Fil d'Ariane
Le Premier ministre Trudeau et sa ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, ont tous deux été très prudents dans leurs commentaires sur l’arrivée au pays de Vanessa Rodel et sa fille de 7 ans Keana. Toutes deux avaient caché le lanceur d'alerte américain Edward Snowden dans leur appartement de Hong Kong en 2013 après ses révélations sur la NSA. Depuis, elles subissaient des pressions des autorités hongkongaises et risquaient l'expulsion vers leur pays d'origine, les Philippines.
Justin Trudeau et Chrystia Freeland ont déclaré ce mardi 26 mars que le droit d’asile leur avait été accordé en dehors de toute interférence du pouvoir politique, que le processus avait simplement suivi son cours. Un processus mené de A à Z par des avocats montréalais et par l’organisme « Pour les réfugiés » qui ont parrainé à titre privé les demandes d’asile.
Mais on se doute bien que, derrière ces paroles prudentes, le gouvernement canadien a dû donner l’autorisation finale à ces demandes d’asile, sachant qu’elles pouvaient froisser le voisin américain, dont la susceptibilité « trumpienne » est à fleur de peau. Aucune réaction d’ailleurs, pour l’instant, du côté de Washington, ce qui est plutôt surprenant au demeurant.Pour François Audet, directeur de l’Institut d’études internationales de Montréal et de l’Observatoire canadien sur les crises et l’action humanitaire, le Canada a toujours eu la réputation d’accueillir des réfugiés venus de partout dans le monde : on pense à cette vague de plusieurs milliers de réfugiés syriens débarqués au pays en 2016, quelques mois après l’arrivée au pouvoir de Justin Trudeau.
On pense aussi à ce petit tweet envoyé par le Premier ministre canadien, peu de temps après l’arrivée au pouvoir de Donald Trump et sa décision de fermer les frontières américaines aux citoyens de plusieurs pays musulmans. Justin Trudeau annonçait alors : « Le Canada a toujours été une terre d’accueil, venez chez nous, nous vous accueillerons ».
« Mais il semble effectivement que le Canada porte un intérêt spécifique à ceux ayant une certaine visibilité politique, déclare François Audet. On pense notamment à la jeune Saoudienne Rahaf Mohammed al-Qunun ou aux Casques blancs syriens, récemment arrivés au Canada. Malgré la nécessité humanitaire et juridique que le Canada accueille sur son territoire des réfugiés politiques, je m’inquiète néanmoins du fait que la discrétion, voire l’anonymat qui devraient être des facteurs à respecter dans ces dossiers, soient laissés de côté. Dans certains cas, la sécurité des réfugiés est menacée. Dans ces contextes, les enjeux de sécurité - surtout pour des réfugiés politiques - semblent moins importants que les enjeux médiatiques. Le fait que le gouvernement souhaite délibérément faire savoir au monde entier - et surtout à son électorat - qu’il agit de la sorte, donne une indication claire qu’il y a un agenda politique derrière. Au niveau national, nous sommes dans une année électorale et le Parti libéral compte visiblement sur cette dimension pour avoir la faveur de certains groupes. On sait également que les Libéraux sont dans la tourmente avec plusieurs dossiers très chauds et que ce genre de nouvelle de « bons citoyens du monde » permet de laisser de côté les critiques et les scandales qui ont frappé le gouvernement libéral cette année. »
Autrement dit, l’accueil de ces réfugiés très politisés est peut-être aussi motivé par des considérations politiques beaucoup moins louables selon François Audet : « L’agenda national électoraliste prédomine donc, car malgré l’enjeu humanitaire bien réel dans ces dossiers, et qu’il ne faut pas négliger évidemment, le fait de vouloir les faire « mousser » en facteur médiatique trahit malheureusement les intentions humanitaires du gouvernement canadien ».
Mais ces réfugiés qui viennent d’arriver au pays n’ont cure de ces motivations et stratégies politiques : pour eux, c’est une nouvelle vie qui commence… et ils ne cachent pas leur bonheur.