Anna Politkovskaïa, non rééducable
Maison de Métallos, Paris, jusqu'au 12 mai 2010
Dans un spectacle multiple, monologue sur la scène et rencontres en dehors avec le public, Mireille Perrier veut transmettre la force de la journaliste russe assassinée. Reportage Pascal Achard, Patrice Acheré et Paul Hautefort avec les interviews de Mireille Perrier, comédienne et Sacha Tcherkassov, de l'Ong russe Mémorial 2'40, 8 mai 2010
« Elle était comme un haut-parleur pour les Tchétchènes »
Rencontres avec les amies et collègues d'Anna Politkosvkaïa à la Maison des métallos à Paris.
Le corps tendu, le regard déterminé, Mireille Perrier ne décroche pas. Après avoir, pendant plus d'une heure, redonné vie aux mots d'Anna Politkovskaïa, la journaliste russe assassinée à Moscou le 7 octobre 2006, la comédienne remonte sur scène. Avec chaises et micros. Chaque soir, après sa pièce en solo, elle offre un moment d'échange avec le public en recevant des invités d'horizons variés mais tous concernés par Anna Politkovskaïa . Une manière de poursuivre son combat. Ce soir-là, deux femmes entourent Mireille Perrier. Il y a de la gravité sur leur visage. Elles ne parlent ni ne comprennent le français mais ont tout saisi du spectacle : « Par vos gestes et votre voix, on a pu revoir tout ce qu'a fait Anna pour le peuple tchétchène. »
Les amies Galiena Mussalieva est chroniqueuse dans l'hebdomadaire où travaillait Anna Politkovskaïa, la Novaïa Gazeta, l'un des journaux les plus indépendants de la presse russe. Lidia Ioussoupova, née à Grozny, est une ancienne avocate devenue journaliste. Toutes les deux étaient des proches d'Anna Politkovskaïa et ont dénoncé, à ses côtés, les manipulations politiques du Kremlin et les exactions commises par l'armée russe en Tchétchénie. Aujourd'hui, elles poursuivent leur travail malgré les menaces qui planent. Pour Lidia Ioussoupova, rien n'a changé en Russie. Vladimir Poutine a laissé son siège de président à Dmitri Medvedev, mais « la presse reste oppressée ». « La sécurité, explique t-elle, n'existe pour personne et encore moins pour les journalistes et les avocats qui défendent les droits de l'homme. » Au palmarès mondial de la liberté de presse qu'établit l'ONG Reporters sans frontières, la Russie se classe au 153ème rang... sur 175 pays. Depuis 2000, au moins 35 journalistes y ont été assassinés, dont six de la Novaïa Gazeta. Lidia Ioussoupova pose un regard sévère et ne mâche pas ses mots : « Le problème vient de nous. Nous n'avons rien fait contre le système qui a assassiné nos collègues et amis. » Elle constate un isolement des militants et regrette un manque de solidarité.
Galiena Mussalieva, dont l'hebdomadaire se vend quand même à 400 000 exemplaires, est plus optimiste : « Les chaînes de télévision couvrent plus qu'avant les événements qui ne vont pas dans le sens du gouvernement. Je ne peux pas dire que les journalistes en Russie sont devenus plus courageux mais il se produit une sorte de réactions en chaîne. Quelques journalistes commencent à parler d'un fait et les autres se mettent à suivre le mouvement. Internet joue aussi un rôle important. Par sa simplicité et sa rapidité, il impose plus de transparence. »
Ni l'une ni l'autre ne dira si elle a reçu personnellement des menaces de mort. Mais toutes les deux reprendront à leur compte la phrase que disait souvent Anna Politkovskaïa : « Plus je travaille, plus je prends des risques et moins je m'en rends compte ». L'héritage de la « non-rééducable » L'insoumise et infatigable Anna Politkovskaïa, classée « non-rééducable » par le pouvoir russe, est quasiment devenue une icône en Europe. Mais en Russie, que reste-t-il d'elle ? « Elle est moins connue qu'en France, constate avec amertume Galiena Mussalieva. Il faut bien le dire, la France aime plus Anna Politkovskaïa que la Russie. J'écrirai un article sur la pièce de Mireille Perrier et dirai aux Russes que c'est la France qui fait ce genre de ce spectacle et pas nous... Mais Anna Politkovskaïa reste pour moi une héroïne et elle est devenue un exemple pour de nombreux jeunes journalistes russes. » L'impunité Et en Tchétchénie, est-elle oubliée ? « Non, réplique Lidia Ioussoupova, elle reste dans les mémoires. Pour couvrir la seconde guerre tchétchène, elle avait dû passer la frontière en secret mais, dans le pays, elle travaillait sans se cacher. Elle avait acquis la confiance de nombreux Tchétchènes qui ont vécu sa disparition comme une tragédie. Une femme malade et handicapée m'a dit qu'une partie d'elle n'était plus vivante depuis son assassinat. Anna Politkosvkaïa était comme un haut-parleur pour les Tchétchènes. » Aujourd'hui, la Tchétchénie va mieux. Le calme est revenu. « La ville de Grozny a été bien reconstruite, reconnaît Lidia Ioussoupova. Les rues sont de nouveau éclairées la nuit et on peut se déplacer sans avoir la peur au ventre. C'est fini les bombardements, les rafales de tirs des soldats russes souls du matin au soir et les arrestations aux checkpoints où les cartes d'identité étaient déchirées. » Néanmoins, le problème de fond demeure. La justice n'a pas été rendue et le conflit s'étend. « Si la guerre semble terminée en Tchétchénie, explique Lidia Ioussoupova, elle se poursuit dans les républiques voisines du Caucase. Et c'est toujours au nom de la lutte contre le terrorisme que le pouvoir russe intervient. Mais d'où vient ce terrorisme ? Qui l'a fait naître et pourquoi ? Quand on humilie un peuple, il réagit. C'est l'État qui crée la terreur. » Camille Sarret 7 mai 2010
Extrait de la rencontre
A la Maison des Métallos à Paris, le 6 mai 2010. Vidéo TV5 Monde - 1'47