D'après les récentes prévisions du Fonds monétaire international, le ralentissement économique remet en question la montée fulgurante des BRICS. Cette phase de croissance à deux chiffres semble belle et bien finie, mais ceci ne remet pas en cause leurs acquis.
Depuis une décennie, les BRICS bouleversent la donne économique mondiale. En 2001, Jim O’Neill, responsable de la recherche économique dans la banque Goldman Sachs invente l’acronyme BRIC pour définir le club des émergents formé par le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine. En 2003, un rapport, toujours de Goldman Sachs, popularise l’expression qui sonne si bien aux oreilles des investisseurs. En 2009, l’Afrique du Sud les rejoint. Les BRIC deviennent les BRICS. Leurs caractéristiques : une croissance économique époustouflante (entre 2004 et 2011, la croissance moyenne de la Chine a été de 10,8%, celle de l’Inde de 8,3%), une population jeune et dynamique, et un énorme territoire. On les appelle des pays-continents. Devenus le terrain de jeu d’une nouvelle classe moyenne en ascension et d’une main d’œuvre à bas coûts, ils ont confirmé les prédictions des économistes : ces économies représentaient jusqu'il y a peu 36% voire 50% de la croissance mondiale.
Un "ralentissement prolongé" Les prévisions du FMI publiées en juillet, qui s’ajoutent à celles d’autres organismes financiers, mettent un frein à l’optimisme consensuel qu’éveillaient ces pays. Le Fonds monétaire international parle de "ralentissement prolongé". Habitué à bien plus, le Brésil n’affiche qu’une croissance de 2,5%. A peine 4% en Inde. Quant à la Chine, elle accuse une véritable chute avec 7,5% puisqu’il y a encore trois ans la croissance du géant asiatique dépassait les 11%. Pour Richard Basas, observateur des BRICS et ancien rapporteur en Amérique Latine pour le Centre pour des études stratégiques internationales, ce ralentissement n’est pas inattendu mais il marque un changement de cap. "C’est peut-être la fin d’un âge d’or pour les investisseurs qui ont cru que les investissements en Europe et aux Etats-Unis pouvaient être remplacés par ceux en Chine et au Brésil. Il est évident que les BRICS ne pouvaient pas afficher une croissance à 12% éternellement. Mais cela ne veut pas dire que la Chine et le Brésil deviennent de mauvais investissements. Ils deviennent tout simplement compétitifs vis-à-vis des marchés américains, par exemple. Aujourd’hui les pays occidentaux observent une certaine reprise. Quand tous les grands acteurs mondiaux participent à l’économie, il est normal d'enregistrer des taux de croissance raisonnables", analyse-t-il.
Le ralentissement annoncé par le FMI est dû à un changement de stratégie, selon Richard Basas : "La Chine est en train de passer d’une économie basée sur la manufacture à une économie où la recherche et la production plus sophistiquées prennent une place accrue", explique Richard Basas. De plus, la conjoncture actuelle a des effets négatifs sur tous : "Quand les chiffres des ventes en Amérique et en Europe sont bas, la production en Chine se voit réduite. C’est ce que les Chinois veulent éviter en se dirigeant vers une économie basée de plus en plus sur les connaissances", explique-t-il.
"On ne va pas revenir au modèle des années 80" Pour Folashadé Soulé , doctorante en relations internationales à Sciences-Po Paris et chercheuse associée au Global economic governance programme à l’Université d’Oxford, il est également question de la fin d’une ère. Mais ceci n’est pas forcément négatif pour les pays émergents : "Effectivement il y a un ralentissement en terme d'économie et de croissance dont les taux sont très en-deçà des résultats habituels. On peut parler de la fin d’une ère de forte croissance. J’insiste bien sur le mot 'fort'. Car leur croissance va continuer mais à un rythme plus lent. On ne va pas revenir au modèle des années 80 marqué par l’hégémonie des économies occidentales mais nous entrons plutôt dans une phase de rééquilibrage progressif où d’autres émergents vont également entrer en jeu. C’est ce que certains économistes appellent Les ‘Next eleven’ qui regroupent d'autres économies émergentes qui connaissent également une forte croissance comme la Thailande, l’Indonésie ou la Turquie." Pendant cette dernière décennie, les BRICS se sont imposés dans le jeu économique mondial mais aussi dans l’arène politique en revendiquant leur indépendance à l’égard des puissances occidentales. En 2010, ils ont obtenu une plus grande représentation au sein du Fonds monétaire international, par exemple. Selon Folashadé Soulé, un ralentissement économique ne les fera pas régresser sur le plan politique: "Ces pays se sont appropriés l’appellation BRIC et la croissance leur a permis d’assurer une présence collective internationale plus forte. Mais leur action politique ne sera pas affectée par leur ralentissement économique. Le projet de la banque d'investissement des BRICS va se poursuivre et ces pays qui ne sont pas des partenaires économiques traditionnels à la base vont continuer à développer leurs flux d’échanges économiques ainsi que leurs accords de coopération dans le domaine de l’agriculture et la santé."
Des changements en profondeur La fin d’une ère marque le début d’une nouvelle. Dans le cas du Brésil, elle sera caractérisée par de profonds changements sociaux. "Lors des manifestations populaires, qui ont éclaté dans ce pays en juin (voir encadré), la population demandait plus de justice sociale, des infrastructures, et un meilleur système de santé. Les Brésiliens réclament les recettes de l’émergence économique par de meilleures conditions sociales", explique la chercheuse. "Les économies brésilienne et chinoise sont complémentaires car le Brésil vend les produits de base que les usines chinoises transforment. L’heure est venue aussi pour le géant latino-américain de faire des changements structurels", affirme également Richard Basas qui dresse un bilan plutôt positif : "Le ralentissement n’est pas la conséquence d’un crash. C’est peut-être tout simplement le signe de la maturité de ces économies.
En juin 2013, le gouvernement brésilien a assisté à l'un des plus importants mouvements sociaux de ces vingt dernières années. Tout a commencé avec l'augmentation des titres de transport public. Le mouvement Passe livre s'y oppose. Soutenu par la population, il déclenche une série de manifestations. Dans les cortèges on peut lire des pancartes qui dénoncent la corruption et les dépenses liées à l'organisation de la Coupe du monde en 2014 ; alors que les Brésiliens exigent de meilleures infrastructures et plus de justice sociale. La présidente Dilma Roussef entend les révoltes de la rue et enclenche une série de réformes se heurtant parfois aux intransigeances du Parlement. Quelques mois plus tôt, à l'autre bout du monde, des travailleurs se révoltent en Chine dans une des usines de Foxconn, qui produit entre autres des iPhone. Des centaines d'ouvriers font la grève pour protester contre les mauvaises conditions de travail et leur maigre salaire. Foxconn est très suivi par les organisations de défense des droits du travail, après une vague de suicides (au moins 13) dans ses usines chinoises en 2010, due, selon les militants, aux dures conditions de travail. Malgré les méthodes répressives, de plus en plus d'ouvriers chinois osent demander de meilleures conditions de travail.