Le commencement était bien plus tôt...
Il est difficile, dix ans passés, de revivre les émotions exactes liées au jour du 11 septembre 2001. D’autant plus que ces souvenirs sont certainement faussés par le temps, par notre vécu ou par l’information sur cet événement accumulée depuis. Aujourd’hui, je dirais que le 11-Septembre a commencé pour moi bien plus tôt, et plus précisément le 2 mars 2001, le jour de début de destruction des statues de Bouddha dans la vallée de Bâmiyân en Afghanistan. Cet acte barbare, vidé de sens et dirigé contre l’histoire et la culture millénaire de son propre pays, a enlevé pour moi toute la légitimation réelle ou fictive de régime des talibans. UNE SUITE LOGIQUE Je ne pourrais pas dire que le jour des attaques des kamikazes contre les États-Unis je n’étais pas étonné qu’une telle idée puisse germer dans les esprits rongés par le fanatisme religieux (tout au long de l’histoire de l’humanité nous avons eu en maintes reprises la preuve que la folie humaine n’a pas de limite), mais, quelques jours plus tard, tout était placé dans la suite logique des événements, qui se sont passés depuis des années, si ce n’est pas depuis des décennies dans un petit pays montagneux perdu entre ses voisins trop ambitieux dans cette région trop pauvre, mais riche de ses sous-sols. La première information, je l’ai entendue à la radio. C’était assez surréaliste, impensable et en même temps déjà connu presque, j’ai tout de suite compris la réaction de panique des auditeurs d’Orson Welles en 1938. Mais moi, j’ai eu une source d’information supplémentaire, la télévision, sauf que les images n’ont guère été plus rassurantes que les mots. C’était vraiment la guerre des mondes. Ces images, nous les avons tous vues et revues maintes fois, elles ont été reprises par les artistes, les réalisateurs des filmes et les télévangélistes. Mais il n’est plus possible d’en parler comme au premier jour, car leur sens a disparu comme celui de la publicité vue trop souvent et que son objet est déjà oublié, reste que des bribes des images et des sons. Mon émotion la plus forte, dans mes souvenirs déjà erronés par le temps, était l’inquiétude divisée entre trois personnes. En premier lieu, une amie très proche a travaillé au moment même de drame à Kaboul pour une ONG suisse. Tout de suite, après que le premier avion s’est écrasé contre la tour, il était clair que nous nous avançons avec la vitesse de cet avion vers la guerre imminente, et nous ne savons rien sur ce qui se passe en Afghanistan. Qu'est-ce que va arriver aux personnes qui y travaillent ? Comment réussiront ils partir ? Heureusement, assez rapidement j’ai eu les nouvelles rassurantes de cette amie qui devait être évacuée vers le Pakistan voisin, puis arriva son email qui a raconté ses périples et disait qu’elle était hors de danger. La deuxième personne était un frère d’une amie d’enfance qui habitait New York et travaillait souvent à Manhattan. Là, mon inquiétude, partagée avec sa famille, était différente. Pendant les premières heures, nous ne savons pas s’il travaillait ce matin à New York, s’il restait à la maison et tout simplement s’il était en vie. Et la troisième personne était, bizarrement, moi-même. Car soudain, j’ai réalisé que même le fait de vivre dans un environnement assurant de ma propre ville, une ville de plusieurs millions d’habitants à des milliers de kilomètres de la guerre la plus proche, ne nous protège pas de la folie meurtrière qui peut détruire les centaines des vies en un instant. INQUIET A JAMAIS Et malgré les dix ans qui ont passé depuis, cette inquiétude ne m’a pas laissé. Surtout que je sais maintenait, depuis les actes terroristes arrivés au cœur même de mon pays, que ces attaques peuvent se produire à la porte de ma maison et que ni moi, ni mes proches nous sommes protégés. Pour moi, c’est une des leçons les plus importantes dans ma vie, et je sais aussi pertinemment, que depuis 8:46 de 11 septembre 2001 le monde a changé son visage à jamais et qu’il restera toujours un « avant » et un « après » 11 septembre.