Fil d'Ariane
Ils sont adolescents et viennent d’arriver à New York avec leur famille, en provenance d’Haïti ou de pays africains, ils parlent français mais ils doivent apprendre l’anglais impérativement. C’est pour les aider à garder un lien avec la langue française qu’a été mis en place, en 2005, le « French Heritage Language Program ». Ce programme offre des cours académiques de français et des activités culturelles. Il permet aussi, surtout, à ces jeunes de développer de précieux liens entre eux et de former… comme une nouvelle famille. Reportage.
Image de la cérémonie de fin d'année du French Heritage Language Program à New York.
C’est une enseignante américaine qui, quand elle a pris sa retraite du Lycée français de New York, a mis en place ce programme. Jane Ross voulait offrir à ces familles d’immigrants d’origine francophone une alternative gratuite aux établissements privés très coûteux pour que les enfants puissent continuer à apprendre et parler le français.
« La difficulté première a été d'offrir un programme qui pouvait convenir à des élèves dont les niveaux de français étaient différents, se souvient l’ex-enseignante, on est toujours en face de groupes d'élèves qui sont très hétérogènes, il faut donc faire preuve de souplesse dans notre enseignement et s’adapter à des niveaux de langue mais aussi des cultures qui sont différentes. Ce n’est pas toujours facile, il n’y a pas de manuel et il n’y a pas de recette miracle ».
Jane Ross s’est entourée d’un partenaire important pour mettre en place ce programme : les services culturels de l’Ambassade de France, qui accueille notamment dans ses bureaux le personnel du programme, et qui a aussi permis de structurer les démarches pour aller chercher du financement auprès de donateurs privés (environ 100 000 US$ par an), en plus de participer aussi financièrement au programme en payant notamment le salaire de son coordonnateur.
Agnès Tounkara est la coordonnatrice du programme depuis 4 ans.
Le programme est offert dans le réseau de lycées publics new yorkais qui sont spécialisés dans l’accueil d’immigrants. Cette année par exemple, il a été implanté dans sept de ces établissements et a accueilli quelque 200 jeunes. Trois assistants et quatre enseignants ont assuré l’enseignement académique mais aussi l’encadrement d’activités culturelles comme du théâtre.
Moi je me suis inscrite pour me connecter avec plus d'Africains et des gens qui parlent français.
Aïcha Cissé, lycéenne originaire de Guinée.
C’est le cas de Nassira Hamdi, une Marocaine d’origine qui vit à New York depuis plus de 20 ans et qui enseigne dans ce programme depuis 10 ans : « J'aime beaucoup ce programme parce qu’être enseignante, ce n'est pas seulement enseigner, je me sens comme une maman parce que le French Heritage Language Program, c'est pour les jeunes immigrants qui viennent d'arriver et qui doivent s’adapter à un nouveau pays, ce qui est difficile. Alors oui, on apprend le français mais ce sont aussi les retrouvailles de Francophones dans une école, c'est comme une petite famille, une communauté ».
Au-delà de l’enseignement académique, l’un des grands mérites de ce programme est en effet d’offrir à ces jeunes déracinés une communauté dans laquelle ils vont pouvoir s’ancrer.
« Notre programme a pour mission d'aider ces jeunes immigrants francophones à faire du français un atout aux États-Unis. Le français leur permet de rester connecté avec la communauté, de se construire une communauté ici," souligne Agnès Tounkara, la coordonnatrice du programme depuis 4 ans.
C’est ce que confirme la jeune Aïcha Cissé, qui vient de compléter sa dernière année dans un lycée international du Bronx et qui s’apprête à rentrer à l’université en septembre. Arrivée en 2021 avec sa famille de sa Guinée natale, la jeune fille a adoré son expérience au sein du programme : « Le French Heritage, pour moi, la définition c'est de nous aider à nous connecter et ne pas se sentir isolé quand on vient d'un autre pays et qu'on parle le français. Moi je me suis inscrite pour me connecter avec plus d'Africains et des gens qui parlent français».
Aïcha Cissé, originaire de Guinée, a suivi le French Heritage Language Program.
Aïcha dit que ce programme l'a aussi aidée à améliorer son français. Il fallait la voir, en ce 7 juin, assister à la fête de fin d’année du programme avec ses ami-es, avec remise de diplômes et prix d’excellence, elle s’en est d’ailleurs mérité plusieurs. De nombreux jeunes qui ont terminé le programme ont aussi témoigné de ce qu’il leur avait apporté : « Le FHLP, ça a été comme une famille pour moi quand je suis arrivée aux États-Unis » écrit Bénédicte Goundo, originaire du Togo. Cette jeune sénégalaise, Sirandou Drame, arrivée il y a quatre ans à New York, ajoute : « Le FHLP m’a permis de ne pas oublier mon français ». « Le FHLP m’a aidée à avoir de nouveaux amis et à apprendre de leur expérience » témoigne de son côté Roukiatou Kaboré, du Burkina Faso.
Sirandou Drame vit aux États-Unis depuis 4 ans.
Cette fête de fin d’année, Agnès la coordonnatrice la chérit dans son cœur, parce qu’elle est l’occasion pour tous ces jeunes issus de différentes écoles de se retrouver et de souligner leurs efforts menés tout au long de l’année scolaire : « Moi je les entends souvent dire, on a trouvé une famille. C'est vraiment les deux choses que je soulignerai, l'aspect communautaire qui va vraiment bien au-delà de la langue et puis la réalisation, malgré le fait qu'ils sont dans un milieu anglophone où on a l'impression que l'anglais c'est la clé du succès et du rêve américain, on se rend compte que parler le français c'est un atout ».
Agnès termine son mandat à la coordination de ce programme auquel elle est très attachée : « Je suis née au Sénégal, j'ai fait mes études en France, je suis arrivée aux États-Unis à 20 ans, j'élève des enfants nés aux EU mais francophones et donc pour moi, ce combat de continuer à parler une langue qui leur permet de parler à leurs grands-parents et de pouvoir rentrer au pays sans s’y sentir étranger, c'est vraiment quelque chose très personnel ».
Agnès et Jane ne cachent pas leur fierté devant la réussite de ce programme et la réussite des jeunes qui le suivent, puisque la très grande majorité d’entre eux poursuivent leurs études à l’université. En presque 20 ans d’activité, quelque 5000 jeunes, en grande majorité d’origine africaine et haïtienne, ont pu profiter du French Heritage Language Program qui s’est d’ailleurs exporté ailleurs aux États-Unis, dans le Maine et à Miami notamment.
« Les écoles de New York ont un peu servi de laboratoire, précise Jane Ross. On a aussi participé à de nombreuses conférences et on a fait des liens avec d'autres programmes de langue héritage comme espagnol, russe, ukrainien, on travaille beaucoup avec des collègues qui sont dans des programmes similaires mais avec d'autres langues, on partage notre expérience, nos programmes etc. Notre expertise est appréciée par beaucoup de gens et on espère continuer au cours des prochaines années ».
« Ce programme a vocation à grandir, ajoute Agnès, parce qu'on se rend compte qu'aux États-Unis, la communauté francophone, l'immigration africaine, c’est en train d'exploser et on est contacté régulièrement par des écoles qui veulent que le programme soit offert à leurs élèves ».
Préserver la langue française alors qu’ils immigrent aux États-Unis est aussi un atout de choix pour ces jeunes quand ils entreront sur le marché du travail plus tard. Ils ont tout à y gagner… « Nous on est là pour les convaincre qu'ils peuvent être Américains mais rester quand même francophone et garder cette langue comme un atout » conclut Agnès.