Le créateur du Web, Tim Berner Lee, veut sauver son invention

Le World Wide Web a été imaginé en 1989 par Tim Berner Lee, pour devenir très rapidement le système de partage d'information le plus utilisé sur Internet. Aujourd'hui, l'inventeur de l'url, du lien hypertexte et du html n'est pas très content de la tournure qu'ont pris les choses. Le Web est devenu trop centralisé selon Tim Berner Lee. SOLID, sa nouvelle invention, pourrait le sauver. Ou Pas.
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La papa du World Wide Web est un peu fâché : le Web, outil de partage d'information décentralisé par excellence, s'est totalement centralisé sous le coup des monopoles des très grandes entreprises californiennes de l'Internet. Les Facebook, Twitter, Google, Apple et autres Instagram ont "capturé" ces dernières années des milliards d'utilisateurs avec des effets que Tim Berner Lee dénonce : la concentration et la privatisation des données.

Le problème que pose l'inventeur du web est très simple à comprendre : les données que vous créez, envoyez, sur les réseaux sociaux ont beau être les vôtres au départ, vous ne pouvez pas en faire ce que vous voulez. Et surtout, vous ne maîtrisez ni leur localisation, ni leur diffusion. La donnée de l'utilisateur, créée sur un réseau décentralisé, Internet, est en réalité centralisée sur les serveurs informatiques des grandes entreprises américaines du Net. Si vous voulez quitter un service de l'une de ces entreprises, en supprimant votre compte, vous ne pouvez pas toujours récupérer vos données au préalable, et quand vous pouvez le faire, elles ne sont pas réutilisables sur un autre service en ligne.

SOLID : se réemparer de nos données

Le web est un standard, qui doit normalement permettre à chacun — quel que soit son système d'exploitation, sa localisation, son type d'ordinateur — d'échanger et de consulter des informations. Ce standard universel a été détourné — selon Tim Berner Lee — par les réseaux sociaux qui n'offrent pas à l'utilisateur la possibilité de maîtriser les données qu'il envoie sur Internet. Avec SOLID (Social Linked Data - Données sociales reliées), Tim Berner Lee pense avoir trouvé la solution à cette situation devenue préoccupante. Le principe de SOLID est simple : séparer les données des applications et des serveurs qui les utilisent.

Tristan Nitot, le fondateur de Mozilla Europe et aujourd'hui responsable produit chez CozyCloud, résume le concept de SOLID lors d'une conférence sur "la reprise de contrôle sur les données" : "Au lieu de tout centraliser auprès d’un algorithme pour bénéficier d’un service, on va faire des applications sur des plateformes qui utilisent des données hébergées dans Solid. Cela permettra par exemple de changer de réseau social sans perdre toutes nos données, puisqu’elles nous suivront."

Mais comment se traduit concrètement "le système SOLID" ? Très simplement : vous stockez vos données, quelles qu'elles soient, dans des“pods” (personal online data stores - espace de stockage  de données personnelles en ligne) qui sont localisés là où vous le souhaitez (chez vous, chez un hébergeur commercial ou associatif, dans un datacenter, par le biais de vos fournisseur d'accès s'il le propose, etc). Bien entendu, SOLID n'est pas simplement un système de stockage de données puisqu'il permet aux applications en lignes telles les réseaux sociaux d'accéder à vos données, mais seulement si vous les y autorisez.

Le principe est donc le suivant : je produis des données sur un réseau social, et bien qu'apparaissant sur ce réseau social, elles sont stockées là où je l'ai décidé, sur le pod de mon choix. A tout moment, je peux passer à un nouveau réseau social, une nouvelle application en ligne et donner l'autorisation de réutiliser ces mêmes données, si je le souhaite. Je ne suis plus dépendant de l'application pour afficher mes photos, mes textes, et celles-ci sont hébergées en un lieu, sur Internet, que j'ai choisi, que je contrôle.

Barrage des géants du net

Le nouveau système de gestion des données Internet de Tim Berner Lee repose sur un élément que l'inventeur du web ne maîtrise pas, mais qui pourtant conditionne sa réussite : l'accord des grandes entreprises de se plier à ce nouveau standard, et donc de changer le fonctionnement de leurs applications web. En effet, utiliser SOLID requiert des applications en ligne en mesure d'utiliser ce procédé. Le modèle économique d'un réseau social comme Facebook ou celui de la majorité des services de Google, reposant sur la revente des données des utilisateurs, il y a fort à parier que ces derniers n'auront pas franchement envie de changer leur fonctionnement.

Reste une dernière alternative, qu'Internet a su à de nombreuses époques de son histoire très bien adopter : faire émerger des nouvelles applications grand public, toutes basées sur SOLID, et qui détrônent les services privatifs des géants du net.
On peut toujours rêver…