L'Afrique francophone, vivier de richesses pour la langue française
Nous connaissons les origines latines, grecques, arabes de notre langue. Mais nous ignorons souvent que de nombreuses expressions africaines contribuent à l'évolution constante de la langue de Molière. Une langue qui compte tout de même plus de 274 millions de locuteurs selon l'Organisation internationale de la francophonie. "Il ne faut plus parler du français, il faut parler de français au pluriel", estime le linguiste et lexicographe Alain Rey. Entretien.
Faire palabre a le sens de discussion, oui mais aussi celui de querelle. Zelda Zink pour TV5 Monde.
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Mordre le carreau, faire palabre... La signification de ces expressions vous échappe peut-être. Mais au Burkina Faso, au Togo ou en Côte d'Ivoire elles font partie du vocabulaire de tous les jours. Preuve que la langue française est riche et imagée.
Elle le doit à son incroyable capacité d'accueil à travers les siècles. Sur plus de 35.000 mots du français courant, près de 5000 sont d'origine étrangère.
A l'occasion du XV Sommet de la francophonie, qui se tient à Dakar, nous avons exploré avec le linguiste lexicographe et observateur de l'évolution de la langue, Alain Rey, l'apport de l'Afrique francophone (Maghreb et Afrique subsaharienne)à la langue française.
Alain Rey, linguiste lexicologue et rédacteur en chef des éditions Le Robert. AFP.
Comment se nourrit le français du lexique de l'Afrique francophone ?
"Il y a beaucoup de créativité de la part des français en Afrique. Je dis bien des français au pluriel. Car on ne parle pas de la même façon là où il y a eu une influence belge, ou dans un pays comme le Sénégal. Le président Léopold Senghor y a mené une politique de normalisation.
On lui doit un mot très à la mode dans le milieu politique français : 'gouvernance'. Ce dernier a désigné, au départ, le statut de gouverneur de province, que le président Senghor a créé. Une décision administrative est venue enrichir le français."
Il y a bien d’autres mots qui sont peu connus comme les senseris (station d’essence). Ils commencent pourtant à l’être grâce à la présence des communautés d’origine africaine ou maghrébine en France.
Les nouveaux vocables font leur entrée par les milieux populaires et la banlieue. Ensuite, ils rejoignent le langage courant puis, pénètrent tous les milieux. Le français d’Afrique a imposé ambiancer (mettre de l'ambiance)ou ambianceur dans certains milieux de jeunes alors que c’est un verbe qui nous vient du Sénégal et des environs. 'Kiffer' en est un un autre exemple.
On remarque le même phénomène avec les régionalismes français qui ne sont connus d’abord que dans la région et qui se répandent après."
Le grec, l'arabe, l'espagnol... Les mots issus directement de ces langues sont répertoriés et facilement reconnaissables. En revanche c'est un défi de trouver des traces précises des mots issus de la francophonie africaine. Quelle est l'explication ?
"Il existe un inventaire des particularités lexicales du français d’Afrique subsaharienne fait il y a une trentaine d’années. Mais il n’y a pas d’instrument assez précis pour le Maghreb d’aujourd’hui. On connaît assez bien le français qui était parlé pendant la période coloniale en Algérie. Mais ces connaissances n’ont pas été mises à jour. Et pourtant, malgré l’arabisation, le français y très vivant. Même chose en Tunisie et au Maroc."
Cela montre une véritable méconnaissance...
"Il existe un centralisme français ancien ou jacobin de l’après-révolution qui consiste à tout ramener au français parlé en Ile-de-France, et non seulement au détriment du français hors de France. Mais aussi au détriment de celui des régions françaises.
Les mots qui ne sont pas employés en France sont tout aussi importants que ceux qui le sont. Il faut en tenir compte pour décrire l’ensemble du français.
On ne peut plus parler d'un français singulier et parisien. Les français se valent tous et qui ont tous des particularités pour désigner des réalités régionales. Mais aussi des mots qui recouvrent des notions tout à fait générales qui mériteraient d’être connues partout."
Être battu à plate couture, vaincu…Un dessin de Zelda zink pour TV5 Monde.
Vous parlez de "différentes réalités". Un mot qui désigne une réalité en Côte d'Ivoire, par exemple, est peut-être difficilement exportable, d'où la méconnaissance du mot en question.
"Non. C'est de la paresse. Il y a une sorte d’influence dominante de la langue anglaise promue inconsciemment ou consciemment par les médias, le cinéma… Et en même temps les grandes inventions (informatique et sciences) les modes (culture populaire) et le langage financier nous viennent des Etats-Unis. Les américanismes rejoignent le stock des mots français. C’est la nécessité qui fait la loi.
Le Québec connaît bien la concurrence qui s'établit entre le français et l'anglais."
On prévoit une francophonie foisonnante d'ici 2050 qu'on devra notamment à l'Afrique. On peut imaginer que cette prospérité linguistique ajoutée à la mobilité de plus en plus forte de la population pourra combler les lacunes.
"Il y a une mondialisation générale qui est bourrée d’anglicismes et une globalisation à la française qui peut venir des différent points de la francophonie. Il ne faut pas oublier qu’on parle le français plus ou moins et plus ou moins bien dans les cinq parties du monde.
Tout cela a un impact sur le français qui est parlé en Europe, considéré comme le français central. Avec les mouvements de populations l’influence d'un vocabulaire venu d'ailleurs sur le français de France et de Belgique, les enrichissements dus aux différents points de la francophonie hors de France sont considérables.
N'oublions qu'il y a des mouvements dans tous le sens. Ainsi, des mots de France vont entrer dans l’arabe du Maghreb. C’est un échange sans fin."
“Camembérer“
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