Le Canada, nouvelle terre d'asile pour les réfugiés aux histoires médiatisées ?

La femme du blogueur saoudien Raïf Badawi et leurs trois enfants, la jeune Saoudienne Rahaf Mohammed al-Qunun, Vanessa Rodel et sa petite fille Keana qui ont aidé Edward Snowden et maintenant il s'agirait de la Pakistanaise persécutée Asia Bibi : le Canada est-il en train de devenir une terre d’asile pour ces réfugiés très politisés aux histoires médiatisées ? Qu’est-ce qui peut bien motiver les autorités canadiennes à les accueillir ici ?
Image
réfugiés en route pour le Canada
Sur cette photo, des réfugiés syriens attendent en 2015, à l'aéroport d'Amman en Jordanie pour se rendre au Canada. 
©AP Photo/Raad Adayleh
Partager4 minutes de lecture

Le Premier ministre Trudeau et sa ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, ont tous deux été très prudents dans leurs commentaires sur l’arrivée au pays de Vanessa Rodel et sa fille de 7 ans Keana. Toutes deux avaient caché le lanceur d'alerte américain Edward Snowden dans leur appartement de Hong Kong en 2013 après ses révélations sur la NSA. Depuis, elles subissaient des pressions des autorités hongkongaises et risquaient l'expulsion vers leur pays d'origine, les Philippines.

Justin Trudeau et Chrystia Freeland ont déclaré ce mardi 26 mars que le droit d’asile leur avait été accordé en dehors de toute interférence du pouvoir politique, que le processus avait simplement suivi son cours. Un processus mené de A à Z par des avocats montréalais et par l’organisme « Pour les réfugiés » qui ont parrainé à titre privé les demandes d’asile.

Mais on se doute bien que, derrière ces paroles prudentes, le gouvernement canadien a dû donner l’autorisation finale à ces demandes d’asile, sachant qu’elles pouvaient froisser le voisin américain, dont la susceptibilité « trumpienne » est à fleur de peau. Aucune réaction d’ailleurs, pour l’instant, du côté de Washington, ce qui est plutôt surprenant au demeurant.

Cinq autres "anges gardiens" dans l'attente

Peut-être que ce mutisme américain va fondre si jamais le Canada accorde l’asile également aux cinq autres "anges gardiens" d’Edward Snowden restés à Hong Kong. Les avocats montréalais font pression sur le gouvernement canadien pour qu’il débloque les demandes d’asile de ces Sri lankais qui ont, eux aussi, aidé le lanceur d’alerte américain quand il était à Hong Kong.

Parmi eux, deux enfants qui sont le demi-frère et la demi-sœur de la petite Keana, des enfants apatrides, et un homme qui est en détresse psychologique, car il ne supporte plus l’insécurité latente dans laquelle son statut le cantonne.

Edward Snowden lui-même, dans une entrevue exclusive accordée à Radio-Canada, a demandé aux autorités canadiennes de leur offrir l’asile. Pour l’instant, le gouvernement Trudeau affirme qu’il ne va pas intervenir pour faire avancer les dossiers de ces cinq personnes.

Le Canada, un pays d’accueil, mais…

Pour François Audet, directeur de l’Institut d’études internationales de Montréal et de l’Observatoire canadien sur les crises et l’action humanitaire, le Canada a toujours eu la réputation d’accueillir des réfugiés venus de partout dans le monde : on pense à cette vague de plusieurs milliers de réfugiés syriens débarqués au pays en 2016, quelques mois après l’arrivée au pouvoir de Justin Trudeau.

On pense aussi à ce petit tweet envoyé par le Premier ministre canadien, peu de temps après l’arrivée au pouvoir de Donald Trump et sa décision de fermer les frontières américaines aux citoyens de plusieurs pays musulmans. Justin Trudeau annonçait alors : « Le Canada a toujours été une terre d’accueil, venez chez nous, nous vous accueillerons ».

Un agenda politique

« Mais il semble effectivement que le Canada porte un intérêt spécifique à ceux ayant une certaine visibilité politique, déclare François Audet. On pense notamment à la jeune Saoudienne Rahaf Mohammed al-Qunun ou aux Casques blancs syriens, récemment arrivés au Canada. Malgré la nécessité humanitaire et juridique que le Canada accueille sur son territoire des réfugiés politiques, je m’inquiète néanmoins du fait que la discrétion, voire l’anonymat qui devraient être des facteurs à respecter dans ces dossiers, soient laissés de côté. Dans certains cas, la sécurité des réfugiés est menacée. Dans ces contextes, les enjeux de sécurité - surtout pour des réfugiés politiques - semblent moins importants que les enjeux médiatiques. Le fait que le gouvernement souhaite délibérément faire savoir au monde entier - et surtout à son électorat - qu’il agit de la sorte, donne une indication claire qu’il y a un agenda politique derrière. Au niveau national, nous sommes dans une année électorale et le Parti libéral compte visiblement sur cette dimension pour avoir la faveur de certains groupes. On sait également que les Libéraux sont dans la tourmente avec plusieurs dossiers très chauds et que ce genre de nouvelle de « bons citoyens du monde » permet de laisser de côté les critiques et les scandales qui ont frappé le gouvernement libéral cette année. »

Autrement dit, l’accueil de ces réfugiés très politisés est peut-être aussi motivé par des considérations politiques beaucoup moins louables selon François Audet : « L’agenda national électoraliste prédomine donc, car malgré l’enjeu humanitaire bien réel dans ces dossiers, et qu’il ne faut pas négliger évidemment, le fait de vouloir les faire « mousser » en facteur médiatique trahit malheureusement les intentions humanitaires du gouvernement canadien ».

Mais ces réfugiés qui viennent d’arriver au pays n’ont cure de ces motivations et stratégies politiques : pour eux, c’est une nouvelle vie qui commence… et ils ne cachent pas leur bonheur.