« Les Japonais, ils ont lancé une bombe atomique sur l’Amérique ! »
Ouagadougou, Burkina Faso, Afrique de l’ouest. Le mois de septembre, les vacances, la liberté… C’est le temps des cerises et des karités. C’est aussi le temps du maïs frais que des femmes grillent tout le long des grandes voies, embaumant la ville d’odeurs sucrées. 11 septembre 2001. Je suis en vacances. Farniente et bonne humeur. C’est la saison pluvieuse et le climat d’habitude si hostile se fait bienveillant. Aujourd’hui, je ne ferai pas la grasse matinée comme d’habitude. J’ai décidé de me rendre à la compagnie de télécommunication pour régler les problèmes que j’ai avec ma ligne téléphonique. Juchée sur mon cyclomoteur, je traverse la ville de Ouagadougou. Je me fâche au passage avec un chauffard. Je remarque partout au coin des rues, des attroupements. Je me demande ce qui peut bien se passer. Je suis devant l’ONATEL, la compagnie de télécommunications. Je me dirige au parking pour garer mon engin. Le « Parker », d’habitude si prompt à recevoir ses clients ne m’accorde aucun regard. Il fait cercle, avec une dizaine d’autres personnes autour d’un poste radiophonique rustique. Je tapote quelqu’un : - Y a quoi ici aujourd’hui là ? - Hé madame, t’es pas au courant non ? - Au courant ? Au courant de quoi même ? - Les Japonais, ils ont lancé une bombe atomique sur l’Amérique ! - Quoi ? - C’est comme ça oh, madame. On dit que c’est pour venger Hiroshima et Nagazaki… Je demeure muette, tellement je suis abasourdie. J’appelle ma sœur : - Mets vite la télé en marche, il paraît que les Japonais ont attaqué l’Amérique. On parle d’une attaque à la bombe atomique. - Quoi !? Je raccroche et me rapproche d’un autre groupe qui s’est formé plus loin. Là, j’apprends que c’est plutôt l’Egypte qui a attaqué l’Amérique, en représailles à son soutien à Israël. Je m’empresse de résoudre mon problème et de filer à la recherche de la vraie information. Devant le téléviseur, j’assiste à des scènes apocalyptiques : des immeubles qui s’effondrent, des pompiers qui courent partout, des gens ensanglantés qui s’effondrent, des images de fin du monde… J’ai la chair de poule, mes cheveux se hérissent… Mon téléphone n’arrête pas de sonner. Chacun y va de sa version. Ce n’est que bien plus tard qu’on aura la vraie information. Ouagadougou, Burkina Faso, 19 Août 2011, l’ordre social mondial a changé. Désormais de nouveaux mots et maux ont fait leur apparition : Ben Laden, terrorisme, extrémisme religieux, peur, haine, otages, guerres, Al-Qaida, AQMI… Une jeune femme burkinabè, mariée à un Français, pleure depuis quelques temps déjà son époux, enlevé et tué en Mauritanie par AQMI. Une de mes connaissances vit dans l’angoisse. Elle est employée à « Point Afrique », une petite compagnie de voyage. La patronne a informé son personnel qu’à cause de la menace terroriste, les clients se font rares et qu’il se pourrait qu’elle mette la clé sous le paillasson. LOIN MAIS TRES PRES Même rengaine du côté des hôteliers et de toute la chaîne touristique, artisans, guides. Pour l’Etat, moins d’impôts. Mon pays est situé à des milliers de kilomètres des Etats-Unis. Une bonne partie de la population n’en a même jamais entendu parler ; pas plus que de l’Afghanistan d’ailleurs. Mon pays ne connait pas les tourments de l’extrémisme religieux. Et pourtant, il paye lui aussi pour les conséquences de la folie contagieuse d’un illuminé. Le nord de notre pays sert parfois de base de repli à Aqmi. Une représentation de l’administration s’est rendue d’urgence, il n’y a pas longtemps à Bobo-Dioulasso la deuxième ville du pays. Un imam analphabète enseigne à ses ouailles que l’islam interdit aux musulmans de se mêler aux mécréants. Il les exhorte à empêcher leurs enfants de jouer et de partager le repas des chrétiens ! Au cours d’une séance de travail sur le terrorisme, les participants ont appris, choqués, qu’un burkinabè est membre d’AQMI. Plus rien ne sera comme avant. Pour la folie meurtrière d’un homme.