Fil d'Ariane
500 kilomètres au fil des rivières et des chemins. L'année dernière Garrett Carr a parcouru cette frontière invisible qui sépare le nord irlandais du sud républicain. Une ballade en quête de rencontres, d'histoires qu'il raconte dans son livre "The rule of the land. Walking Ireland's border".
Né avant la paix, dans le Donegal, cet écrivain et enseignant à Belfast gardait en lui des souvenirs de ces lieux parfois violents.
" Je cherchais deux pays mais ce qui est drôle c'est qu'à la moitié de mon parcours, je me suis rendu compte que la frontière était un pays à elle toute seule ! Je n'ai pas trouvé deux mais trois pays! La frontière divise l'Irlande entre le Nord et le Sud ainsi que cette troisième « chose », cette troisième identité transfrontalière (… ). La plus grande menace que je vois concernant le Brexit et un potentiel retour à la frontière « dure » est surtout psychologique."
Declan Fearon vit dans cet entre-deux. Entrepreneur, il s'est mué en militant anti-Brexit. Declan est le porte-parole de l’association « Borders communities against Brexit". Pour lui, la sortie de l'Europe menace le processus de paix.
Il tient à nous montrer la tombe de ses parents qui se trouve dans un cimetière tout proche. Ce cimetière, cette église catholique symbolisent à ses yeux de l'aberration de la frontière.
" Cette église se trouve au Nord et notre cimetière, au sud. A l’extérieur de l’Union européenne, à l’intérieur de l’Union européenne. La population a vraiment très peur qu'une frontière arrive de nouveau, des postes douaniers… Est-ce que l’Union européenne rouvrirait les points de passage principaux et laisserait les centaines d’autres ouvertes avec le risque de contrebande ? Je ne pense pas, non…. "
Et Declan Fearon de renchérir, pessimiste.
Sur la colline qui domine l’église, les soldats britanniques sont restés postés jusqu’en 2003. Dans le cimetière la tombe d'un combattant de l'IRA surmontée du drapeau vert blanc orange. Le passé reste très présent. Et pour Declan Fearon, le catholique, Londres et ses négociateurs politiques prennent des risques et n’écoutent pas.
" Nous ne voulons pas laisser cet héritage à nos petits-enfants avec tout le travail qui a été fait au sein des deux communautés depuis les Accords de paix. On perdrait les progrès accomplis. Des personnes comme le ministre Boris Johnson méprisent ce que ressentent les gens qui vivent ici. Ils ne sont pas venus ici, n’ont pas parlé à la population… Ils n’ont pas pensé une seule seconde à ce que le Brexit signifie pour nous. Tout n’est pas par rapport à la situation économique même si on sait déjà que cela va être mauvais pour nous… Mais c’est également par rapport la psyché de la population, par rapport aux communautés, les interactions sociales entre les personnes des deux côtés de la frontière. "
Fin de journée à Belfast. A une heure de route de la frontière…
Le gardien des clefs ferme les lourdes portes de fer entre quartiers catholique et protestant. Une habitude rassurante mais qui en dit long.....
A Shankill dans la zone protestante, l'association qui emploie le jeune Dean Mc Cullough essaye bien de repeindre ces murs avec des slogans moins identitaires, moins paramilitaires, de changer l’image du quartier.
Mais dans les esprits les clivages restent vivaces, comme le vit au quotidien Dean Mc Cullough.
" Plus de 90 % des habitations à Belfast et plus largement en Irlande du Nord sont ségréguées. L’éducation reste très divisée. Les deux communautés vivent séparées l’une de l’autre. Les jeunes vont dans des écoles différentes mais il y a beaucoup de travail en cours, avec la Lower Shankill Association, pour passer outre les divisions parmi la nouvelle génération afin de créer une compréhension mutuelle et éliminer ces barrières. Nous sommes toujours une société divisée mais c’est un processus qui se construit tous les jours. "
Mais bien que travailleurs social Dean McCullough @ShoreRoad94 reste fidèle à sa communauté protestante et s'implique politiquement côté loyaliste. Et comme Londres il voit dans le Brexit une aubaine et dans une frontière ouverte un danger. Celui d'éloigner les nord irlandais des autres britanniques.
" Nous ne pouvons pas être dans une situation où la frontière se trouve dans la mer d'Irlande. La nation entière, donc l'Irlande du Nord, a voté pour sortir due l'union européenne donc je pense que les politiciens à Bruxelles et en République d'Irlande doivent respecter ce choix et arrêter d’interférer dans les affaires britanniques. Je ne pense pas que ce soit utile et cela ne rend pas service aux Accords de paix. " déplore Dean Mc Cullough.
Un choix cornélien... alors certains artistes optent pour l'humour.
Quand Theresa May parle d'une frontière "soft" douce, un programme télé "Soft Border Patrol" répond en mettant en scène des douaniers "soft " à la recherche de clandestins "soft".
Il y aurait donc un humour nord-irlandais, pas certaine que Theresa May y soit sensible. A y perdre son flegme...