Le président vénézuélien Hugo Chavez est décédé mardi 5 mars 2013 à Caracas à 58 ans des suites d'un cancer diagnostiqué en juin 2011, mettant un point final à 14 années de pouvoir sans partage et laissant le pays aux mains de son vice-président Nicolas Maduro en vue d'élections anticipées prévues dans les 30 jours.
Les détracteurs du président vénézuélien comptaient déjà sur son absence prolongée, due à sa maladie, pour rabattre les cartes à Caracas, et aussi dans toute la région. Mais les changements structurels entrepris il y a une quinzaine d’années devraient survivre à sa mort.
Entre autres organisations régionales, Hugo Chavez initie en 2005 l'ALBA, Alliance Bolivarienne pour les Amériques.
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Plus qu’un symbole. Alors que, pour cause de maladie du président, la prestation de Hugo Chavez prévue le 10 janvier 2013 à Caracas ne pouvait pas avoir lieu, certains mandataires sud-américains avaient tout de même fait le déplacement pour le soutenir. Présents à Caracas, ce jour-là, le président d’Uruguay, José Mujica, et son homologue bolivien, Evo Morales, tout comme des représentants officiels des pays des Caraïbes. Au même moment, Cristina Kirchner et le président du Pérou, Ollanta Humala, étaient à Cuba au chevet du président vénézuélien, venu sur l'île dans une ultime tentative de se faire soigner.
En langage diplomatique, il s’agissait d’afficher leur adhésion au chantre du « socialisme du XXIè siècle ». Il faut dire qu'au moment où les doutes se multipliaient sur la santé du chef d’Etat, avant même qu'il soit mort, ses détracteurs avaient essayer de s’engouffrer dans la brèche.
D’abord au Venezuela. L’opposition, avec à sa tête Henrique Capriles, s’agitait et s’organisait en vue de la réélection présidentielle future (au mois d'avril 2013). « Mais même si elle l’emporte, elle ne pourra pas remettre en cause les contrats passés avec la Chine, la Russie, l’Algérie et l’Iran, par exemple. Le discours serait sans doute plus modéré et un rapprochement avec les Etats-Unis possible, mais rien n’est moins sûr », analyse Adeline Joffres doctorante en relations internationales à l’Institut de Hautes Etudes de l’Amérique Latine (Université Paris III) et présidente du Geiven, Groupe d'études interdisciplinaires sur le Venezuela. Et de poursuivre : « Le grand succès de Chavez est la politisation de la classe populaire. Les Vénézuéliens sont devenus tellement exigeants vis-à-vis de leurs dirigeants, que le nouveau pouvoir en place aurait très peu de marge de manœuvre. Si au contraire, Nicolas Maduro, le successeur désigné de Chavez, se maintient au pouvoir, la continuité serait assurée.»
Chavez, fin politicien
Dans la région, le leadership de Chavez est incontestable, au grand dam de l’Oncle Sam. Les pétrodollars et un sens du pragmatisme politique lui ont permis d’élargir l’influence du Venezuela. Quand médias et critiques se focalisaient sur ses discours flamboyants et ses casquettes révolutionnaires, lui, construisait des rapports durables avec ses voisins et développait les relations Sud-Sud. « Depuis son élection, on essaye de définir le ‘chavisme’, on n’y arrive toujours pas, explique Adeline Joffres. Mais ce qui est sûr c’est qu’il sait s’adapter à ses interlocuteurs. Depuis l’arrivée d’Hugo Chavez au pouvoir, le pays est très actif dans toutes les organisations de coopération régionale. Son entrée dans le Mercosur en 2012 et la création de La Communauté d'Etats latino-américains et caribéens (Celac) la même année sous son impulsion ; ainsi que la création de l’Alliance bolivarienne pour les Amériques(ALBA) en 2005 montrent cette pro-activité au sein du continent. Résultat : le Venezuela est au cœur de l’intégration régionale, à égalité avec le Brésil ; le pays a multiplié ses partenariats économiques, bien sûr par le biais de ces organisations, ainsi que les accords bilatéraux. »
Le Venezuela, champion des politiques sociales
Les gains du pétrole sont essentiels dans cette politique offensive. Cuba, et d’autres pays d’Amérique centrale et des caraïbes, reçoivent plus de 80 000 barils de brut par jour à prix préférentiels. Les pétrodollars sont aussi un levier clé pour se positionner dans l’aide sociale à travers de nombreux programmes plus ou moins réussis testés d’abord localement et ensuite exportés en Bolivie ou dans les Caraïbes. Le Venezuela en est devenu la référence latino-américaine.
Ajoutez à cela un corps diplomatique jeune et hyperactif. Certes inexpérimenté, mais prêt à prêcher la bonne parole au delà du continent américain jusqu’en Afrique ; où de nombreuses ambassades ont été ouvertes ces dernières années.
Même si Chavez critiquait régulièrement ceux qu’il considérait comme les alliés des Etats-Unis tels le Mexique ou la Colombie, il n’a jamais été question de remettre en cause les relations économiques liant le Venezuela à la Colombie. Conscient de l’enjeu que représentent les liens avec ce pays, le Commandante a toujours entretenu des relations cordiales avec son président Juan Manuel Santos.
Qui veut prendre sa place ?
En relative perte de vitesse dans le continent, les Etats-Unis auront bien du mal à récupérer la place privilégiée que le pays occupait. « D’autant que le grand gagnant de la reconfiguration du continent c’est le Brésil. La disparition de Chavez ne changera en rien les règles du jeu. Et si le Mexique, également en tant qu’émergent, veut s’imposer dans les politiques de la région, cela lui sera très difficile malgré ses nombreuses tentatives de rapprochement. Ce pays est considéré comme faisant partie de l’Amérique du Nord et surtout trop proche des Etats-Unis.»
Une membre du corps diplomatique équatorien, qui préfère garder l’anonymat, est du même avis : « Beaucoup de choses se sont passées ces dernières années. Ce n’est pas la mort de Chavez qui va tout bouleverser. » Prêchant pour sa paroisse, la diplomate assure cependant qu'avec la mort de Chavez, l’Equateur aura un rôle plus important à jouer vu son récent boom économique. Mais la taille du pays et la place qu’il occupe dans la géopolitique de la région ne laissent pas présager un tel changement.
Une gestion pétrolière à améliorer
Benoît Hamon, ministre français délégué en charge de l'économie sociale et solidaire avec Temir Porras, vice-ministre vénézuélien des relations extérieures en décembre 2012.
Alors, à qui profiterait une perte de vitesse de l’héritage du chavisme ? Pour l’experte du Venezuela, l’Europe aurait beaucoup à y gagner : « L’UE pourrait diversifier ses échanges avec le pays. En France on se garde bien de le dire, mais sur le continent américain, c’est le Venezuela qui bénéficie - et déjà du temps de la splendeur de Chavez -, au premier chef des aides spécifiques de l’UE et d'autres pays membres. »
En décembre 2012, le ministre délégué à l’Economie sociale et solidaire, Benoît Hamon signait sept accords, dans quatre secteurs, (transport, énergies, science, tourisme) en terres chavistes et faisait de grandes déclarations « d’amitié » au président malade. Ce qui marqua le début d’une nouvelle période dans les relation franco-vénézuéliennes quelque peu tendues lors du quinquennat précédent. Le géant pétrolier Total, entre autres, devrait en profiter.
De plus il faudra compter avec la présence appuyée de la Chine en Amérique Latine. Ce pays est le principal créancier du Venezuela. Le pays a deux talons d’Achille : la dette et la gestion. Le possible déclin du pays n’aurait rien à voir avec les jeux de pouvoir internes ou externes. « L’administration de Pétroles de Venezuela (PDVSA) laisse beaucoup à désirer. L’entreprise a du mal à respecter les quotas de l’OPEP (bien que le Venezuela possède l'une des plus importantes réserves d’hydrocarbures NDLR) et il n’y a aucune planification de l’emploi de ces ressources », explique la spécialiste. L’aura du président décédé risque d’être d’une puissance redoutable. Après tout, le péronisme en Argentine – ou ses diverses interprétations- vit toujours.