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La belle maison qui abrite le French Cultural Center, donation d’une sculptrice américaine, est une des seules du quartier à ne pas encore avoir retiré les citrouilles d’Halloween. Car les Bostoniens n’ont plus trop le cœur à rire, qui ont majoritairement voté pour Hillary Clinton. Non loin d’ici, des centaines de jeunes , mais aussi des familles et des militants de tous poils, dont ceux du « Black Lives Matter », se retrouvent chaque jour dans le Boston Common Park pour scander leurs slogans.
Leur détermination contre ce nouveau président qualifié de "fasciste", "misogyne" et "incompétent" s’affiche aussi à l’Université d’Harvard, où les étudiants se sont mis en deuil, comme le racontent les trois responsables du Fonds Charlie Hebdo rencontrées dans la vénérable bibliothèque Widener. "La résistance se met en place" titre le quotidien français Libération ce lundi 14 novembre.
Le French Cultural Center ne s’immisce pas dans la politique américaine. Mais pour ses conférenciers, ses visiteurs, il n’en demeure pas moins un grand symbole de démocratie, de bon fonctionnement des services publics, de protection sociale aussi. Un débat organisé en octobre autour des présidentielles françaises et américaines a d’ailleurs fait salle comble. Le prochain ciné-club affiche pour le 17 novembre l’avant-première de la version anglaise du remarquable documentaire inspiré à Daniel Mermet et Olivier Azam par un bestseller, pur produit de l’Université de Boston , "Une histoire populaire américaine" signée Howard Zinn.
L’approche culturelle voulue par l’équipe en place est bien vivante. Pour preuve, actuellement, les lieux accueillent, jusque fin novembre, dans le cadre de leur opération Through the lens (A travers l’objectif), une exposition consacrée à 30 ans de campagne de communication de "Reporters sans Frontières", en lien avec l’appel lancé par l’ONG internationale auprès du Secrétaire Général des Nations unies pour qu’il désigne un représentant spécial chargé de la protection des journalistes en zones de conflits.
"Car si les dangers du métier ont toujours existé, la révolution numérique accélère les risques", explique Ron Haviv célèbre pour ses reportages de guerre à Vukovar et à Sarajevo et ses photographies de drames humanitaires au Bangladesh, au Sri Lanka et à Haïti, ou encore témoin des affrontements entre gangs et policiers à Los Angeles et au Mexique. Certes, pour un journaliste, la publication immédiate d’un cliché ou d’un article sur les réseaux sociaux est un avantage. Mais comme le disait un correspondant du New York Times tué en Irak : "Le fait que chacun sache en temps réel ou vous êtes et ce que vous y faites rend les choses très difficiles. Les journalistes doivent être prudents, intelligents. Avec Google chacun peut retrouver à tout moment ce que vous avez écrit". Pouvoir s’appuyer sur un représentant dédié aux journalistes au sein des Nations unies, pourrait, selon Ron Haviv être utile dans le cas où un confrère serait prisonnier d’un gouvernement.
John R. Carroll, ancien journaliste au Boston Globe, est aujourd’hui professeur de communication à la Boston University. Il se dit frappé par la violence verbale manifestée par le candidat Trump à l’égard des médias et par l’hostilité qu’ont rencontrée plusieurs journalistes auprès de ses supporters à l’occasion des meetings. John Carroll se dit soucieux quant à la possibilité, pour les journalistes, de protéger leurs sources.
Même l’administration Obama qui, dans sa campagne présidentielle de 2008, avait pourtant promis la transparence, est allée jusqu’à accuser des journalistes d’espionnage : Les journalistes vivent dans un climat d’interférences avec leur travail. Leur accès aux informations s’est rétréci, confie John Carroll. Le pool presse admis à la Maison Blanche est restreint et les photos officielles distribuées à la presse sont de l’ordre des relations publiques. Les journalistes en charge de la présidence ont connu, par le passé des conditions de travail plus ouvertes, et se sont regroupés pour se plaindre. En vain."
Les Bostoniens aiment la langue française et la France. On se souviendra que les troupes françaises vinrent au secours des insurgés contre l’occupant britannique et aidèrent à l’indépendance du pays, actée par la Paix de Paris.
Aujourd’hui, à Boston comme à New York, ce qui est français reste synonymes de bon goût. Paris est encore la ville qui fait rêver les Américains, même si le terrorisme qui y a frappé ces derniers mois a marqué les esprits.
Présidé par Catheline van den Branden, le French Cultural Center dispose d’une cinquantaine de collaborateurs. "Il y a ici une tendance à vénérer Monet et Debussy, parmi d’autres grands noms. Notre Centre tient aussi à montrer les facettes contemporaines de la France, son rôle au plan mondial ». Catheline van den Branden souligne que son centre est résolument francophone : "La multiplicité des actions que nous proposons constitue un vrai facteur d’intégration dans la vie locale. 70% de nos membres sont Américains et la progression des enfants qui viennent apprendre le français est fantastique... La médiathèque enfantine est un univers où les familles aiment se retrouver le week-end. Nous proposons aussi des cours de conversation qui s’appuient sur l’actualité. Nos professeurs sont très attirés par l’éducation aux médias. Le Centre a aussi assisté l’Université d’Harvard où deux professeurs et une responsable de la bibliothèque Widener ont entrepris de constituer des archives au sujet de Charlie Hebdo".
Rencontré sur le campus, le trio féminin manifeste tout l’intérêt qu’il a trouvé dans ce travail collectif de recherche de documents Nicole Mills était de passage à Paris quelques jours après l’attentat perpétré contre la rédaction de l’hebdomadaire satirique. Bouleversée, elle a ramené beaucoup de documents pour ses étudiants instructeurs. Elle a convaincu Lidia Uziel, directrice du département de la Bibliothèque pour les sciences sociales dans les langues occidentales de mettre en œuvre un plan d’archivage "Charlie", le tout cautionné par Virginie Greene, alors responsable des langues romanes au sein de l’université.
Virginie a immédiatement vu l’intérêt de pousser les étudiants à s’interroger sur les notions de "satire", de "blasphème", de "liberté de parole". De les aider à enseigner la controverse au-delà des visions différentes qu’ont les Français et les Américains de la laïcité et au regard de leurs législations respectives.
Des collaborations se sont nouées entre Harvard et d’autres institutions dont la BNF, ainsi que plusieurs dessinateurs qui ont accepté de libérer les droits au regard des enjeux de la recherche que les archives allaient permettre de mener. Une exposition viendra couronner ce travail au French Cultural Center à partis du 6 janvier. Ce qui n’empêche pas la collecte d’archives de se poursuivre à Harvard, afin de proposer prochainement une bibliothèque virtuelle ouverte à tous les chercheurs. Au plan pédagogique, l’action d’enseignement du French Cultural Center rejoint celle menée par le Consulat général de France à Boston qui se targue d’avoir pu rassembler en avril dernier, à Providence, quelque 1500 élèves et une centaine d’invités de la Francophonie. A ce jour, certainement, le plus grand rassemblement d’apprenants de français jamais réalisé aux USA !