Fil d'Ariane
Après une première exposition baptisée "Les Sixties, âge d'or", la Bibliothèque de Documentation Internationale Contemporaine (BDIC) poursuit l'aventure avec cette fois la période 1970-1990. Nous voici donc partis pour un tour du monde historique et graphique: France, Pays-Bas, Pologne, Allemagne, Cuba, Espagne, Amérique Latine, Etats-Unis, Grande-Bretagne.
Les sciences sociales et humaines, qui ont directement influencé les graphistes politiques, mais aussi publicitaires, font partie intégrante du processus, avec les figures dominantes que sont Roland Barthes, fondateur de la sémiologie, Serge Tchakhotine (connu pour son ouvrage Le viol des foules par la propagande politique) et Abraham Moles, expert en langage et image publicitaires aux USA.
Cette étude porte aussi sur l’appropriation progressive de l’espace urbain par la publicité, qui laisse de moins en moins de place à l’expression des grandes causes ou du combat social. Les affiches se retrouvent dès lors dans les espaces collectifs privés, dans les biennales, les galeries, les musées, ce qui réduit leur portée, voire les transforme en objets de consommation…
Dès l’entrée de l’exposition, la mise en perspective historique - mais aussi esthétique - de l’activité graphique « alternative » se concentre sur les écoles polonaise et cubaine.
L’artiste Henryk Tomaszewski est la figure centrale de l’Académie des Beaux-Arts de Varsovie, qui vit passer de nombreux étudiants étrangers, attirés par la capacité d’ « abrégé conceptuel » auquel avait abouti le maître. Son modernisme était « à l’opposé du style socialo-réaliste qui faisait loi à Moscou ! » se souvient le Français Alain Le Quernec, un de ses anciens élèves.
Quant à Cuba, elle faisait figure de foyer majeur de créativité et d’échanges. En témoigne la vitrine où se côtoient un exemplaire de France-Soir faisant sa Une, en 1960, sur le grand reportage baptisé Ouragan sur le sucre signé Jean-Paul Sartre et consacré à Fidel Castro. On y voit aussi Simone de Beauvoir aux côtés du « Lider Maximo ». Nous sommes quelques mois après la révolution et l’enthousiasme pour le régime est au zénith. La couverture du Congrès de la culture de La Havane, en janvier 1968, témoigne lui aussi de l’aura internationale de la vitalité de l’île.
Les graphistes cubains sont exposés ici au travers d’œuvres fortes, signées notamment Hector Villaverde, René Mederos Pazos, Antonio Perez (autour d’une affiche sur Che Guevara qui deviendra un « must ») ou René Ascuy Càrdenas (avec un visuel magnifique pour la sortie de Besos Robados (Baisers volés), le film de Truffaut). On rappellera, au passage, qu’aux côtés de Cuba les autres non-alignés qu’étaient l’Algérie, la Chine, l’Albanie ont été très prolixes en matière de propagande graphique à destination des Occidentaux et que l’Organisation de l’Unité Africaine a aussi participé de l’anti-impérialisme ambiant (1).
Les commissaires de l’exposition, Cécile Tardy et Magali Gouiran, aux côtés de Valérie Tesnière, ont exhumé des collections de la BDIC des affiches très parlantes consacrées à la lutte contre l’Apartheid, notamment dues au collectif néerlandais Wild Plakken ainsi qu’au grand graphiste français Grapus.
Plusieurs mouvements visant à l’indépendance sont évoqués sur les cimaises. La Palestine, le Portugal, la Pologne (avec le mouvement Solidarnosc), le Chili, le Salvador, le Nicaragua ont fait l’objet de mobilisations internationales. La Coupe du Monde de football dans une Argentine gouvernée par la dictature, en 1978, avait inspiré alors des images fortes aux artistes. Le Sri Lanka, dont la cause avait à l’époque peu mobilisé les Français, figure aussi au fronton de l’exposition des Invalides, grâce au prêt de l’Institut International d’Histoire Sociale (IISG) d’Amsterdam, pendant de la BDIC aux Pays-Bas, partenaire régulier et contributeur non négligeable, avec la BNF, aux prêts consentis pour cette exposition.
Ecologie, pacifisme, lutte contre la prolifération nucléaire, droits des femmes et des minorités de tous bords, célébration du 1er mai, mobilisation pour la libération de Nelson Mandela et pour l’accueil des boat-people d’Asie du Sud-Est sont les causes les plus souvent défendues.
L’accrochage est thématique avant tout. Il met en lumière quelques symboles de la solidarité comme la main ou la colombe de la paix (à voir, l’affiche de la « Marche pour la Paix et la Justice » organisée à New York en 1982, témoignage du style Push Pin, un collectif qui travaillait alors beaucoup pour l’hebdomadaire de gauche « The Nation », toujours bien vivant aujourd’hui et très actif aux côtés de Bernie Sanders !) et le traitement qu’en font des artistes aux quatre coins du monde. Il donne aussi à voir, sur la période couverte, l’usage qui est fait du dessin, de la photographie et des photomontages, de l’écriture manuscrite ou des polices de caractères, ainsi que la sémantique des slogans.
Les années 1970-1990 sont aussi marquées, en France et plus généralement en Europe, par les problématiques sociales. On découvre ici quelques très belles affiches du Français Claude Baillargeon, comme celle qu’il consacre au droit au logement pour tous en 1981, clin d’œil au fameux arbre de Magritte, ou celle intitulé Le chômage me vide renvoyant à un numéro de téléphone « SOS injustices ». Dans les deux cas, il s’agissait de commandes du Parti Socialiste d’une part, de la Municipalité de Bagnolet d’autre part.
La commande publique ou associative est un des grands axes de l’exposition Internationales Graphiques. On sait combien le Parti Communiste, en France et ailleurs, des syndicats comme la CGT ou encore les partis des Verts en Allemagne (à voir les affiches de choc commandées à Gunter Rambow) notamment, ont beaucoup misé sur l’image proposée dans l’espace public.
Les commanditaires mis à l’honneur dans l’exposition sont aussi Amnesty International, le Secours Populaire ou encore l’OSPAAAL (Organisation de Solidarité des Peuples d’Asie, d’Afrique et d’Amérique Latine) qui joua un grand rôle dans la diffusion de documents visant à faire rayonner la révolution cubaine. Son affiche commandée en 1972 à Alfredo Rostgaard - montrant un Nixon traité de façon psychédélique, mais surtout appareillé de dents de vampire… quand on la déplie ! - est célébrissime auprès des connaisseurs.
Autres commanditaires importants : les lieux culturels, comme le Théâtre de la Salamandre à Lille, les Amandiers à Nanterre, les Maisons de la Culture telle celle de Grenoble, le Schauspiel à Francfort et feu le Centre de Création Industrielle de Beaubourg. Et des instances publiques, parmi lesquelles le Ministère de la Culture, avec Jack Lang en initiateur de choc.
Qui dit commande dit la plupart du temps « droit de regard », pour parler pudiquement. C’est la loi du genre. Plusieurs artistes se sont confiés aux commissaires de l’exposition de la BDIC et donnent à voir des projets refusés aux côtés des affiches retenues. C’est le cas d’Alain Le Quernec, dont on peut admirer par ailleurs, ici, suite à la commande du Parti Socialiste unifié de Bretagne, une Bécassine, pour la première fois munie d’une bouche et d’une petite poitrine qui en fait – enfin – une femme, s’écriant « Décidons chez nous » en brandissant le poing.
Il avait proposé au même commanditaire désireux de marquer sa solidarité avec le peuple polonais en 1981, un portrait très sérieux de Staline, affublé d’une cocarde, mais il fut obligé finalement de revoir sa copie. Il dessina alors le profil de Lénine laissant échapper une larme… qui fut retenu.
Internationales Graphiques – Collection d’affiches politiques 1970-1990.
BDIC – Hôtel National des Invalides – 75007 Paris
Jusqu’au 29 mai 2016