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Laurie Fachaux - TV5MONDE
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Le Chili : nouvel eldorado pour les migrants haïtiens ?

À mesure que l'Europe durcit ses lois sur l'immigration, beaucoup d'Haïtiens en quête d'un avenir meilleur choisissent une destination plus proche : le Chili, qui doit faire face à une vague massive d'immigration.
 

Les Haïtiens sont nombreux à quitter leur pays pour tenter leur chance à l'étranger. Or le pays où ils émigrent le plus — après la République Dominicaine — c’est le Chili. Un nouvel eldorado depuis que les mesures prises par Donald Trump limitent les perspectives aux Etats-Unis et que l’Union Européenne durcit ses lois sur l'immigration.

Une misère au Chili, une fortune en Haïti

Attirés par la stabilité politique du Chili et la bonne santé économique du pays, dont le taux de chômage ne dépasse pas 6 %, 400 Haïtiens par jour sont arrivés l’an dernier au Chili. Avec un master et une licence en poche, Edmie Laguerre travaille comme femme de ménage, tout comme son frère, titulaire d'un master en gestion d'entreprises. Leur salaire : à peine 500 euros par mois. Une misère au Chili, une fortune en Haïti. Mais malgré ces emplois loin de leurs aspirations, la fratrie ne songe pas à quitter le Chili… "Ici vous n’avez pas de famille, vous êtes loin de votre pays, il faut payer le loyer, il faut survivre, raconte Edmie. (...) Mais c'est mieux qu’en Haïti, et pas seulement pour moi. Je dirais que c’est le cas pour pas mal d'Haïtiens."

Son frère, Ed Laguerre, avait un rêve : "Je voulais me perfectionner dans mon domaine, mais je m'aperçois que c’est quasiment impossible. Après deux années difficiles, aujourd’hui, je me sens bien ici." Comme Edmie et son frère, plus de 100 000 Haïtiens sont arrivés au Chili l’an dernier, dans l'espoir d'une vie meilleure.
 

Beaucoup d'Haïtiens viennent directement de l’aéroport et nous demandent où ils vont passer la nuit.
Rodrigo Delgado, maire du quartier Estación Central de Santiago

La "petite Haïti" de Santiago du Chili

A Santiago, la capitale, tout un quartier résonne des accents haïtiens. Ici une messe en français et en créole, là un restaurant où les saveurs créoles titillent les papilles... Bienvenue dans la petite Haïti, un quartier ouvrier où s'insallent la plupart des nouveaux arrivants. Son maire, Rodrigo, celui que l'on surnomme le maire haïtien, est débordé face à l’explosion de l’immigration : "Beaucoup d’Haïtiens viennent directement de l’aéroport, et ils nous demandent où ils vont passer la nuit. Ils viennent parce que quelqu’un leur a dit que nous allions leur fournir un logement, mais évidemment, c'est complètement faux !" explique Rodrigo Delgado, maire du quartier Estación Central de Santiago. 

Alors, pour endiguer l'immigration, le maire a eu une idée originale. Il a demandé à un rappeur haïtien, Ernst Yngignack, alias Black Peat, de composer une chanson pour ses compatriotes, en créole et en espagnol. Le chanteur vit ici dans des conditions précaires, avec une dizaine de personnes. Inspiré de sa propre expérience, le texte de Vida extranjera parle de discrimination. "Un jour dans le métro, un homme m’a demandé de me lever alors qu’il y avait 4 sièges libres à côté de moi. J’ai dû me lever, je n’avais pas le choix ! Cet homme m’a humilié. Et pourquoi ? À cause de ma couleur de peau," se souvient le rappeur.

La xénophobie s'accentue au Chili, comme le montrent cet article du journal le plus lu du pays, Journal La Tercera, qui publiait ce 7 avril 2018 un questionnaire intitulé "Les dix questions qui dérangent", avec une question ouvertement raciste : "Trouvez-vous qu’un Haïtien sent différemment qu’un Chilien ?" Face à cela, Enock Pongnon, le cousin de Ernst veut rester positif. Professeur au chômage en Haïti, il est venu reprendre des études d’électricien : "Je dois lutter pour atteindre mon objectif, j’essaie donc de banaliser les autres choses négatives. On est obligés. Comme on peut le voir, là où on vit, c’est un peu misérable, mais on s’adapte."

Visas en vue

Ancienne dictature repliée sur elle-même, le Chili n’est pas habitué à recevoir une telle immigration, encore moins une population afro-descendante qui ne parle pas espagnol. Pour endiguer cette vague, le président de droite Sebastián Piñera — entré en fonctions le 11 mars dernier — vient d’annoncer une série de mesures, comme la création d’un visa de tourisme pour les Haïtiens, entré en vigueur cette semaine. Ils devront bientôt demander un visa de travail et, à partir de juillet, pourront demander un visa pour regroupement familial. Dix mille visas de ce type seront délivrés par an. Mais devant les bureaux d’immigration, les files d'attentes restent interminables.