Le pilote avait annoncé un petit délai dans l'espace aérien américain. De tels contretemps n'étaient pas extraordinaires pour ces vols en provenance d'Europe et à destination des Etats-Unis et ici de New York. « Parfois les américains exagèrent leurs mesures de sécurité », fit remarquer le pilote, dans son allemand maternel, en s'adressant aux passagers. Puis, il laissa tomber ce commentaire pour la traduction obligatoire en anglais. En ce nouveau siècle, la “big apple” était une des villes préférées des Européen, et ce vol, plein à craquer, en était la preuve. Je rentrais du vieux continent où tous avaient une opinion sur les États-Unis (la plupart négative d'ailleurs). Des touristes pour qui la visite à New York était un rite culturel. Des hommes d'affaires arrivant pour l'important semaine de la mode (la Fashion Week) et, bien sûr, ceux qui ne cherchaient qu'à rentrer chez soi. « Nous devons faire un petit détour », annonça le pilote. En moins d'une heure nous étions à Halifax, au Canada. Les téléphones portbales se sont sortis aussi vite qu'un signal permettait une conversation. Quelque chose n'allait pas, malgré la beauté de ce jour net, clair, brillant. Et c'est à ce moment que nous avons appris la nouvelle d'un désastre sans précédent. Le silence s'imposa, le choc aboutissait à une confusion totale. Et puis... des cris impossibles à feindre et encore plus difficiles à oublier. Des sanglots alourdis par l'absence d'espoir. DES INCONNUS SE CONSOLAIENT Une mère apprenait que son frère, un employé au World Trade Center, était devenu injoignable, une jeune femme abasourdie par la confirmation que son mari était mort. Dans le désarroi, des inconnus se consolaient, des hommes se sont précipités à la porte pour exiger qu'on les laisse sortir. De manière très formelle, le capitaine nous informa qu'il fallait rester sur place, dans ce navire qui devenait de plus en plus étreint. Depuis la fenêtre, j'ai vu les forces de sécurité aborder les avions de toutes les grandes compagnies aériennes à fin de faire sortir les personnes en menottes. Dans notre appareil, il y en avait deux. La solidarité qu'on croyait partager quelques instants auparavant avait disparu. Soudainement, les regards qui avant cherchaient un geste de empathie, se fixèrent au sol. Les conversations spontanées, bien intentionnées, étaient terminées. Après douze heures sur le tarmac canadien. Deux groupes distincts se sont formés : les Américains et tous les autres. PLUS AMERICAIN QUE JAMAIS Un jeune Espagnol expliqua que ce « genre de chose », cette attaque, n'était pas surprenant étant donne la politique étrangère des États-Unis. Un Français rappelait la guerre du Vietnam et annonça un règlement de compte qui trainait. Des Allemands faisaient signe d'être d'accord, même s'ils se lamentaient de l'inévitable violence. On reconnaissait les quelques Américains éparpillés parmi la foule. Aucun mot, les yeux écarquillés, incapables de comprendre les détails de ce jour surréel. Un homme italien a déclaré que pour New York c’en était fini de son prestige de capital de la mode. Tout allait, dorénavant, se déplacer vers l'Europe. « Enfin, ils vont apprendre ses Américains. » « Enfin », il répétait sa voix forte. Il est souvent dit, plus que par réflexe et par imitation, que New York ce n'est pas les Etats-Unis. Au cours de ma vie, j'avais si souvent voyagé, visité des cultures différentes. J’avais l’habitude de parler plusieurs langues et me considérait comme quelqu'un d'international, un citoyen du monde. Mais après ce voyage dans cette épave internationale, au 11 septembre 2001, je me sentais plus Américain que jamais, et éprouvais un grand désir de regagner ma patrie.
01.09.2011Par Matt SanchezTout de suite après les les attaques de 11 septembre, les autorités avaient fermé l'accès à la place où les tours se sont écroulées. À présent, l'ancien emplacement du World Trade Center est devenu l'un des sites le plus visités aux États-Unis. Ils sont tous là, les solennels, les curieux, avec une exception notable. Pour les New Yorkais, ce Ground Zero reste une place à éviter et cet anniversaire un obstacle à esquiver. « Il y a tant du mal dans ce monde », dit Ron Maida, un ancien responsable de l'industrie de disque. Originaire de Massachusetts, Maida est arrivé à New York dans les années 80, quand le Central Park était une des multiples cachettes pour le record 2245 cadavres, victimes d'homicides enregistrés en 1990. De la violence aux subways, tension raciales et hold-ups, la sécurité dominait le discours public. Après beaucoup de débat dur la place publique, la ville qui "ne dort jamais", avait opéré avec force un grand changement Soudain, Times Square s'était transformé d'un lieu préféré des prostituées faisant le trottoir devant des peep-shows, à un centre de touristes faisant la queue pour voir les musicales de Walt Disney. Dans les rues, les tas d'ordures n'empêcher les impatients pressés d'héler un jaune taxi libre. La criminalité avait diminué (moins de 500, en 2010) les dangereux quais abandonnés du Hudson était devenu la place de préférences des sportifs de toutes pratiques. L'image à travers le monde était celle d'une ville où la réalité frôlait le rêve, et souvent le dépasser... Dans cet états de demi-éveil, le matin de 11 septembre était un réveil brutal. « Personne ne m'obligera à abandonner ma ville », dit Ron Maida, qui refuse tout concernant le 11 septembre. Ron Maida n'est pas le seule. Face à la dure irréversible réalité que New York sera à jamais une cible de choix, les New Yorkais, réputés directs et confiants dans l'avenir, adoptent une nouvelle habitude. Ils se taisent. Dans la quotidienne, pas ou peu de commentaires sur des mosquées proposées ou la nouvelle tour inachevée. Aucun mot sur les demandes de membres des familles des victimes ou les propos des politiciens. « Le tout me rend malade, confie Maida. Autant l'attitude du politiquement correct que les réactions radicales. » « J'ai choisi de vivre à New York sachant que nous sommes une cible », dit Ron Maida décidément à l'aise dans son salon, à deux minutes à peine de marche de la dernière tentative d'attentat en 2010, cette fois-ci au véhicule piégé, à Times Square. Immédiatement après les attaques,ce septembre 2001, New York avait retrouvé son démenant rythme quotidien, mais dix ans après, face à une menace reconnue par tous, Ron Maida comme tant d'autre à New York a, peut-être, perdu quelque chose pas aussi facile à verbaliser : sa confiance.