Le Drian à Téhéran : mission délicate et accueil frais

Le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, achevait ce lundi 5 mars une brève visite en Iran. Objectif : en obtenir des gages sur son programme balistique et ses ambitions régionales afin de tenter de sauvegarder l'accord sur le nucléaire iranien, menacé par les États-Unis. Mais le "dialogue franc et exigeant" réclamé par la France apparaît mal engagé tant ses prises de position crispent Téhéran depuis plusieurs mois.
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Rohani
Le président de la République d'Iran Hassan Rohani et le ministre français des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian le 5 mars 2018.
(photo bureau de la présidence iranienne via AP)
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Le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian était le premier haut responsable des trois pays de l'Union européenne parties de l'accord sur le nucléaire iranien conclu en 2015 (Allemagne, France et Grande-Bretagne) à se rendre à Téhéran depuis l'ultimatum posé en janvier par Donald Trump à propos de ce texte. Il ne semble pas y avoir trouvé une oreille particulièrement favorable.

Il "reste encore beaucoup de travail à faire" a t-il diplomatiquement reconnu.

"Interrogations lourdes" contre "fermeté"

Ses défenseur occidentaux présentent l'accord comme le meilleur moyen d'empêcher l'Iran de se doter de l'arme atomique. Le président américain y voit l'un des pires jamais accepté par les États-Unis. Il a donné jusqu'au 12 mai aux Européens pour remédier à ses "terribles lacunes" faute de quoi Washington en sortira et réintroduira des sanctions contre l'Iran.

Pour éviter une rupture la France cherche à obtenir de Téhéran des engagements à modérer son programme balistique - qui ne figurait pas dans l'accord - et son influence au Proche et au Moyen-Orient, où Paris accuse la République islamique de visées "hégémoniques".
 
La politique de l'Europe qui consiste à donner des gages aux États-Unis pour les garder au sein de l'accord nucléaire est une erreur synonyme de [...] capitulationAmiral Shamkani, haut responsable militaire iranien
Deux points sur lesquels l'Iran a dit jusque-là pouvoir "dialoguer", mais certainement pas "négocier", sauf à ce que l'Occident détruise d'abord tous ses missiles et armes nucléaires, comme l'a déclaré samedi un haut responsable militaire iranien.

"La politique de l'Europe qui consiste à donner des gages aux États-Unis pour les garder au sein de l'accord nucléaire est une erreur synonyme de [...] capitulation face" à Donald Trump, a déclaré l'amiral Shamkhani lors de sa rencontre avec Jean-Yves Le Drian, selon un communiqué du CSSN.

Selon le texte, M. Shamkhani a ajouté que "le renforcement de la capacité défensive de l'Iran, en particulier la puissance balistique du pays, est une nécessité inévitable dans le cadre de la politique de dissuasion de l'Iran".
 

Les discussions de Jean-Yves Le Drian avec son homologue Mohammad Javad Zarif, le président iranien Hassan Rohani et l'amiral Ali Shamkhani n'ont pas été faciles, a-til été confirmé du côté français.

Il faut tout faire pour que cet accord là, qui est un accord historique, puisse tenirJean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères français

"Je leur ai fait part des interrogations lourdes de la France sur ces deux sujets", a déclaré Jean-Yves Le Drian à des journalistes qui l'accompagnaient.

Les deux parties se sont exprimées "très librement", avec "fermeté", a ajouté le ministre français, "les entretiens ont été francs".

"Sur le maintien de l'accord nucléaire, nous sommes tout à fait en phase, d'ailleurs nous l'avons montré parce que nous avons supprimé nos sanctions et nous avons permis une reprise des relations commerciales entre la France et l'Iran", a dit Jean-Yves Le Drian. Il "faut tout faire pour que cet accord là, qui est un accord historique, puisse tenir".

De son côté, le président iranien s'est borné à estimer que sa préservation "prouvera au monde que la négociation et la diplomatie sont la meilleure option pour régler les problèmes". "Si l'accord nucléaire éclate, tout le monde le regrettera", a-t-il ajouté.

"Laquais parisien"

Lundi matin, la presse ultraconservatrice iranienne s'en était violemment pris au chef de la diplomatie française, s'offusquant de ses propos rapportés par le Journal du dimanche, selon lesquels l'Iran "s'exposera à de nouvelles sanctions" s'il ne prend pas "à bras le corps" le sujet des "programmes balistiques de plusieurs milliers de kilomètres de portée qui ne sont pas conformes aux résolutions" du Conseil de sécurité de l'ONU.

"Insulte" au "peuple iranien" selon Le quotidien Kayhan, tandis que son confrère Javan titre "Le laquais parisien de Trump à Téhéran".    

Pour les autorité françaises embarassées, la remise en cause de l'accord sur le nucléaire iranien ouvrirait la porte à la prolifération dans une région déjà très instable et ne ferait qu'encourager la Corée du Nord à aller plus loin dans son programme atomique militaire.

Mais pour Mohammad Javad Zarif, "toute action pour satisfaire la partie qui a le plus violé l’accord nucléaire [les États-Unis, NDLR] est inutile".
 

Le dossier syrien

Le ministre français ne semble pas avoir été beaucoup plus heureux sur les autres dossiers régionaux.

Face aux critiques de Paris sur le rôle de l'Iran en Syrie, en Irak et au Liban, et aux "inquiétudes" exprimées par Jean-Yves Le Drian sur le rôle que jouerait Téhéran dans la guerre au Yémen, son homologue a rappelé les griefs de la République islamique à l'encontre de l'Occident.
 
... Aucun autre moyen que de renforcer le gouvernement central à Damas pour régler la crise syrienneHassan Rohani, président de la République d'Iran
Il a dénoncé l'appui de l'Occident à l'Irak contre l'Iran - la France y fut un grand allié de Saddam Hussein - pendant la guerre entre ces deux pays (1980-1988) et le soutien politique et militaire qu'apportent aujourd'hui les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne à "l'agresseur" qu'est l'Arabie saoudite dans le conflit au Yémen.

Mettant en garde contre "le risque de cataclysme humanitaire" en Syrie, "mais aussi sur le risque de conflagration régionale", il a défendu la position française : "Nous sommes tout à fait déterminés à aider à ce que la crise que l'on voit se développer puisse s'arrêter mais l'Iran et la Russie sont en relation directe avec le régime et ont la capacité d'intervenir de manière vigoureuse".
 

Réponse de Hassan Rohani, d'après la présidence iranienne: il n'y a"aucun autre moyen que de renforcer le gouvernement central à Damas pour régler la crise syrienne".