Fil d'Ariane
par Patrick RAHIR
Le vainqueur des élections législatives de décembre en Espagne devra s'allier à de nouveaux partis pour gouverner, faute de majorité absolue. L'Aragon, baromètre de la politique nationale, fait déjà l'expérience d'une de ces alliances.
Depuis 1982, cette région du nord-est de l'Espagne a toujours voté pour le vainqueur des législatives. Les sondages prédisent une courte victoire au Parti populaire (PP) du gouvernement conservateur sortant le 20 décembre, là comme en Espagne.
Aux élections régionales de mai, le PP avait remporté l'Aragon mais sans majorité absolue. Les socialistes (PSOE) ont pris le pouvoir avec l'appui du nouveau parti anti-austérité Podemos qui, avec 20% des voix, avait réalisé là son meilleur score dans le pays.
Depuis, le PSOE dirige un gouvernement minoritaire et Podemos, allié du grec Syriza, le soutient au cas par cas.
"Nous exerçons une vigilance et un contrôle du gouvernement régional sans précédent", explique Pablo Echenique, 37 ans, secrétaire général de Podemos pour l'Aragon.
Ce chercheur en physique théorique a été l'un des cinq élus aux élections européennes de 2014 quand ce parti a fait irruption sur la scène politique, porté par l'indignation des électeurs devant l'austérité et la corruption.
Barbe courte et fines lunettes, une maladie dégénérative le cloue dans une chaise roulante mais c'est son sourire qui capte le regard.
Dans son bureau de Saragosse, capitale régionale où la cathédrale dresse ses clochers au bord de l'Ebre, Pablo Echenique regrette que le PSOE n'ait appliqué jusqu'à présent qu'une petite partie des mesures qu'exigeait Podemos.
"Le PSOE n'a pas tenu parole. Il a appris à imiter notre discours, mais c'est le même parti qu'auparavant. C'est pour nous qu'il faut voter", dit-il.
Mais Podemos s’essouffle. Aux législatives "15% des voix serait un bon score pour Podemos, 20% un résultat merveilleux", estime David Pac, 46 ans, professeur de sciences politiques à l'université de Saragosse, 35.000 étudiants.
Le parti de centre droit Ciudadanos l'a dépassé dans les sondages. Ciudadanos "s'est engouffré dans la brèche ouverte par Podemos" et, en promettant le changement en douceur, offre une alternative "à ceux qui avaient perdu confiance dans le PSOE et le PP", dit-il.
Selon l'institut de sondages du gouvernement, l'Aragon donnerait six sièges au PP, quatre au PSOE, deux à Ciudadanos et un à Podemos.
Au soir du scrutin, Les conservateurs devraient avoir besoin de Ciudadanos pour rester au pouvoir, les socialistes pour s'en emparer.
Une des clés du scrutin sera la mobilisation de 7,5 millions d'électeurs de moins de 35 ans, réservoir de voix des deux nouveaux partis, poursuit David Pac.
"Ce sont eux qui ont le plus en jeu parce qu'ils affrontent le chômage. Mais les jeunes votent moins que les vieux." Les plus de 60 ans sont 11,5 millions.
En Aragon, carrefour de zones industrielles, le chômage est nettement en-dessous de la moyenne nationale de 21% même s'il dépasse encore 40% chez les 18 à 35 ans, surtout ceux qui n'ont pas de formation, selon Ricardo Mur, 42 ans, vice-président de la confédération patronale régionale.
"Tous les ingénieurs qui sortent de l'université trouvent un emploi", assure-t-il. Son entreprise de software est passée de 280 à 450 employés en trois ans et "peine à trouver les profils adéquats".
D'autres ont moins de débouchés.
Malgré deux diplômes, Raquel Lisbona, 28 ans, vit de petites commandes passées par un studio de dessin industriel et de son emploi régulier de serveuse le week-end.
"Les nouveaux partis pourraient nous faciliter la création d'entreprises, dit-elle. Mais je crois qu'au bout du compte ils vendent tous un peu du vent."
Carlos Biel, 25 ans, malgré son master de professeur d'histoire, a travaillé à la réception d'un hôtel et comme vendeur dans un grand magasin.
"Je vais voter Ciudadanos parce que c'est le complément parfait pour le PP et le pousser à former des réformes", dit-il.
Les jeunes croient au changement, dit Pepe Cerda, un peintre connu de 54 ans qui expose à travers l'Europe, en longeant les palais de style italien construits du temps où l'Aragon régnait sur Naples et la Sicile.
Mais "les personnes d'un certain âge savent que les choses n'ont pas été aussi terriblement mal que dans d'autres pays. Le système a fonctionné."