Jon Henley : “Le principal atout de Nick Glegg est qu'il n'est ni Gordon Brown, ni David Cameron.“
Jon Henley est éditorialiste, ancien correspondant en France du Guardian
Quels sont selon vous les principaux atouts et faiblesses de chacun des trois candidats ? Le principal atout de Gordon Brown est son expérience du pouvoir. Il a occupé durant 13 années les plus hauts postes du gouvernement. La fonction qu'il a le plus longtemps exercée est celle de ministre des Finances sous le gouvernement de Tony Blair. Il maîtrise sans aucun doute l'économie du pays et est largement respecté sur la scène internationale. Mais ses treize années d'expérience constituent aussi son principal handicap. Son image est associée à celle d'un gouvernement qui a conduit la Grande-Bretagne à faire une guerre très impopulaire. Il a dirigé les finances du pays pendant le plus long boom économique qu'a connu la Grande-Bretagne mais aussi pendant la pire des récessions des 70 dernières années. Et sa réputation reste entachée, bien que ce ne soit pas personnel, par l'affaire des notes de frais des parlementaires qui a considérablement décridibilisé la classe politique britannique. Contrairement à Tony Blair, Brown n'est pas un communicant né. Il est assez distant et n'a pas le contact facile avec les gens ordinaires. C'est ce qui le dessert le plus. David Cameron est jeune, élégant et habile. Au-delà de toute attente, il a réussi à réformer son parti, du moins en apparence. Son principal atout est sans doute qu'il n'a jamais été à la tête d'un seul ministère. Il peut donc légitimement déclarer que voter pour lui, c'est voter pour le changement. Néanmoins, ses origines sociales très aisées et son éducation de privilégié (il est allé à Eton, la plus chère des écoles britanniques et a poursuivi à l'université d'Oxford) font qu'il est perçu par de nombreux électeurs comme un homme incapable de comprendre les problèmes des citoyens ordinaires. Aux yeux de beaucoup d'électeurs travaillistes, le parti conservateur reste focalisé, malgré ses réformes, sur la réduction des dépenses publiques et le renforcement des lois anti-syndicales des années Thatcher. Le principal atout de Nick Clegg est qu'il n'est ni Gordon Brown ni David Cameron. Pour la grande majorité des électeurs, c'est une nouvelle figure. C'est de loin celui des trois candidats qui a le plus de prestance, qui est le plus naturel et le plus humain. En outre, ses propositions telles que la réforme du système électoral, la régulation en droit bancaire et la volonté de faire évoluer les méthodes de travail des parlementaires, sont en phase avec les préoccupations des électeurs. Mais la nature-même du vote libéral constitue son handicap majeur : voter libéral n'a jamais été un vote utile dans la mesure où les libéraux n'ont jamais été en capacité de gagner les élections depuis la mise en place du vote majoritaire à un tour. Cette fois encore, ils ne pourront pas gagner mais ils pourraient être en position d'exercer le pouvoir. Comment définiriez-vous le parti de Nick Clegg, les Libs-dems : centre-droite ou centre-gauche ? Il est difficile de répondre à cette question car droite et gauche recouvrent des réalités radicalement différentes en France et en Grande-Bretagne. Le parti travailliste, placé à gauche sur l'échiquier politique britannique, est beaucoup plus conservateur que l'UMP française sur de nombreuses questions. De même, les libéraux démocrates, traditionnellement perçus plus de centre gauche que de centre droit, se situent plus à gauche que le parti travailliste sur des sujets majeurs, tels que l'armement nucléaire, l'Europe et la régulation des places financières de la City.
Sur le délicat sujet de la dette publique, quel candidat avance les meilleures réponses ? Selon Brown, augmenter l'année prochaine les cotisations sociales est fondamental mais réduire dès maintenant les dépenses publiques nuirait à la reprise économique. D'après Cameron, l'approche de Brown aurait pour effet d'alourdir les taxes qui pèsent sur le travail. Le chef de file des conservateurs considère qu'il est au contraire nécessaire de réduire dès cette années les dépenses publiques. Clegg se rapproche plus de Brown. S'il reproche au chef des travaillistes d'avoir laissé filer le déficit, il pense également qu'il faut reporter à l'année prochaine les mesures structurelles qui contribueront à réduire la dette, telles que l'augmentation des impôts et la baisse des dépenses publiques. En fait, les trois programmes qui visent à réduire l'énorme dette publique britannique sont tous différents. Mais selon plusieurs études de référence, aucun des trois candidats n'établit clairement le niveau des coupes budgétaires et de la hausse des impôts qu'ils seront contraints de réaliser. Comment la crise économique a-t-elle affecté la campagne électorale ? Selon les mots de Bill Clinton, réduire cette élection à l'économie serait « idiot ». C'est aussi ce que pense Brown. Ses conseillers l'ont d'ailleurs alerté du risque qu'il encourait à trop parler d'économie et de passer pour quelqu'un d'obtus. Pour Cameron aussi, l'économie est au coeur de sa campagne électorale. Il ne cesse de dire que « c'est le Parti travailliste qui a mis (le pays) dans la panade ». Pour gagner, Clegg mise sur la lassitude grandissante des électeurs à l'égard des deux vieux partis qui se partagent le pouvoir depuis 70 ans. Quel est le pire des candidats pour l’Europe ? Cameron, sans aucun doute. Le parti conservateur s'est déchiré sur la question de l'Europe bien avant cette campagne. Cameron est confronté dans son parti à un puissant courant de pensée qui estime que la Grande-Bretagne devrait se retirer entièrement de l'Union européenne sauf dans le domaine du commerce international. Au sein du groupe Centre droit au Parlement européen, Cameron a déjà marginalisé les conservateurs britanniques en s'alliant avec un petit groupe d'extrémistes. Quant à Brown, il est moins pro-européen que Blair et n'envisagera jamais de faire intégrer la Grande-Bretagne à la zone euro. Clegg a travaillé des années à Bruxelles. C'est un europhile convaincu. Officiellement, son parti souhaite que la Grande Bretagne adopte l'euro. Est-ce que les guerres en Irak et en Afghanistan vont peser dans les urnes ? La guerre en Afghanistan n'est pas aussi désastreuse qu'en Irak. Les sondages montrent que de nombreux électeurs britanniques comprennent les arguments des hommes politiques selon lesquels il y a un lien direct entre les événements en Afghanistan et la sécurité du Royaume-Uni. Souvenez-vous des attentats-suicides du 7 juillet 2005 à Londres qui ont fait 56 morts et 700 blessés. La guerre en Irak est une autre histoire. Largement perçue comme illégale et injustifiée, elle reste profondément impopulaire, notamment aux yeux des électeurs de gauche. C'est d'ailleurs sans doute la principale raison du déclin du Labour depuis 2003.
Est-ce que les politiques se préoccupent des droits individuels, comme le port du voile intégral ? Il est quasiment inconcevable de voir un jour le gouvernement britannique légiférer sur les tenues vestimentaires. Toutefois, depuis 13 ans, le Parti travailliste a présenté des centaines de nouvelles lois portant notamment sur les comportements anti-citoyens. Le gouvernement est devenu omniprésent dans la vie des gens, en particulier à travers la législation sur la santé et la sécurité. Il dicte des comportements et intervient dans de nombreux aspects de la vie quotidienne. Les conservateurs ont promis qu'ils allaient supprimer tout cela. Quelle place occupent les bloggeurs et les réseaux sociaux dans la campagne électorale ? Une place plus importante qu'avant. La capacité d'Internet à transformer et à détourner les affiches et les slogans politiques a quasiment détrôné les professionnels de la communication politique. Mais ce qui a vraiment transformé ces élections, ce sont les trois débats retransmis en direct à la télévision entre les dirigeants des trois partis. C'est une première dans l'histoire britannique. Ces émissions ont attiré un large public et ont réussi (surtout la première) à transformer le paysage politique en faisant émerger une troisième force. Les Britanniques sont-ils intéressés par ces élections ? Il y a eu une hausse des inscriptions sur les listes électorales, particulièrement après le premier débat à la télévision qui a marqué la percée de Nick Clegg. C'est encourageant. Néanmoins, beaucoup d'électeurs britanniques estiment que la politique nationale n'a pas d'effet sur le quotidien et que tout cela ne les concerne pas. Le scandale des notes de frais des parlementaires a renforcé l'idée selon laquelle les politiciens sont tous les mêmes et qu'ils ne pensent qu'à leurs intérêts personnels. Il existe un profonde méfiance à l'égard de la classe politique, ce qui risque de se traduire par un fort taux d'abstention. Le Royaume-Uni pourra-t-il être dirigé par une coalition gouvernementale, minoritaire au Parlement ? Il est en effet probable qu'aucun parti n'obtienne une majorité. Les libéraux démocrates devront participer à la formation d'un gouvernement de majorité ou d'une coalition ad hoc d'une couleur ou d'une autre. Ce n'est pas arrivé en Grande-Bretagne depuis les années 70 et de cette période (qui a été très courte), il reste l'idée selon laquelle il faut un gouvernement fort quand le pays est confronté à de sérieuses difficultés économiques. Tant les travaillistes que les conservateurs ont averti des dangers que le pays encourait si ces élections ne débouchaient pas sur une majorité au Parlement. Mais d'après les sondages, ce que détestent le plus les électeurs, ce sont les querelles politiciennes. En fait, ils aimeraient que les hommes politiques de bords opposés parviennent à se parler et à travailler ensemble. Jusqu'à présent, à part Nick Clegg et son parti, seuls quelques hommes politiques partagent cette idée. Il est tout à fait possible que si aucune majorité ne se dégage le 6 mai, de nouvelles élections soient organisées dans quelques mois. Propos traduits par Camille SARRET 4 mai 2010