Le Défenseur des droits, instance officielle dirigée par l'ancien ministre de droite Jacques Toubon, accuse des commissariats de police parisiens d'avoir donné ces dernières années des "ordres et des consignes discriminatoires" visant notamment les SDF, des Roms ou des "bandes de noirs et nord-africains". Il demande au ministre de l'Intérieur "une inspection de l'ensemble" des services concernés.
C’est une pierre de plus dans la jardin de la police française et ce n’est pas, cette fois, un gilet jaune ou black bloc qui l’a lancée. Dans une
décision prise le 2 avril 2019 mais médiatisée seulement depuis dimanche, le très officiel Défenseur des droits
Jacques Toubon incrimine sèchement les pratiques de certains commissariats parisiens, accusés d’avoir donné depuis 2012 des «
ordres et des consignes discriminatoires ».
Le défenseur des droitsInstitué en France en 2008, le
Défenseur des droits est une autorité officielle indépendante reconnue par la Constitution, qui lui fixe ses attributions : «
le Défenseur des droits veille au respect des droits et libertés par les administrations de l’État, les collectivités territoriales, les établissements publics, ainsi que par tout organisme investi d’une mission de service public ».
Il peut être saisi par toute personne physique ou morale qui s’estime lésée dans ses droits et libertés par le fonctionnement d’une administration de l’État. Nommé par le président de la République pour six ans, c’est à lui qu’il rend compte ainsi qu’au Parlement.
C’est François Hollande qui a nommé en 2014 l’
actuel titulaire, Jacques Toubon. Figure gaulliste des années 80-90, fidèle de Jacques Chirac dont il fut, entre autres, ministre de la Justice, ce dernier - en dépit de son image d’homme de droite adepte de l’ordre - s’est distingué par une indépendance sourcilleuse, dénonçant régulièrement les entorses aux libertés inspirées par les menaces terroristes, plus récemment par les tensions sociales.
Il s’est ainsi alarmé de l’institutionnalisation de dispositions découlant initialement de l’état d’urgence, et plus récemment de l’emploi contre des manifestants d’armes occasionnant de graves blessures (LBD), rejoint en cela par différentes instances internationales
dont l’ONU.
Dans son avis, Jacques Toubon «
constate » que ces
« ordres et consignes discriminatoires enjoignant de procéder à des contrôles d'identité de "bandes de noirs et nord-africains" dans un secteur défini, et à des évictions systématiques de "SDF et de Roms" ont été diffusés » dans deux commissariats de zones touristiques, qui semblent relever des 6ème et 4ème arrondissements de Paris.
Ces consignes, répétés entre 2012 et 2018, «
laisseraient présumer » des interventions discriminatoires de la brigade de police secours et de protection (BPSP). Officieusement, elles sont justifiées par un «
impératif sécuritaire et la mise à l'abri de personnes vulnérables ».
Pourtant, le document du Défenseur des droits note «
l'absence » de «
constats de comportements individuels préjudiciables », «
de cadre juridique précis » et «
de toute information sur la prise en charge réelle des personnes se trouvant dans la rue ».
Il relève «
la nature discriminatoire de ces ordres et consignes qui reposent, en l’absence de tout comportement objectif en lien avec les troubles de la voie publique, sur un profilage social et racial à partir de critères exclusivement discriminatoires liés à l’apparence physique, à l’origine, à l’appartenance vraie ou supposée à une ethnie ou une race, ou à la particulière vulnérabilité économique ».
En obéissant à ces consignes, les fonctionnaires de police
« ont exécuté des ordres manifestement illégaux » et «
cette pratique est susceptible d'engager la responsabilité du préfet de police de Paris », ajoute le Défenseur. Ce dossier, toutefois, ne met pas en cause le responsable actuel de la préfecture de police, arrivé en mars dernier.
Lanceur d'alerte
Selon des révélations publiées ce 15 avril dans le
Journal du Dimanche, c’est un policier du quatrième arrondissement qui serait à l’origine de la saisie du Défenseur des droits dès 2012. Refusant d’exécuter des ordres contraires à son éthique, il aurait subi des représailles et se serait retrouvé «
placardisé ».
Sept ans plus tard, la pratique discriminatoire «
semble persistante et assumée par la DSPAP (autorité sous laquelle sont placés les commissariats parisiens) comme utile à la lutte contre la délinquance », déplore le gardien des libertés.
SOS-Racisme appelle dans un communiqué le parquet à «
ouvrir sans délai une enquête préliminaire ou une instruction sur les faits dénoncés par le Défenseur des droits dont nul ne peut douter de sa probité ». L'association ajoute qu'elle attend du ministère de l'Intérieur qu'il parle «
non pas de maladresses ou de cas isolés » mais qu'il reconnaisse «
qu’il existe un problème majeur qui va bien au-delà des cas évoqués ».
Pour le député de la France Insoumise Eric Coquerel, «
il faut en finir avec ces pratiques discriminatoires qui sont une véritable plaie pour la société ». La sénatrice EELV Esther Benbassa dénonce de son côté un «
racisme policier » et «
des pratiques non pas tolérées mais ordonnées par la hiérarchie policière à Paris », a-t-elle écrit sur Twitter.
Le ministre de l'Intérieur Christian Castaner fait pour sa part remarquer que les faits pointés par le Défenseur des droits se sont déroulés avant qu'il soit en exercice.