Fil d'Ariane
Le Canada a poussé un petit soupir de soulagement, le 2 avril, en voyant qu’il ne figurait pas sur le tableau que Donald Trump brandissait fièrement devant la Maison Blanche, tableau comprenant la liste des pays visés par l’imposition de droits de douanes réciproques. Pas de nouveaux tarifs pour le Canada en tant que tel donc, mais l’économie canadienne va être fortement impactée par les droits de douane de 25% imposés aux véhicules importés aux États-Unis et à l’acier et l’aluminium canadiens.
Un étalage de produits canadiens dans un magasin Pennsylvania Fine Wine & Good Spirits à Flourtown en Pennsylvanie, le 13 mars 2025.
Le Canada n'a pas pour autant décidé de se laisser faire. En plus, des contre-tarifs décrétés par le gouvernement fédéral, les Canadiens ont à leur disposition une arme qui peut aussi faire mal à l’économie américaine : le boycott des produits américains et des États-Unis comme destination touristique.
Depuis février dernier, on ne fait plus ses courses de la même façon au Canada. Dans les marchés d’alimentation, d’un bout à l’autre du pays, on a pris la peine d’identifier quels sont les produits canadiens pour donner l’option au consommateur d’acheter « canadien » et de laisser sur les étals les produits américains. Et cette campagne commence à porter fruit affirme Sylvain Charlebois, professeur spécialiste de l’agroalimentaire à l’Université Dalhousie en Nouvelle-Écosse : « Les ventes pour les produits canadiens en février sont en hausse d'à peu près 3.5%, c'est énorme et significatif. Pour ce qu’il est des ventes des produits américains, on parle d'un recul de 6.5%, ce qui est encore énorme aussi. Donc on voit que les gens évitent actuellement les produits américains ».
Un sondage récent mené par le Laboratoire des sciences analytiques en agroalimentaire de l’Université Dalhousie, en partenariat avec Caddle, révèle que 61% des Canadiens se disent prêts à acheter un produit alimentaire canadien même s’il est plus cher (fruits, légumes, produits laitiers ou viandes). « Et 61% c'est beaucoup, souligne Sylvain Charlebois, c'est pratiquement deux Canadiens sur trois. On voit une réelle « dé-américanisation du marché agroalimentaire canadien ». Un patriotisme alimentaire en quelque sorte…
« C’est sûr que ce boycott des produits américains à l’épicerie va avoir un impact, souligne Maurice Doyon, professeur au département des Sciences de l’agriculture et de l’alimentation de l’Université Laval, mais pour l’instant c’est difficile de le mesurer. On voit par exemple que les détaillants ont grandement amélioré leur affichage, que pour beaucoup de produits, ils ont changé leur emballage pour dire « on est un produit canadien ». Et on le voit partout autour de nous, les gens essaient de minimiser leurs achats de produits ou de services américains ».
Maurice Doyon croit cependant qu’il va falloir plusieurs mois pour mesurer la réelle efficacité de cette campagne de boycottage de produits américains au Canada : « probablement dès cet été on sera en mesure d’avoir une bonne idée de cet impact, et dans un an aussi, si cette campagne se poursuit, on pourra le mesurer ».
Rassemblement anti-Trump à Montréal, le 6 avril 2025.
Un autre sondage mené par la firme Nanos Research pour les quotidiens La Presse et The Globe and Mail entre le 29 mars et le 3 avril auprès de 1233 personnes est révélateur : depuis le début de l’appel à ce boycott, 74% des Canadiens disent avoir évité d’acheter des aliments américains lorsque c’était possible, 34% ont évité les grandes bannières commerciales que sont les Costco, Walmart, Starbucks et McDonalds et 12% ont annulé leurs abonnements à des plateformes américaines comme Netflix, Disney +, Prime Video ou Apple TV.
Sylvain Charlebois craint de son côté que les tarifs douaniers imposés par Donald Trump aux produits canadiens et les contre-tarifs décrétés en réplique par le gouvernement canadien vont souffler sur les braises de l’inflation. Il estime que cette « inflation alimentaire risque de freiner l'intention des consommateurs d'acheter local à moyen long terme ».
Il souligne également que la volonté des détaillants d’offrir une alternative aux produits américains se heurte au défi de l’éloignement : « La plupart des produits de substitution se retrouvent dans des pays qui sont beaucoup plus éloignés du Canada que les États-Unis, qui sont juste à côté de nous. Cela augmente les coûts de transport et cela peut aussi avoir un impact sur la qualité des produits ». La salade américaine va effectivement arriver plus fraiche sur les étals canadiens que la salade espagnole. La meilleure option est donc l’achat local et les producteurs locaux ont clairement une opportunité à saisir pour vendre leurs produits dans les supermarchés canadiens.
Des manifestants lors du dernier rassemblement pour dénoncer la politique de Donald Trump. Montréal, le 6 avril 2025.
Déjà, pendant la pandémie du coronavirus, une campagne pour encourager l’achat local, notamment dans l’agroalimentaire, s’était mise en place pour réduire notre dépendance aux marchés extérieurs mais ce réflexe d’achat local a été mis à mal par l’inflation galopante des deux dernières années. Cette guerre commerciale avec les États-Unis ressuscite la volonté des Canadiens de mettre le plus de produits locaux dans leurs assiettes.
L’autre volet de cette campagne, c’est le boycott des États-Unis comme destination touristique. Au cours des deux derniers mois, les annulations de voyages et de réservations aux États-Unis se sont multipliées. L’Alliance de l’industrie touristique du Québec a commandé un sondage à la firme Léger à la mi-février qui révèle que 67% des Québécois interrogés n’ont pas l’intention de voyager aux États-Unis en 2025 : 58% n’avait pas de voyage planifié en tant que tel et 9% ont annulé ou vont annuler le voyage qu’ils avaient planifié. 11% disent qu’ils vont maintenir leur voyage et 11% affirment qu’ils vont peut-être y aller, donc 22% vont y aller ou envisagent d’y aller. Le sondage indique également que la moitié des Québécois qui ont annulé leur voyage aux États-Unis comptent rester au Québec, 46% disent qu’ils vont aller ailleurs au Canada et 33% dans un pays étranger.
« C'est un son de cloche important à la mi-février, souligne Geneviève Cantin, Présidente Directrice Générale de l’Alliance de l’industrie touristique du Québec. Nous, on a calculé que le marché des Québécois qui se rendent aux États-Unis annuellement, ça représente environ 3 milliards de retombées économiques pour le gouvernement américain. Donc si on pense que la moitié de ces gens-là ont décidé de pas aller aux USA, ce sont des pertes énormes pour les Américains, c'est certain. Et pour nous, ce sont potentiellement des gains, parce que l'argent va rester au Québec ».
L’Alliance de l’industrie touristique du Québec est d’ailleurs en pleine promotion du Québec à l’international et même aux États-Unis, où elle fait valoir aux Américains qu’ils bénéficient d’un taux de change très avantageux s’ils viennent prendre leurs vacances au Québec. « On sent donc actuellement qu’il va y avoir une saison touristique intéressante au Québec. Nos membres - on a 12 000 entreprises et des partenaires partout au Québec - se préparent en ce sens, ajoute Geneviève Cantin. Je vois ça comme une opportunité pour l'industrie touristique d'accueillir encore plus de touristes, et de faire connaître davantage la destination Québec. Et de faire des gains même sur d'autres marchés ».
Sur le plan national, un sondage Abacus Data mené du 20 au 25 février auprès de 1500 Canadiens indique que 56% des Canadiens ont annulé leurs voyages aux États-Unis ou modifié leurs destinations. L’agence de voyages Flight Centre Canada indique également qu’il y a 40% de moins de réservations de destinations américaines en février par rapport à l'an dernier à la même période et 20% d’annulations de réservations aux États-Unis. Le sondage mené par la firme Nanos Research fin mars début avril rapporte que 28% des Canadiens ont annulé un voyage aux États-Unis. Enfin les réservations des vols canadiens à destination de Miami ont baissé de 34% par rapport à l’an dernier, celles pour Los Angeles de 31% et de 20% pour Atlanta.
Les agences de voyage confirment cette tendance de boycottdes États-Unis comme destination touristique par les Québécois. Éric Boissonneault, vice-président de l’Association des agents de voyages du Québec, souligne que « Les gens sont déterminés à boycotter les États-Unis et disent : pendant le mandat de Donald, on n’ira pas ».
Alexis Biron est le directeur d’Éducatours, une compagnie qui organise des voyages scolaires pour des élèves de 12 à 18 ans. Elle emploie une quarantaine d’employés. Cette année, ce sont quelque 175 groupes totalisant 8000 élèves qui vont aller faire des voyages scolaires aux États-Unis. Alexis explique qu’il n’y a pas eu d’annulations des 141 voyages prévus aux États-Unis parce que les réservations étaient faites et payées depuis des mois, donc difficile d’annuler à la dernière minute car les écoles et les parents auraient perdu de l’argent.
Mais il constate que depuis plusieurs semaines, les appels se multiplient en lien avec une certaine inquiétude : « Ce sont des gens qui ont vu ici et là, dans les médias, des personnes arrêtées par la police, des membres de communautés visibles qui ont eu certains problèmes, donc ils s’interrogent sur la sécurité des élèves et des groupes sur place. Et nous, notre travail, notre priorité. c’est que ces jeunes voyagent en toute sécurité, on a des guides sur place pour ça, donc on rassure les familles, les enseignants, et jusqu’à maintenant, nous n’avons eu aucun problème ».
Si les voyages ont été maintenus cette année, Alexis Biron croit que la situation sera différente pour l’an prochain : « Certains centres de service scolaire ont déjà décidé qu’il n’y aura pas de voyage aux États-Unis l’an prochain. De notre côté, ça nous pousse à nous réorienter un petit peu, se dire qu'on va peut-être avoir cinquante groupes de moins aux États-Unis et qu’on va réorienter ces groupes-là vers le Canada, dans des grandes villes comme Toronto, Ottawa, Québec, Montréal, ou dans des grands parcs nationaux ». Alexis estime à six millions de dollars le manque à gagner pour l’industrie touristique américaine l’an prochain au niveau des voyages scolaires. « C'est certain que pour les États-Unis, si toutes les agences comme la nôtre affichent des prévisions à la baisse comme ça, ça va faire mal, » conclut le directeur.
L’an dernier, les Canadiens ont effectué plus de 20 millions de visites chez le voisin américain. Les touristes canadiens représentent un marché de retombées de plus de 20 milliards de dollars américains. C’est à la fin de l’été que l’on pourra vraiment mesurer l’impact de ce boycottage des États-Unis comme destination voyages par les Canadiens. Mais on peut déjà prédire que la baisse marquée de touristes canadiens au pays de l’Oncle Donald va faire mal à l’industrie touristique américaine, les hôtels, restaurants, attractions touristiques et autres.