé le début de la pièce avec prudence et circonspection."
Plenel, "pas apprécié de ses confrères"
Pour ne rien arranger au climat de suspicion contre les allégations de Mediapart, ajoutez en toile de fond un rival politique auteur de l'enregistrement et un divorce houleux du ministre d'avec son épouse. Sans oublier les vives et nombreuses dénégations de Cahuzac. Le ministre du Budget portera d'ailleurs plainte pour diffamation deux fois contre le site.
Pour Gilles Bruno, éditeur du site l'
Observatoire des médias, le fait que Mediapart soit un site internet a joué en sa défaveur : "C'est beaucoup plus difficile pour un nouveau média en France de gagner ses galons de crédibilité. J'espère que maintenant c'est fait !"
Stéphane Hugon, sociologue, rappelle pour sa part que la figure du journaliste-enquêteur existe depuis longtemps mais a toujours été marginale : "Le journaliste engagé n'a jamais représenté qu'une part infime des journalistes, qui produisent du contenu comme d'autres produisent des produits."
Au final c'est une "histoire de presse formidable" pour Ariane Chemin, grand reporter au Monde,
interviewée ici en vidéo (à 1'45): "C'est au départ Mediapart contre tout le monde et Mediapart c'est aussi son fondateur, Edwy Plenel, un homme qui n'est pas du tout apprécié de ses confrères journalistes. Et d'un coup quand une enquête a été ouverte par le parquet de Paris, la presse s'est retournée."
Critiques, intox et mea culpa
Et si les autres journalistes reprennent alors en Une les informations de Mediapart, le seul média à enquêter se retrouve de facto dans l'oeil du viseur, sous le feu des critiques.
L'éditorialiste Jean-Michel Aphatie, officiant sur RTL et Canal +, sera l'un des plus virulents envers le site d'information. Gilles Bruno s'en souvient : "La façon dont il insistait sur les plateaux de Canal + n'était pas super "clean", sans oublier
les tweets-clash avec Plenel ou Arfi. Son boulot de journaliste n'est pas de contrer les autres journalistes. On ne lui demande évidemment pas de faire des enquêtes mais avec l'aura et l'impact qu'il a, ce serait bien q'il ne mette pas des bâtons dans les roues médiatiques de ses confrères."
Aujourd'hui, la justice ayant donné raison à Mediapart, certains journalistes souhaiteraient un mea culpa d'Aphatie,
comme Erwan Gaucher. De son côté, le journaliste politique ne se sent pas le moins du monde décrédibilisé comme il le dit
ici ou l'explique
là.
A l'époque, le journaliste et co-fondateur de Mediapart François Bonnet,
avait répondu via son blog en parlant d'"intox", suscitant de très nombreuses réactions d'internautes. Pour Gilles Bruno, "Le JDD doit se poser des questions et ce serait bienvenu qu'on voit dans les prochaines éditions un mea culpa ou en tous cas une explication claire et franche sur cet article, puisque personne n'a jamais réellement vu le document d'UBS selon Edwy Plenel et Fabrice Arfi."
La revanche de Mediapart
Hier soir sur France 2, le Premier Ministre Jean-Marc Ayrault a salué "la presse indépendante" dont le travail est "nécéssaire dans une démocratie". Deux de ses ministres, Arnaud Montebourg et Vincent Peillon, avait déjà pris la défense de Mediapart lors de l'ouverture de la procédure judiciaire.
Mercredi 20 mars, le ministre du Redressement productif,
sur France Inter, avait décrit Mediapart comme "un contre-pouvoir nécessaire dans une démocratie moderne". Le ministre de l'Education nationale observait
sur la chaîne parlementaire (LCP) "que beaucoup de journalistes, et je suis étonné, ont été très critiques à l'égard de Mediapart. C'est ennuyeux."
Louis-Marie Horeau écrit encore aujourd'hui dans Le Canard : "Son triomphe [de Mediapart] sera, c'est de bonne guerre, à la mesure de l'opprobre dont ses dirigeants auraient été accablés si l'innocence de Cahuzac avait été prouvée".
Point de fanfaronnade pour Edwy Plenel, qui a estimé qu'"il faut s'interroger sur ce mensonge, avec la complicité du monde politique et médiatique". Pour le directeur de la rédaction du site Mediapart, "Il faut s'interroger sur ce qui s'est passé pendant ces quatre mois, sur ce retour de boomerang qu'avait prévu Mediapart", ajoutant que "ce qui fait le malheur de la démocratie ne rend pas heureux les journalistes".
On peut cependant parier sans trop se risquer que Mediapart devrait gagner des lecteurs suite à cette affaire (et donc des abonnés puisque le site est payant). On peut d'ailleurs acquérir depuis aujourd'hui sur le site d'information, pour la modique somme de 3 euros,
un e-book "des 10 articles qui ont ponctué l'affaire Cahuzac"...