Le football peut-il être écologique ? 


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Kylian Mbappé, Christophe Galtier

Le joueur du Paris Saint-Germain, Kylian Mbappé, et son entraîneur Christophe Galtier, ironisent suite la question d'un journaliste interrogant la potentialité d'utiliser le train plutôt que l'avion pour les déplacements sportifs. Leurs réactions ont suscité une forte polémique alors que le constat du réchauffement climatique n'est plus à faire. 

Capture écran AFPTV
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La séquence de rires entre le joueur du Paris Saint-Germain Kylian Mbappé et son entraineur Christophe Galtier, déclenchée par la question sur la potentielle utilisation du train dans les déplacements de l’équipe, a permis de relancer le débat de l’empreinte écologique du monde sportif professionnel et plus précisément du football. Considéré comme le sport le plus populaire au monde, rattaché à une industrie pesant des milliards d’euros, quelle est la place de l’écologie dans le monde du ballon rond ?

C’est une blague qui ne passe pas. À la sortie d’un été caniculaire marqué par des phénomènes climatiques d’une violence rare, le ton goguenard et la comparaison de l’entraîneur du Paris Saint-Germain du train au char à voile sonnent comme une terrible déconnexion de la réalité. Et pour un sport où ses acteurs majeurs sont souvent pris pour des modèles, la séquence fait tâche.

Lors de cette conférence de presse, un journaliste interroge sur la pertinence de prendre un jet privé, moyen de locomotion choisi par le club, plutôt qu’un train pour son déplacement entre Paris et Nantes (380 km). Avant même de répondre, le joueur Kylian Mbappé et son entraineur Christophe Galtier échangent leurs regards et éclatent de rire.

Une comparaison souhaitable pourrait être celle des émissions de dioxyde carbone émises pour cette même distance entre les deux moyens de locomotions évoqués. En jet privé, l’impact carbone par personne est mesuré à 43 kg de C02 équivalent, contre 1 kg pour le train. Dans une autre conversion, autant d’émissions sont nécessaires à la production de 83 repas végétariens.

C'est quoi un kilogrammme de C02 d'équivalent ? 
Selon l'ADEME (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) : Les émissions importantes de gaz à effet de serre sont souvent mesurés avec un indice simple : les kilogrammes d'équivalent CO2 (kgCO2e). Par exemple, 1 kg de méthane équivaut à 28 kg de CO2. Si la fabrication d'un produit a émis 1 kg de méthane et 1 kg de CO2, alors l'impact total de ce produit est de 29 kg d'équivalent CO2.

Pollueur buteur

Si cette polémique fait mauvaise presse pour le haut du panier du ballon rond, elle a le mérite de (re)lancer le débat sur l’empreinte écologique du monde footbalistique professionnel. Cela fait plus de 40 ans que le football ne se traduit plus seulement en un sport populaire pratiqué le dimanche entre amis ou adversaires d’un soir, mais en un industrie colossale.

« Sport numéro un dans le monde avec plus de 250 millions de pratiquants et cinq milliards de fans, le football n’a cessé de se développer au cours de ces soixante-dix dernières années, résume l’étude « Football et transition écologique » de l’association Football Ecologie France. [Son] chiffre d’affaires [est] évalué autour de 400 milliards d’euros. » Une somme équivalente à deux fois le PIB du Pérou.
Comme tout industrie génère une pollution, d’où proviennent les principales sources d’émissions de gaz à effet dans le monde du football ? (À noter ici qu’il s’agit de la dimension professionnelle du sport et non amateur.) 

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Les matchs, ponctuant les saisons d’une ligue 1 ou d’une Coupe, sont des rendez-vous rassemblant régulièrement un certain nombre de personnes (en moyenne 20 000 individus) et consommant une quantité d’énergie, de boisson, de nourriture considérables. L'empreinte carbone est donc colossale. 

En 2018, la Coupe du Monde en Russie a généré l’émission de 2,16 millions de tonnes (hors construction des stades), rapporte l’étude « Football et transition écologique ». La Coupe du Monde féminine qui a eu lieu en France en 2019 a elle émis 340 000 tonnes de CO2 (hors déplacement des supporters) soit l’équivalent des émissions annuelles de 28 500 Français·e·s ou la production de 55 000 tee-shirts.

Coupe du monde pollution
Les dernières Coupes du monde de football masculines et féminines (2018 et 2019) en équivalent d'émissions de C02.
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Si les déplacements des supporters ne sont pas pris en compte, ce n’est pas pour autant qu’ils sont négligeables, au contraire. « L'empreinte carbone d'un événement comme une Coupe du monde ou un match de Ligue 1, c'est 80% de transports, affirme Antoine Miche, président de l’association Football Ecologie France, président de l'association Football écologie France, qui milite pour une « transition écologique et solidaire du football ». Parmi ces 80%, 5 à 15% sont liés aux déplacements des équipes concernés et de leur staff, c’est donc loin d'être négligeable.» précise-t-il.

Si des clubs comme l’Olympique lyonnais facilitent l’accessibilité de leurs infrastructures en mobilités douces (parking gratuit pour les vélos, navettes gratuites disponibles, desservi en tramway), la majorité des stades sont situés en périphérie des villes et nécessitent l’usage de la voiture pour s’y rendre. Par ailleurs, si l’usage du train a pu en faire rire certains, il est le mode de locomotion privilégié par plusieurs équipes de première division. Le Betis Séville, club andalou de Liga, la première division espagnole, vient de renouveler son partenariat avec le rail espagnol pour effectuer tous ses déplacements de la saison en train. 

C’est aussi le choix du club anglais de Liverpool pour certains de ces déplacements en train, comme le montre le tweet du journaliste Ahmed Al Sarraf. Sur une photo, on peut voir les joueurs en train d’attendre sur le quai de la gare.

Rapport de force


D’autres sources de pollution subsistent cependant de manière significative, liées au fonctionnement des stades plus ou moins vieux et donc plus ou moins efficaces énergiquement. Une fois de plus, les démarches varient en fonction de la volonté des clubs. L’ONG britannique, Sport Positive Leagues a établi un classement des clubs des différentes ligues européennes selon leurs actions prises pour une « durabilité environnementale ». Des notes sont accordées selon plusieurs critères : gestion des déchets, efficacité de l’eau, réduction ou retrait du plastique à usage unique ou encore biodiversité.

En terme d’énergie, alors que le Clermont Foot 63, anciennement chauffé au gaz, est aujourd’hui raccordé au système de chauffage urbain avec le bois de la ville, le Paris Saint-Germain lui n'a outillé son Parc des Princes que de seulement 48 panneaux solaires pour sa cuisine.

Tableau note écologie clubs foot
La matrice de durabilité environnementale de l'ONG britannique Sport+ Positive Leagues classe les clubs de première division française en fonction de leurs prises d'initiatives qui visent à réduire leur empreinte carbone.
Capture d'écran : Sport+ Positive Leagues

« Le problème que j’identifie, c'est que c'est ce genre de décision devrait être prise au niveau d'une ligue professionnelle et au terme de négociations imposées aux clubs, souligne Mathieu Djaballah, maître de conférences à l’université Paris-Saclay, spécialiste de la responsabilité sociale et environnementale dans le sport. Le rapport de force entre les instances fédérales et les clubs professionnels surtout en Europe, où le clubs sont très puissants, est compliqué pour pouvoir arriver à imposer des choses. Par ailleurs, certains de ces clubs sont détenus par des propriétaires étrangers. L'avenir écologique de la France peut ne pas être leur priorité. »

Mais que penser de cette volonté des instances fédérales, à quelques mois d’une Coupe du monde au Qatar, l’un des pays les plus émetteurs de C02 au monde par habitant ? L’an dernier, la Ligue de Football Professionnel (LFP) dans un but de promouvoir le championnat de France a l’étranger, avait prévu de délocaliser la rencontre entre Lyon et Monaco à Shanghai en Chine. Un projet qui n’avait au final pas vu le jour, pour des « raisons sanitaires ». La Coupe du Monde en 2026 dans un pays encore inconnu, accueillera 48 équipes et 80 matches, contre 32 équipes et 64 rencontres pour son édition au Qatar cet automne.

On s'aperçoit que les audiences, pour la plupart des sports, tendent à vieillir. Les jeunes générations tendent à être moins fan de sport qu'il y a 20 ans.Mathieu Djaballah, maître de conférences à l’université Paris-Saclay, spécialiste de la responsabilité sociale et environnementale dans le sport

Le monde du foot bénéficie-t-il véritablement de marges de manoeuvre en terme de changement de fonctionnement ? Décaler les matchs le soir la journée ? Cela reviendra à revenir sur le cahier des charges établi avec les chaines de télévisions diffuseurs. Privilégier le train plutôt que l’avion ? Les performances des sportifs pourraient se retrouver affectées par un trajet plus long. Diminuer le nombre de matchs ? « Quatre matchs en moins, c’est quatre fois moins de recettes, de droits télévisuels… rétorque Mathieu Djaballah. On arrive à un moment où on ne peut plus se contenter d'être volontariste en matière écologique, tout en se préservant de la possibilité d'avoir la meilleure performance sportive et de poursuivre la logique économique qui est celle d'une entreprise expansionniste. C'est le problème auquel on fait face aujourd’hui. »

Éco-supporterisme 

Si 77% des personnes interrogées par Football France Écologie pensent que le football n’est pas un sport écologique, la majorité d’entre elles estiment cependant que les instances internationales, qu’elles soient politiques ou sportives, ont la plus grande responsabilité sur le sujet et doivent apporter des solutions aux acteurs du football.

Cependant, toujours selon l’ONG, « des estimations de l’impact carbone d’une rencontre de football indiquent qu’une majorité des émissions (entre 75 et 95% selon les organisateurs et les méthodes de calcul choisies) sont dues aux déplacements des supporter·rice·s et des équipes ». Avant de conclure, « si les conditions sont réunies (offre de transport en commun satisfaisante, billets combinés, possibilité de covoiturage, parkings à vélo, accessibilité en mode doux...), le·la supporter·rice deviendra le dernier maillon de la chaîne pour rendre de tels dispositifs opérationnels et pertinents. »

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Par cela, l’association amène aussi l’idée que les supporters puissent être acteurs d’un changement, en initiant des pratiques vertueuses au sein de leur stade. Un concept définit par l’éco-supportérisme : « Un mouvement qui développe la proactivité citoyenne et écologique d’un-e supporter-rice et lui permet d’agir sur sa propre pratique sportive mais aussi de contribuer aux actions organisées par son club.» Organiser des campagnes de nettoyage, installer des buvettes zéro déchet, autant d’initiatives poussées par les clubs amateurs comme professionnels qui pourraient servir de modèles.

Toutefois, en parallèle d’une volonté de bonne conduite de la part des supporters, la naissance d’une masse critique pourrait aussi venir court-circuiter le manque de prise en considération des clubs. « On s'aperçoit que les audiences pour la plupart des sports tendent à vieillir. Les jeunes générations sont en général moins fan de sport qu'il y a 20 ans tout en ayant une conscience écologique beaucoup plus spontanée que les anciennes, fait remarquer l’expert. « La combinaison entre les deux variables fera que peut-être d'ici quelques années, la pression exercée par la demande et les spectateurs qui financent cette activité, sera telle qu'on sera obligé d’y faire attention. »