Les Honduriens, tous milieux sociaux confondus, exigent depuis plusieurs semaines la démission du président conservateur Juan Orlando Hernández. La raison : il est mêlé à une énorme affaire de corruption coûtant la vie à des centaines de personnes.
« C’est inacceptable, j’ai perdu mon fils et sa mort aurait pu être évitée. C’est le directeur de
la sécurité sociale qui a décidé personnellement de priver mon fils d’attention médicale », s’insurge la mère d’un jeune homme atteint d’une maladie chronique sur une chaîne locale. Ce témoignage scandalise le pays et fait partie d’une longue série : environ 2 800 personnes sont décédées entre 2014 et 2015 dans des centres hospitaliers publics faute de moyens.
Rien d’étonnant dans ce pays où le service public est hautement défaillant. Nombreux sont les patients qui arrivent dans les hôpitaux gérés par l’Etat avec leurs propres draps sous les bras et parfois même avec leurs propres médicaments.
Sauf que la raison de ce scandale sanitaire est directement liée à u
n scandale de corruption. Lors de l’élection présidentielle de novembre 2013, le conservateur Parti national à la tête du pays depuis janvier 2014, a touché environ 94 000 dollars pour financer la campagne du président actuel Juan Orlando Hernández. Cette somme a été détournée – à travers un montage plus ou moins complexe - des caisses de l’Institut national de la sécurité sociale (IHSS). L’organisme qui chapote tous les hôpitaux, cliniques et dispensaires publics.
Un mouvement au-delà des barrières sociales
Cette affaire de corruption aurait été classée parmi les centaines d’autres que les Honduriens connaissent si bien… et très vite oubliée. Après tout, le Honduras est un des pays les plus corrompus au monde, selon Transparency international. Mais contre toute attente, la population a décidé de crier haut et fort sa colère. Depuis le mois de mai, les artères des principales villes honduriennes sont envahies de torches artisanales et de drapeaux tous les vendredi soir.
Au cri de
« Dégage JOH (Juan Orlando Hernández)», la société civile se mobilise sans relâche pour dénoncer la corruption qui gangrène le pays et pour exiger la démission du chef de l’Etat. Le reste de la semaine, cette mobilisation se poursuit sur les réseaux sociaux où la contestation est née. Inédit. Depuis l
e coup d’Etat de 2009, les citoyens n’avaient pas investi l’espace public.
Des milliers de personnes manifestent contre la corruption.
Des milliers de citoyens marchent au cri de 'Fuera JOH'.Autre fait inédit, l’indignation a réussi à briser les barrières sociales. Les milieux populaires défilent aux côtés de ce que l’on pourrait appeler la classe moyenne. C’est-à-dire, ces Honduriens CSP+ vivant confortablement mais pas assez nombreux pour composer une véritable classe moyenne. Le pays est également
champion des inégalités avec un énorme fossé entre les plus pauvres et les plus riches. Cette tranche de la société fuit comme la peste ces établissements publics, elle s’y soigne pourtant ponctuellement. La santé étant hautement libéralisée, les frais médicaux peuvent atteindre très vite la stratosphère pour de simples interventions chirurgicales.
Le Honduras est en train de changer.
« Cette affaire touche bien sûr les plus démunis car ce sont eux qui dépendent le plus du système de santé public. Mais tous les Honduriens en général ont été choqués car il s’agit d’un scandale massif qui concerne le pouvoir en place tellement décrié », analyse Carlos Hernández, porte-parole
d’Alliance pour la paix et la justice, une ONG anti-corruption.
Si celle-ci a été dévoilée c’est parce qu’une plainte a été déposée fin 2014. Une commission a été mise en place pour percer les mystères d’autres affaires de corruption concernant la gestion de l’IHSS. C’est alors que les enquêteurs d’un organisme indépendant, le Conseil national anticorruption, ont révélé que le détournement des fonds était à l’origine de ces décès.
Les "indignés honduriens"
Aux milliers de manifestants s’est joint l’opposition de gauche. Entre récupération et véritable solidarité, celle-ci a donné une dimension éminemment politique. Les indignés honduriens sont nés sous le nom de
«l’Opposition indignée ».
Juan Barahona coordinateur du parti d’opposition Front national de résistance populaire -faisant parti de cette coalition-
parle sur RFI, de « réveil citoyen » porté par la jeunesse.
Face à ce tollé, le président Hernández n’a eu d’autre choix que
d’avouer à mi-mot que ces fonds avaient effectivement financé sa campagne. Mais il a minimisé le montant. Inattendu mais insuffisant pour les citoyens qui aimeraient voir les vrais coupables derrière les barreaux.
En attendant, des têtes ont commencé à rouler. Plus de dix personnes ont été arrêtées : la chefferie et des employés de l’IHSS ainsi que des chefs d’entreprise de renom. Parmi eux se trouve Shukri Kafie, membre d’une des grandes familles honduriennes, qui détiennent la plupart des richesses du pays.
« C’est du jamais vu. Le système judiciaire a réagi en conséquence. Il ne pouvait pas faire autrement. Des chefs d’entreprise, des ténors du parti au pouvoir et même des membres haut placés d’autres partis comme le Parti libre ( tendance gauche socialiste sud-américaine) et le Parti libéral ( il se partage le pouvoir avec le Parti national depuis plus d’un siècle) sont éclaboussés. Ceci met en difficulté évidemment la gestion du président qui est loin d’être sereine », ajoute Carlos Hernández.
Des mandats d’arrêt ont été émis à l’encontre du premier secrétaire du Parti libéral et d’autres mandats d’arrêt visant des politiques, toutes tendances confondues. Les "milieux informés" prédisent que les prochains à sauter appartiendront au cercle restreint du président. Le nom de son vice-président a commencé à circuler. Mais de nombreux observateurs ne sont pas si optimistes.
Selon des chiffres fournis par le parquet, 90% des délits ou crimes commis dans le pays restent impunis. Il ne reste que cette affaire vient alourdir le quotidien de 8 millions d’Honduriens confrontés à une violence inouïe. Le petit pays est devenu un des plus violents au monde. En cause : la pauvreté, la présence de gangs, le trafic de drogues et, par ricochet,… la corruption.
Une médiation assurée par des institutions internationales
Dans ce contexte qui ressemble à s’y méprendre à celui qui a précédé le coup d’Etat de 2009, l’Organisation des Etats américains
(OEA) et l’ONU assureront la médiation entre le gouvernement, l’opposition et la société civile. Objectif :
« renforcer les institutions et combattre l’impunité ainsi que la corruption ». L’accord visant à créer un organisme national de lutte contre la corruption a été signé le 29 juin entre le Honduras et l’OEA à la demande du président hondurien.
Un peuple honnête ne discute pas avec des hommes politiques corrompus. « Cette médiation est importante pour faire redescendre la pression, estime Carlos Hernández.
La société civile ne fait pas confiance aux interlocuteurs honduriens. On souhaite que cette crise nous aide à faire des avancées considérables dans le renforcement des institutions de l’Etat. » Reste à savoir si l’entrée en scène des deux organismes internationaux pourra apaiser les esprits. L ‘opposant Juan Barahona pense que si les coupables ne sont pas condamnés, les manifestations, jusqu’ici pacifiques, pourraient prendre une tournure plus inquiétante :
« Cela pourrait être plus violent que lors du coup d’Etat de 2009 ».
"Un printemps centraméricain" ?
Le Honduras n’est pas le seul pays qui traverse une période mouvementée. D’ailleurs, c’est chez le voisin Guatemala que la flamme de la contestation a été allumée. Le 16 avril dernier, le parquet du pays et la Commission internationale contre l’impunité au Guatemala (Cicig), organisation affilée à l’ONU, ont dévoilé l’existence d’un réseau de corruption au sein des douanes monté, le but étant d’échapper à l’impôt.
Ces révélations ont déjà coûté son poste à la vice-présidente, Roxana Baldetti. Elle a dû démissionner sous la pression des manifestants. La raison : son secrétaire personnel, Juan Carlos Monzón, est accusé d'être à la tête de ce réseau.
Entre-temps une commission spéciale mise en place par le Congrès analyse la possibilité de retirer l’immunité présidentielle du président Otto Pérez, éclaboussé par l’affaire qui touche aussi la sécurité sociale du pays.
Oscar Vásquez, directeur de l’ONG anti-corruption,
Action citoyenne, veut croire au début d’un mouvement d’ampleur centre-américaine qui pourrait s’étendre aux autres pays voisins souffrant des mêmes maux. Certains vont jusqu’à
parler de "printemps centraméricain" en référence au
"printemps arabe".
Mais Carlos Hernandez préfère rester prudent :
« Il est trop tôt pour affirmer qu’un changement profond est en train de s’opérer. Nous aurons fait un pas important si les citoyens prennent durablement la responsabilité de veiller au bon fonctionnement des institutions ».