Fil d'Ariane
Le chef de l'Etat de 82 ans aura tenté de s'accrocher au pouvoir face à un mouvement populaire inédit. Mais il a démissionné mardi soir, quelques heures après avoir été défié par l'armée.
M. Bouteflika, très affaibli depuis un AVC en 2013 mais qui en février entendait encore briguer un cinquième mandat, a remis sa lettre de démission au Conseil constitutionnel, selon des images diffusées par la télévision nationale.
On y voit M. Bouteflika, qui semble fatigué, vêtu d'une gandoura (tunique nord-africaine) beige et assis dans un fauteuil roulant, remettant cette lettre, placée dans une chemise aux armes de la présidence, au président du Conseil constitutionnel Tayeb Belaïz, visiblement peu à l'aise.
Cette décision "est destinée à contribuer à l'apaisement des coeurs et des esprits de mes compatriotes, pour leur permettre de projeter ensemble l'Algérie vers l'avenir meilleur auquel ils aspirent légitimement", explique le chef de l'Etat dans sa lettre de démission, publiée par l'agence officielle APS.
Est également présent dans la pièce, le président du Conseil de la Nation (chambre haute), Abdelkader Bensalah, 77 ans, pur produit du régime, chargé par la Constitution d'assurer l'intérim durant une période maximale de 90 jours au cours de laquelle une présidentielle doit être organisée.
Slimane Zeghidour, éditorialiste TV5Monde estime que "Bouteflika a été mis à la porte par l'un des hommes qui lui doit tout, le général Ahmed Gaïd Salah qui pendant très longtemps a incarné le régime."
A Alger, un concert de klaxons a accueilli la nouvelle et des Algérois se sont rassemblés sur le parvis de la Grande poste, bâtiment emblématique du centre de la capitale, avant de défiler joyeusement dans les rues alentours.
Et la plupart des Algérois ont répété leur détermination à continuer de manifester malgré cette démission, refusant la transition prévue par la Constitution qui laisse aux commandes les acteurs du "système".
Comme Yacine Saidani, ingénieur de 40 ans, beaucoup se disaient "contents mais pas dupes". Certains ont rendu hommage au chef de l'Etat, mais regretté son acharnement à s'accrocher au pouvoir, qu'ils ont souvent attribué à son frère et principal conseiller, Saïd.
"Bouteflika a travaillé, j'ai voté pour lui au début, mais il n'a pas su partir la tête haute", a déploré Bilan Brahim, 40 ans, cadre au chômage.
Confrontée à des manifestations massives chaque vendredi depuis le 22 février, la présidence s'était résolue lundi à annoncer dans un communiqué que M. Bouteflika démissionnerait avant l'expiration de son mandat, le 28 avril, après avoir pris des "mesures pour assurer la continuité du fonctionnement des institutions de l'Etat durant la période de transition".
Mais mardi, à l'issue d'une réunion des plus hauts gradés de l'armée, son chef d'état-major, le général Ahmed Gaïd Salah, avait estimé que ce communiqué n'émanait pas du chef de l'Etat mais "d'entités non constitutionnelles et non habilitées", une allusion à l'entourage du président.
Semaine après semaine, le président Bouteflika, qui n'apparaît quasiment plus en public depuis son AVC en 2013, a tenté de s'accrocher au pouvoir, multipliant les propositions assimilées par la rue à des manœuvres, sans jamais réussir à calmer la contestation, dont le pacifisme constant au fil des semaines a été salué à travers le monde.
Massivement lâché jusque dans son camp, il s'était retrouvé ces derniers jours très isolé après que le général Gaïd Salah, indéfectible allié jusque-là, eut affirmé que son départ du pouvoir était la solution à la crise, position à laquelle se sont ralliés rapidement l'essentiel des piliers du régime.