Fil d'Ariane
Déjà de longues heures que les marins du Spes Bona relèvent et relancent les filets au large de l'île écossaise d'Arran. Ils ont levé les amarres au coeur de la nuit.
A bord du chalutier, Donald et Robin Gibson, deux frères, pêcheurs de langoustines par tradition, par mission aussi. Donald a été initié par son père à ce dur et dangereux labeur.
Autre atmosphère typique d'Ecosse, le Loch Lomond... au nord de Glasgow.
C'est dans cet univers rude et pluvieux que Bobby Lennox élèvent ses agneaux.
La ferme est dans la famille depuis 1950. Une propriété de 500 hectares héritée et transmise de génération en génération.
Pour Bobby Lennox, une histoire familiale s'y est construite et doit y être préservée.
Deux familles écossaises face à un même destin à gérer... le Brexit.
L'Ecosse a majoritairement voté contre la sortie de l'Union européenne, mais n'a pas le choix.
Et il divise, chacun pesant les conséquences pour son activité et son porte-monnaie.
Bobby Lennox a voté contre sans aucune hésitation. Son exploitation dépend des subventions européennes et ses agneaux à la qualité réputée se retrouvent bien souvent dans les assiettes continentales.
Alors, la fin du marché commun pourrait être catastrophique pour son exploitation.
"L'élevage de moutons va être l'industrie la plus touchée par le Brexit. Je pense qu'en Ecosse 70% de notre production est exportée, et vers l'Europe principalement. Si ce marché est soit perdu, soit lourdement taxé, notre production ne sera plus rentable." s'inquiète Bobby Lennox.
Retour à bord du chalutier des Gibson. Le paysage est époustouflant, mais le travail des marins titanesque.
Certes les langoustines pêchées dans ces eaux glacées sont expédiées vers l'Espagne. Certes le Brexit et la perspective de l'instauration de droits de douane sur ses produits ont pu leur faire peur. Mais aujourd'hui Donald Gibson fait front avec les autres pêcheurs écossais. Il faut respecter le vote démocratique et rester unis.
Il ne veut plus des règles imposées par Bruxelles et du partage des eaux poissonneuses...
" J'aimerais avoir le droit de changer de type de pêche, de pêcher du poisson et que nous n'ayons plus besoin de nous soucier de la politique commune de la pêche et ses restrictions. On verra ce qui va se passer mais je n'ai pas trop d'espoir ", confirme Donald, fataliste.
Et sur le manque d'illusion et de confiance dans l'avenir, les Lennox et Gibson se rejoignent. Eleveurs ou pêcheurs craignent d'être les oubliés des négociations avec Bruxelles.
"La pêche, c'est juste une monnaie d'échange. Notre industrie ne représente que 0.5% du PIB, ce n'est pas grand-chose (...) Nos droits des pêche vont être négociés contre je ne sais quoi, mais ce sera probablement lié au secteur bancaire à Londres ou quelque chose du genre." s'imagine Donald Gibson qui ajoute "Il y aura des subventions équivalentes accordées aux fermiers d'ici aux prochaines élections. Une fois les élections passées, plus rien n'est sûr."
Même son de cloche chez Bobby le fermier, qui se sent délaissé par les politiques de Londres.
"Cela fait bien 10/15 ans que le gouvernement ne se préoccupe plus des fermiers. Le gouvernement écossais à l'inverse l'est car l'alimentaire est un secteur important pour l'Ecosse. Malheureusement c'est le gouvernement de Westminster qui aura le dernier mot."
Alors la solution serait-elle de dire oui à l'indépendance des Lowlands et Highlands ? Les leaders nationalistes écossais en rêvent et espèrent organiser un nouveau référendum, profitant des désaccords avec Londres sur le Brexit.
"Il y a eu un vote d'indépendance à la fin des années 70, et je pense que si le vote avait été positif à l'époque, alors que nous avions encore beaucoup de pétrole et des atoûts économiques écossais non négligeables, des atoûts auxquels Westminster prêtait attention, alors dans ce cas là si nous avions voté pour devenir indépendants à l'époque, nous serions aujourd'hui dans une position telle que celle de la Norvège. Elle, contrôle sa pêche." analyse Donald Gibson.
Bobby Lennox lui est pour la paix des ménages. A ses yeux, l'indépendance serait tout aussi catastrophique que le Brexit.
Et Bobby Lennox de renchérir.
"Idéalement j'aimerais rester dans l'Europe via l'Ecosse mais au final ce serait peut-être pire s'il y avait une frontière entre l'Ecosse et l'Angleterre, cela créerait les mêmes problèmes que nous connaissons actuellement entre l'Irlande du Nord et l'Irlande du Sud et ce n'est bon pour personne."
Le Brexit un sac de noeud qui révèle les divergences et renforce les identités régionalistes du Royaume Uni.
Fière de sa vue sur le Loch Lomond, la famille Lennox a décidé de se tourner vers le tourisme pour sauver son exploitation et son patrimoine écossais.
>>> Voir le reportage de Sophie Roussi et Eric Black :