Fil d'Ariane
La campagne électorale bat son plein au Canada depuis une semaine déjà, alors que le pays est plongé en pleine guerre commerciale avec son voisin américain. Quel chef, quel parti tire donc le mieux son épingle du jeu dans cette joute électorale hors de l’ordinaire ? Analyse.
Le Peace Bridge, pont de la paix, relie les États-Unis et le Canada, 27 février 2025, Buffalo, État de New York, États-Unis.
Le nouveau chef du Parti libéral du Canada, Mark Carney, a connu un début de campagne difficile. Celui qui a été gouverneur de la Banque du Canada lors de la crise financière de 2008-2009, puis de la Banque d’Angleterre en plein Brexit, vient d’être plongé sans transition dans le grand bain glacé de la politique.
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Mark Carney est sous le tir nourri de ses adversaires et des journalistes qui suivent sa campagne, il se fait balancer des peaux de bananes de tout bord tout côté, quand il ne fait pas de bourdes tout seul comme un grand. Il a, par exemple, rebaptisé Nathalie Provost, l’une des candidates qui se présente pour le Parti libéral pour ces élections, en Nathalie « Pronovost » et il s’est trompé d’université quand il a fait référence au fait qu’elle est l’une des survivantes de la tuerie de « Concordia » alors que Nathalie Provost est l’une des survivantes de la tuerie de Polytechnique, le pire féminicide jamais survenu au Canada, quand un individu a abattu de sang-froid 14 étudiantes de l’école Polytechnique le 6 décembre 1989. Une méconnaissance évidente d’un événement historique d’importance au Québec de la part de Mark Carney, qui a par la suite présenté ses excuses pour cette maladresse.
Le chef libéral s’est ensuite retrouvé dans une situation délicate quand un journaliste de Radio-Canada a sorti l’information selon laquelle le fonds d’investissement qu’il présidait avant de se lancer en politique faisait des placements aux Bermudes, un endroit bien connu dans le monde pour être un paradis fiscal. La pratique n’est pas illégale mais on peut s’interroger sur sa « moralité » et Mark Carney s’est évidemment fait poser la question sur ces pratiques d’évitement fiscal.
Une manne pour ses adversaires politiques, trop contents de se jeter sur ce nouvel os dans l’espoir de rogner sur la popularité du chef libéral. Car les sondages menés depuis le début de cette campagne électorale donnent maintenant une légère avance aux Libéraux devant les Conservateurs, à un point tel que, si la tendance se maintient, Mark Carney et ses troupes pourraient remporter le scrutin avec un gouvernement majoritaire. C’est presque miraculeux quand on sait que, alors que Justin Trudeau était Premier ministre, les Libéraux trainaient loin derrière les Conservateurs dans les sondages. L’arrivée de Mark Carney a donc changé la donne électorale, mais c’est aussi, et surtout, le retour de Donald Trump à la Maison Blanche qui a brassé les cartes politiques canadiennes.
Donald Trump… dont l’ombre ne cesse de planer sur cette campagne électorale. Quand il a annoncé, le 26 mars, qu’il allait imposer des tarifs douaniers de 25% sur tous les véhicules automobiles importés aux États-Unis, Mark Carney a immédiatement enlevé sa casquette de chef libéral en campagne pour remettre sa veste de Premier ministre, rentrer dare-dare à Ottawa et préparer la riposte canadienne à cette salve de nouveaux tarifs. Car l’industrie automobile canadienne, majoritairement concentrée dans la province de l’Ontario, va être directement impactée par ces tarifs. Il faut comprendre que les chaînes de construction des automobiles américaine et canadienne sont étroitement imbriquées, un véhicule peut traverser à plusieurs reprises la frontière avant d’être totalement assemblé et vendu soit au Canada, soit aux États-Unis. Des centaines de milliers d’emplois canadiens sont menacés par ces tarifs.
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Ce nouvel épisode dans la guerre commerciale déclenchée par Donald Trump contre le Canada a donné l’occasion au Premier ministre canadien d’avoir un premier entretien téléphonique avec le président américain, une conversation « extrêmement productive » a écrit le président américain, et « très constructive » selon Mark Carney. Et, fait important à noter, dans son message sur son réseau social, Donald Trump parle du « Premier ministre canadien » et non pas du « gouverneur » comme il aimait qualifier Justin Trudeau quand il était encore Premier ministre. Il n’a pas non plus répété qu’il voulait que le Canada devienne le 51è État des États-Unis depuis l’arrivée de Mark Carney. Il semble donc que le ton ait changé du côté de Washington, ou, à tout le moins, que le message passé par Mark Carney à Donald Trump, « d’abord le respect, ensuite on négocie » ait été entendu. Ce premier contact avec le président américain a « sauvé » cette première semaine de campagne de Mark Carney car l’opération se solde par un succès pour le chef libéral.
Le chef conservateur, de son côté, a entamé la campagne électorale le mors aux dents et le sourire aux lèvres, un sourire parfois forcé pour cet homme de 45 ans reconnu pour son abrasivité et son ton mordant. Alors qu’il s’envolait vers une victoire facile lorsque Justin Trudeau était son adversaire, le chef conservateur doit maintenant ramer pour se maintenir dans la course, reprendre les devants et convaincre les Canadiens qu’il incarne le changement, après une décennie de pouvoir libéral, et qu’il est de taille à affronter Donald Trump pour protéger l’économie canadienne et défendre la souveraineté du pays, menacé par les visées expansionnistes du président américain. Les sondages sont clairs à ce sujet : Mark Carney inspire deux fois plus confiance aux Canadiens que Pierre Poilievre pour mener cette guerre commerciale contre les Américains. Le chef conservateur répète donc que sous sa gouverne, le Canada sera fort et qu’il pourra tenir tête à Donald Trump, alors qu’un autre gouvernement libéral, martèle-t-il, va affaiblir le Canada dans ce bras-de-fer avec son voisin.
Pierre Poilievre tente aussi de prendre le plus de distance possible avec Donald Trump car plusieurs des idées qu’il défend dans son programme sont proches de celles du président américain et son administration. Une partie des électeurs conservateurs sont partisans du président américain, mais la très grande majorité des Canadiens ne l’aiment pas. C’est donc un exercice de funambule délicat auquel doit se prêter le chef conservateur qui, rappelons-le, se situe très à droite sur l’échiquier politique canadien.
Enfin, troisième défi pour Pierre Poilievre : comment incarner le changement quand plusieurs des mesures phares de son programme ont été reprises par Mark Carney, comme des réductions d’impôt et la fin de la taxe carbone, une taxe mise en place par Justin Trudeau pour lutter contre le réchauffement climatique ? Les Libéraux ont, en quelque sorte, coupé l'herbe sous les pieds des Conservateurs.
Pierre Poilievre tente donc de maintenir le cap dans cette campagne électorale unique en son genre : dans tous les rassemblements qu’il tient d’un bout à l’autre du pays, il présente son programme, lance des attaques acérées à ses adversaires et n’a pas, pour l’instant, fait de gaffes notables.
Difficile pour les deux autres partis politiques qui sont dans cette course de se tailler une place dans l’arène. Le Nouveau Parti démocratique, le NPD, est en chute libre dans les sondages depuis l’arrivée de Mark Carney, une partie des électeurs néo-démocrates ayant en effet décidé de voter libéral pour bloquer les Conservateurs. Le chef Jagmeet Singh a beau se démener pour tenter d’attirer les électeurs, ce parti, qui est le plus à gauche sur l’échiquier politique canadien, paie, en quelque sorte, le prix du vote stratégique qui motivent les Canadiens dans ce contexte de guerre commerciale et de menace à la souveraineté du pays. Des électeurs qui, en temps normal, auraient voté NPD, ne veulent pas « perdre leur vote » en votant pour un parti qui n’a aucune chance de prendre le pouvoir, ils vont donc voter stratégiquement pour le Parti libéral. Jagmeet Singh tente de parler du coût de la vie, de la crise du logement qui sévit au Canada mais ces enjeux sont occultés par l’enjeu principal, soit les relations entre le Canada et les États-Unis.
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La campagne est difficile également pour le Bloc Québécois, le parti qui défend les intérêts du Québec à Ottawa et qui ne présente des candidats que dans la province du Québec. Le chef Yves-François Blanchet essaie lui aussi de tirer son épingle du jeu en menant une campagne qui met de l’avant des questions importantes pour le Québec, le fait français, la protection des travailleurs qui sont dans les secteurs impactés par les tarifs douaniers américains (l’acier, l’aluminium, le bois d’œuvre, le secteur agricole). Le chef bloquiste dénonce également le manque de connaissance de Mark Carney sur le Québec, sur le fait qu’il ne maîtrise pas assez la langue française (une faiblesse certaine du chef libéral) et il décoche des flèches également envers son adversaire conservateur. Mais au même titre que le NPD, la question du « vote stratégique » dans cette élection risque d’avoir un impact sur la performance du Bloc Québécois, il a d’ailleurs perdu plusieurs points dans les intentions de vote car une partie de l’électorat bloquiste se tourne maintenant vers le Parti libéral.
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Il reste quatre semaines à cette campagne électorale et rien n’est encore gagné pour personne, ni pour Mark Carney ni pour Pierre Poilievre. Et comme l’élément le plus imprévisible dans cette course qui ne ressemble à aucune autre s’appelle Donald Trump, tout peut arriver.