Fil d'Ariane
Dès son arrivée à Kiev le 17 janvier, la cheffe de la diplomatie canadienne Mélanie Joly a rencontré le premier ministre ukrainien Denys Chymhal : « Je suis venue ici en amie », lui a-t-elle dit, en ajoutant : « C’est sûr qu’on est extrêmement préoccupés par le fait qu’il y ait plus de 100 000 soldats aux frontières de l’Ukraine. Et donc, dans les circonstances, on prend la menace très au sérieux ».
Le premier ministre ukrainien en a profité pour demander des armes et de l’équipement militaire au Canada, qui n’a, pour l’instant, pas donné suite sans non plus opposer de refus : « Il va de soi que, pour nous, c’est important de faire notre part dans les circonstances » a répondu la ministre canadienne des Affaires étrangères. Avant de préciser, plus tard en point de presse avec son homologue ukrainien, avoir entendu la demande ukrainienne et qu’elle prendrait une décision en temps voulu, que le Canada tient à aider l’Ukraine à se défendre devant la menace russe.
Oui, nous craignons un conflit en Ukraine
Justin Trudeau, premier ministre du Canada
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Le Canada appuie fortement la candidature de l’Ukraine pour rentrer dans l’OTAN et cette adhésion est justement au cœur de ce regain de tension avec la Russie, puisque Moscou s’y oppose fermement. Vladimir Poutine réclame la garantie que l’Ukraine ne deviendra jamais membre de l’OTAN, ce que rejettent d’une seule voix les États-Unis, le Canada et d’autres pays alliés.
Le Canada, via sa ministre des Affaires étrangères et son premier ministre Justin Trudeau, qualifie « d’inacceptable » le déploiement de quelque 100 000 soldats russes à la frontière ukrainienne et estime que la Russie se place ainsi en position « d’agresseur ».
Nous allons continuer nos efforts diplomatiques, nos menaces de plus de sanctions sur la Russie, notre appui à l’armée ukrainienne et notre travail pour faire respecter le libre choix des Ukrainiens malgré l’interférence russe
Justin Trudeau, premier ministre du Canada
« Nous allons continuer nos efforts diplomatiques, nos menaces de plus de sanctions sur la Russie, notre appui à l’armée ukrainienne et notre travail pour faire respecter le libre choix des Ukrainiens malgré l’interférence russe » a déclaré mercredi Justin Trudeau. Le premier ministre canadien ne cache pas son inquiétude quant à un possible conflit armé en Ukraine et dit que le Canada se prépare au pire : « Les Forces armées canadiennes, Affaires mondiales Canada, nos partenaires multilatéraux, nous examinons tous un éventail de possibilités et d’éventualités afin de s’assurer d’être capables de garder les gens en sécurité et de soutenir les Ukrainiens ».
Durant sa visite, la ministre Joly est symboliquement allée se recueillir devant un monument commémoratif à la mémoire des soldats ukrainiens qui ont perdu la vie dans les combats dans l’est du pays avec les troupes russes : « Près de 4500 soldats ukrainiens ont perdu la vie dans la guerre contre la Russie sur le front de l’Est, a-t-elle écrit sur Twitter. La visite du Mur du Souvenir à Kiev nous rappelle pourquoi nous devons continuer à soutenir l’Ukraine, son peuple et sa souveraineté ».
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La ministre Joly a aussi consacré la deuxième journée de sa visite à rencontrer les militaires canadiens qui sont en mission en Ukraine : il s’agit d’un contingent de quelque 200 soldats qui forment l’armée ukrainienne au métier de soldat mais aussi dans des domaines comme l’ingénierie et la médecine. Cette mission, baptisée Unifier, a été mise en place en 2015 à la suite de l’annexion de la Crimée par la Russie l’année précédente et elle symbolise l’appui du Canada à l’Ukraine. Ainsi depuis 6 ans, l’armée canadienne a assuré la formation de quelque 33 000 soldats ukrainiens et cette mission devrait être prolongée au printemps.
En entrevue avec La Presse canadienne, le lieutenant-colonel Luc-Frédéric Gilbert se veut rassurant alors que la tension est à son comble avec la Russie : « Nous surveillons la situation, nous examinons l'escalade, bien sûr. Mais pour le moment, il n'y a pas d'impact sur la mission et il n'y a pas d'impact sur nos membres. Nous gardons un œil sur cela, mais la situation n'affecte pas nos activités quotidiennes ».
Bien sûr, l’armée canadienne a en main un plan d’urgence pour protéger ses soldats si jamais les Russes envahissent l’Ukraine. Le gouvernement canadien de son côté déconseille à ses ressortissants de faire tout voyage jugé non essentiel en Ukraine et recommande aux Canadiens qui sont sur place de partir si leur présence n’y est pas indispensable.
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En 2014, quand la Russie a annexé la Crimée, le Canada, qui était alors dirigé par le conservateur Stephen Harper, avait été l’un des pays occidentaux les plus virulents pour dénoncer cette annexion. Le Canada avait notamment imposé des sanctions économiques à la Russie et à des personnalités russes et adopté la ligne dure envers Moscou. Cette politique sans compromis s’est poursuivie quand les Libéraux de Justin Trudeau ont été portés au pouvoir en octobre 2015. Chrystia Freeland, qui avait été nommée ministre des Affaires étrangères dans le premier gouvernement Trudeau et qui est la petite-fille d’immigrants ukrainiens, avait notamment été déclarée persona non grata en Russie par le régime russe.
Le Canada devrait fournir immédiatement des armes de défense à l’Ukraine en guise d’effet dissuasif contre la menace croissante d’une nouvelle invasion russe plutôt que d’attendre de réagir à une éventuelle évasion, si elle survient.
Ihor Michalchyshyn, directeur général du Congrès ukrainien canadien
Le Canada compte aussi une importante communauté ukrainienne de près d’un million et demi de personnes, ce qui lui donne un important poids électoral. Cette communauté fait pression sur le gouvernement Trudeau pour qu’il fournisse des armes sans tarder à l’Ukraine. « C’est très important que la ministre Joly se déplace à Kiev pour entendre directement les Ukrainiens parler du besoin urgent d’obtenir des armes pour leur défense. (…) Le Canada devrait fournir immédiatement des armes de défense à l’Ukraine en guise d’effet dissuasif contre la menace croissante d’une nouvelle invasion russe plutôt que d’attendre de réagir à une éventuelle évasion, si elle survient. Il faut la rendre la guerre plus dispendieuse que la paix aux yeux de la Russie » estime Ihor Michalchyshyn, directeur général du Congrès ukrainien canadien.
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Après Mélanie Joly, c’était au tour d’Antony Blinken, le secrétaire d’État américain, d’entamer mercredi une visite diplomatique à Kiev. Il doit rencontrer vendredi à Genève son homologue russe Sergueï Lavrov et exhorte la Russie à privilégier une solution pacifique. Les négociations diplomatiques se poursuivent donc entre les parties, mais sous fond de bruit de bottes de plus en plus menaçant.