L'Allemagne refuse d'intervenir en Libye : une erreur politique ?

L'Allemagne ne participera pas aux opérations militaires en Libye. Elle était présente au sommet de Paris qui s'est tenue le 19 mars pour organiser la coalition contre le régime de Kadhafi mais elle s'est abstenue lors du vote de la résolution à l'ONU autorisant les frappes aériennes pour protéger la population civile.
Image
L'Allemagne refuse d'intervenir en Libye : une erreur politique ?
Partager 5 minutes de lecture

« L’Allemagne a fait une erreur de calcul politique »

Entretien avec le journaliste allemand Rudolphe Chimelli, correspondant à Paris pour le “Süddeutsche Zeitung“

« L’Allemagne a fait une erreur de calcul politique »
A la Une de la Tageszeitung (Berlin) du 19 mars 2011 : “Tout le monde va-t-en guerre, sauf l'Allemagne“.
Pourquoi l’Allemagne s’est-elle abstenue à l’ONU jeudi 17 mars ? L’Allemagne a agit dans un dilemme. Objectivement, le choix de l’abstention est une décision raisonnable et justifiable. C’est très bien de vouloir protéger les populations civiles. Mais ça ne marche pas avec certitude. Dans des circonstances similaires, on a bien vu qu’en générale une intervention militaire cause des souffrances supplémentaires aux populations. En Bosnie-Herzégovine, la zone d’exclusion aérienne qui avait été mise en place n’a pas empêché le massacre de Srebrenica, le plus grand massacre en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. Mais l’Allemagne a fait une erreur de calcul politique. Elle pensait que la résolution n’allait pas voir le jour à l’ONU et que les Américains n’étaient pas prêts à agir. Elle croyait aussi que les autres pays européens, comme le Portugal qui a mené des tractations avec Tripoli, n’allaient pas suivre la France. Et là l’Allemagne s’est trompée. Elle s’est retrouvée plus isolée que prévu. C’est aujourd’hui perçu comme une catastrophe. Personne dans le gouvernement Merkel ne voulait voir l’Allemagne du côté de la Chine et de la Russie, en opposition avec ses alliés traditionnels qui sont la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis. L’Allemagne a fait une grave erreur de jugement. Ce choix correspondait aussi à une stratégie électorale de la part de la chancelière Angela Merkel, n’est-ce pas ? Oui sans aucun doute. Dimanche prochain ont lieu d’importantes élections régionales dans le Bade-Wurtemberg et il y en aura dans les autres Länder plus tard. Or, en Allemagne, une guerre en méditerranée effraie énormément. Neuf Allemands sur dix sont contre. Après le vote de la résolution à l’ONU, l’Allemagne a proposé de soulager l’Otan en Afghanistan. On a l’impression que Merkel et son gouvernement pataugent un peu. En effet. Ils essayent d’une certaine manière de rattraper le coup mais cela ne va pas être facile. Quelles seront, à votre avis, les conséquences de ce positionnement pour l’Allemagne ? Sur le plan de la politique européenne, les conséquences ne seront pas trop graves. Les Européens savent qu’ils sont obligés de coopérer entre eux et qu’ils ne peuvent pas le faire sans Allemagne. Sur le plan international, par contre, les conséquences seront beaucoup plus graves. L’Allemagne ne peut plus espérer obtenir un siège permanent au conseil de sécurité de Nations Unies avant plusieurs années, peut-être même avant une décennie. Elle se retrouve très isolée sur la scène internationale. D’autant qu’elle défend une politique énergétique très particulière. Vous savez, en Allemagne, la position contre le nucléaire, c’est quasi religieux. Après ce choix allemand de la non-intervention, est-ce encore possible de faire naitre en Europe une diplomatie commune ? Non, c’est une preuve éclatante que les Etats membres sont incapables de mener une politique commune sur le plan international. La crise libyenne leur est tombée dessus. Ils n’ont pas eu le temps d’élaborer une position commune, d’ailleurs ils n’ont jamais réussi à le faire alors que c’est pourtant une question vitale. D’une certaine manière, la crise libyenne a mis en évidence cette incapacité. Est-ce dû à un manque d’efficacité du processus décisionnel européen ou bien à des divergences trop profondes entre les pays ? Il est certain qu’on a du mal à s’organiser au sein de l’Union européenne. Mais les intérêts que défend chacun des pays membres sont trop divergents pour dégager une ligne commune. Est-ce une preuve de plus qui démontre que couple franco-allemand est au point mort ? Je ne pense pas que le couple franco-allemand soit au point mort. Mais il est certain que la France ressort énormément renforcée sur la scène internationale alors que l’Allemagne perd de l'influence. Si l’Allemagne avait décidé d’intervenir aux côtés de la coalition anti-Kadhafi, est-ce que cela aurait changé la donne sur le plan militaire ? Non pas vraiment. Elle aurait pu certes renforcer les forces aériennes comme elle l'a fait en Afghanistan mais son rôle militaire dans cette histoire n’est pas aussi déterminant que l’Italie, par exemple, qui met à disposition des alliés ses bases militaires proches, géographiquement, de la Libye. Bien que la résolution de l’ONU n'autorise que les frappes aériennes et exclut toute intervention au sol, ne faut-il pas craindre à terme une guerre d’enlisement ? C’est un réel danger. Il est très rare de gagner une guerre uniquement avec des frappes aériennes. Un scénario à l’irakienne ou à l’afghane est tout à fait possible. La Libye n’est pas un pays avec une société structurée fidèle à l’Etat. Les opposants actuels du colonel Kadhafi sont des ennemis du régime mais aussi d’anciens amis. On ne sait pas trop dans quel sens ils veulent aller. Cette intervention militaire aura nécessairement des répercussions dans le monde arabe qui sont aujourd’hui difficile à mesurer. Et si la communauté internationale intervient en Libye pour protéger les populations civiles, pourquoi n’interviendrait-elle pas au Yémen où la répression a fait 52 morts vendredi ou au Bahreïn où l’armée saoudienne est intervenue pour faire plier le mouvement de contestation, ou encore en Côte d’Ivoire où il y a eu aussi des morts [depuis le début de la crise entre les fidèles au président sortant et les insurgés pro-Ouattara, les violences ont fait plus de 440 morts, selon l’ONU, NDLR].